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Coup de filet dans des groupes d'ultradroite : "Il y aura un passage à l'acte à un moment ou un autre"

Stéphane François, spécialiste de l'extrême droite, historien des idées et membre du GSRL (Groupe sociétés, religions, laïcités), analyse pour franceinfo la difficulté de surveiller ces groupuscules.

Article rédigé par Catherine Fournier - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Un véhicule de police devant le domicile d'un policier retraité, arrêté dans le cadre du coup de filet visant un groupuscule d'ultra-droite soupçonne de projeter un attentat contre des musulmans, le 25 juin 2018 à Tonnay-Charente (Charente-Maritime).  (XAVIER LEOTY / AFP)

Leur arrestation est le fruit "de très nombreuses surveillances", selon le ministère de l'Intérieur. Dix personnes soupçonnées de projeter des attentats contre des musulmans et évoluant dans l'ultradroite radicale ont été interpellées dans la nuit du samedi 23 au dimanche 24 juin. Les suspects gravitaient autour d'un mystérieux groupuscule baptisé "AFO" (Action des forces opérationnelles). 

Stéphane François, spécialiste de l'extrême droite, historien des idées et membre du GSRL (Groupe sociétés, religions, laïcités), analyse pour franceinfo la difficulté, pour les services de renseignements, de surveiller ces groupuscules d'extrême droite, très éclatés sur le territoire français.

Franceinfo : Selon Mediapart, "AFO" est issu d’une scission d'un autre groupuscule, Volontaires pour la France (VPF). Ces micro-structures sont-elles nombreuses au sein de l'ultra-droite ?

Stéphane François : Ces groupes, c'est un peu comme les trotskistes, vous mettez trois personnes dans une pièce et vous avez deux scissions. On est dans des milieux où il y a des querelles très fortes, avec des personnalités qui cherchent à tirer la couverture à elles. Ce sont des milieux totalement éclatés, avec des différences idéologiques. Vous n'avez pas une extrême droite mais des extrêmes droites. Il y a tout un monde entre un catholique traditionaliste jacobin et un militant néonazi identitaire adepte de l'ethno-régionalisme.

Cet éclatement n'est-il pas observé dans d'autres milieux radicaux ? 

Chez les religieux, c'est plus construit car la ligne directrice est donnée par dieu donc les groupes ont moins tendance à s'éclater. C'est différent dans le domaine politique. Les radicaux d'extrême gauche sont tout aussi divisés. Cela complique leur surveillance car, le plus souvent, les services de renseignement ont affaire à des groupes semi-clandestins ou informels, composés de personnes proches. Si celles-ci refusent d'utiliser toutes formes de médias modernes, dont internet, pour communiquer, c'est encore plus compliqué de les repérer.

Le groupuscule d'AOF était ostensiblement actif sur un site internet, ce qui a contribué à leur arrestation...

Il s'agit visiblement de personnes d'un certain âge, qui n'étaient sans doute pas au point en matière de cybersurveillance. Si le site est hébergé en France et qu'il n'y a aucun pare-feu, les services de police peuvent facilement remonter la piste. Il y a sans doute une forme d'amateurisme et on a peut-être affaire à des pieds nickelés.

Craignez-vous que d'autres groupuscules de ce type passent sous les radars des services de renseignement ? 

S'il passent à la vitesse supérieure, en tournant le dos à la technologie, il sera difficile d'anticiper. Il y aura un passage à l'acte à un moment ou un autre. On estime à 3 000 personnes le nombre d'éléments les plus radicaux en France à l'extrême droite. Sur ces 3 000 personnes, un millier est vraiment déterminé. Mais ce n'est pas nouveau. Des groupuscules d'extrême droite qui s'entraînent de manière paramilitaire, cela date des années 60. Ils sont porteurs d'armes en toute légalité. Ils vont s'entraîner dans un stand de tirs, sont chasseurs, parfois policiers ou militaires...

Faut-il s'inquiéter, comme l'ex-patron de la DGSI Patrick Calvar l'avait signalé en mai 2016 devant l'Assemblée nationale, d'une réplique de ces groupes d'extrême droite aux attentats islamistes ?

Il y a vraiment quelque chose qui monte en puissance depuis le 11 septembre 2001, avec l'idée pour ces éléments radicaux qu'il y a une guerre civile ethnique en cours. Certains théoriciens de cette mouvance parlent d'une "immigration-colonisation", avec la complicité de l'Etat par son laxisme. Ces gens se préparent à combattre et sont dans une optique "survivaliste". Ils constituent des stocks d'armes et de nourriture, en prévision d'un effondrement de notre civilisation. En bref, ils sont en résistance. 

A-t-on négligé leur surveillance ces dernières années ?  

Cela a été mis un peu de côté pendant une période, où la politique des renseignements a été de miser sur les nouvelles technologies, pas très prisées de ces groupes, et de délaisser le terrain, avec la réforme des renseignements généraux. Et puis la DGSI a préféré recruter des spécialistes du monde arabe face à la menace islamiste, plutôt que des universitaires spécialistes de l'extrême droite. Enfin, la politique de suppression des groupuscules ne leur a pas non plus facilité la tâche : le milieu est devenu excessivement mouvant, très volatile, avec des éléments autonomes difficiles à identifier. Les gendarmes ont mis par exemple quatre ans à coincer le groupuscule néonazi White Wolf Klan en Picardie. 

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