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Lutte antiterroriste : les nouveaux cerveaux du renseignement français

Les services de renseignement manquent d'analystes face à la menace jihadiste. Enquête sur ces "grosses têtes" recrutées pour lutter contre le terrorisme. 

Article rédigé par Elodie Guéguen
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Dans les locaux de la DGSE à Paris, en avril 2015. (ERIC DESSONS/JDD/SIPA)

Les attentats de Toulouse, de Charlie Hebdo, du 13 novembre ou de Nice ont pointé les lacunes des services de renseignement. Les attentats ont montré que l’on manquait cruellement d’analystes pour traiter les informations. Aujourd’hui, les services français ont décidé de faire appel plus massivement à ces "grosses têtes" pour lutter contre le terrorisme. 

Les services de renseignement embauchent par dizaines des jeunes diplômés, employés pour travailler aux côtés des policiers du renseignement intérieur, et analyser les informations. Certains de ces jeunes sortent d’écoles prestigieuses, comme l’ENA, Centrale, Polytechnique. D’autres ont étudié les sciences sociales à l’université. Si les services sont performants pour recueillir du renseignement, ils le sont beaucoup moins pour traiter l’information, comme l’explique le criminologue Alain Bauer : "Après chaque attentat terroriste, dans les minutes qui suivent l’identification d’un auteur, entre 5 et 15 kilos de documents sortent miraculeusement des archives. Cela montre qu’on savait beaucoup de choses."

Le problème n’est pas l’absence d’information ou de communication de l’information mais l’absence d’analyse de l’information.

Alain Bauer, criminologue

Ces profils universitaires pourront apporter aux policiers les connaissances et la culture scientifiques qui leur manquent. Selon Olivier Chopin, qui est professeur à Sciences Po, ils pourront aider à détecter des terroristes en gestation : "Les mécanismes de radicalisation dans la société française sont étudiés par les sociologues, les psychologues sociaux, etc. La capacité que nous aurons à 'déradicaliser' des individus dépendra de sciences sociales, psychologiques, cliniques, qui ne sont pas directement dans la sphère de compétences des services de renseignement."

L'apport de compétences très pointues

Aujourd’hui, les services de renseignement intérieur recherchent des analystes, des ingénieurs mais aussi des linguistes, des personnes qui ont des compétences très pointues, explique Philippe Hayez, un ancien cadre de la DGSE enseignant à Science Po : "L’université, c’est une vie, une carrière consacrée à un sujet, parfois très pointu, par exemple une minorité philippine. Alors, évidemment, le spécialiste de cette minorité philippine n’a pas un grand avenir pour un concours administratif. Mais le jour, comme nous l’avons connu dans les années 2000, où vous avez une prise d’otages, à Jolo, dans les Philippines, là vous n’avez pas de linguiste, vous n’avez personne qui ait les bonnes compétences. Donc, il y a un intérêt commun à faire un effort plus grand, et il faut pour ça que le monde du renseignement accepte prudemment de s’ouvrir un peu plus."

Les réticences à l'arrivée de certaines recrues

Les services du renseignement s’ouvrent donc à d’autres disciplines, mais cette ouverture reste timide. Si le patron de la DGSI s’est fixé comme objectif de faire baisser la part de policiers dans ses effectifs, et d’augmenter celle des contractuels, la manœuvre reste délicate. Les policiers ne voient en effet pas tous d’un bon œil l’arrivée de ces recrues qui ne sont pas du sérail, comme l’explique Yves Trotignon, un ancien agent, spécialiste du terrorisme :"La greffe prend difficilement. Ce qui est difficile, c’est d’entendre que des gens entrent dans les services et s’y sentent malheureux parce qu’on leur dénie une légitimité ou qu’on les écarte d’une fonction qui est censée être la leur."

Les policiers ne sont donc pas toujours très accueillants avec les nouvelles recrues. Mais la réciproque est parfois vraie de la part du monde universitaire. Contrairement au modèle anglo-saxon, où les universités et les services de sécurité ont l’habitude de travailler ensemble, certains universitaires français sont beaucoup moins réceptifs et refusent l’idée.

La culture américaine du renseignement 

Aux Etats-Unis, l’armée finance des programmes de recherche et des parcours universitaires. En France, cette culture n'existe pas, ce que reconnaît Eric Denécé, directeur du Centre de recherche sur le renseignement : "Chez nous, le renseignement est toujours quelque chose qui est mal accepté, qui est peu inavouable, qui est peu considéré. Naturellement, nos élites n’y envoient pas leurs enfants, les gens les plus brillants ne se dirigent pas vers ce type de formations. Il reste dans la classe dirigeante une forme de mépris ou de défiance à l’égard de du monde du renseignement."

Le ministère de l’Intérieur parie donc sur un changement des mentalités, et affiche cet objectif ambitieux : recruter 1 900 civils les services de renseignement en l’espace de 5 ans.

L'enquête de Secrets d'infos à écouter dans son intégralité le samedi 8 octobre à 13h20 sur France Inter.

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