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Enquête France 2 Violences policières : quand le patron du syndicat Alliance fait réintégrer des agents radiés et condamnés par la justice

Fabien Vanhemelryck a défendu en personne deux policiers de Pau qui avaient roué de coups pendant treize minutes un adolescent menotté. Radiés et jugés indésirables par leurs chefs, ils ont finalement été réintégrés.
Article rédigé par France 2 - Hugo Puffeney
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le secrétaire général du syndicat Alliance Police nationale, Fabien Vanhemelryck, le 19 mai 2021 lors d'une manifestation de policiers devant l'Assemblée nationale, à Paris. (MAXPPP)

Un responsable syndical qui vole au secours d'agents reconnus coupables de violences policières. Toujours prompt à dénoncer "une justice laxiste" avec les délinquants, le secrétaire général du syndicat policier Alliance, Fabien Vanhemelryck, peut se montrer moins sévère lorsqu'il s'agit de ses collègues. Selon un procès-verbal confidentiel révélé par le magazine "Complément d'enquête" (diffusé jeudi 1er décembre à 23 heures sur France 2), le syndicaliste a tout fait pour réintégrer deux agents de Pau (Pyrénées-Atlantiques) radiés de la police et condamnés à 15 mois de prison avec sursis pour violences volontaires en réunion sur un adolescent.

L'histoire commence entre les murs du commissariat de Pau, en octobre 2019. En pleine nuit, un mineur de 16 ans, alcoolisé et porteur d'une matraque, est arrêté et amené au commissariat. Agité, il insulte les policiers et tente de leur faire un croche-pied. C'est à ce moment-là que Lionel D. et Jean-Christophe V. se ruent sur lui. Alors que l'adolescent est menotté, assis sur un banc et ne représente aucun danger, ils lui assènent plusieurs gifles, des coups de poing, des coups de pied répétés. Ils le piétinent, l'insultent, lui crachent dessus, lui font une clé de bras. Jean-Christophe V. lui frictionne la tête au sol "à de nombreuses reprises", selon le rapport des enquêteurs de l'IGPN. Le jeune homme aura un tympan perforé.

Extrait de Complément d'enquête, diffusé le 1er décembre 2022 sur France 2.
Complément d'enquête Extrait de Complément d'enquête, diffusé le 1er décembre 2022 sur France 2. (France 2)

"Le jeune criait, appelait au secours"

"C'est d'une violence inouïe. [Ils] lui mettent des coups de pied dans la tête, ils veulent prendre l'armoire et lui jeter dessus", confie un policier, témoin direct de la scène, interrogé par "Complément d'enquête". "On avait l'impression d'être dans un film. On était scotchés, ça nous a scié les guiboles. Après, on s'est interposés devant le jeune qui criait, nous appelait au secours, qui nous demandait de l'aide. Il y a des choses qui marquent, dans votre vie. Et ça, ça en fait partie."

Cette agression de treize minutes a été filmée par la caméra-piéton d'un autre policier et transmise à la justice. En juillet 2021, Lionel D. et Jean-Christophe V. ont écopé en appel de 15 mois de prison avec sursis, d'une amende, et d'une peine d'inéligibilité qui a entraîné leur radiation de la police. L'histoire semblait close, mais c'était sans compter sur l'intervention d'Alliance.

Au lendemain de leur condamnation, le syndicat lance une cagnotte "de soutien", en interne, "afin de les aider dans cette période difficile". "Merci pour la solidarité dont vous ferez preuve", écrit le délégué syndical local dans son mail, dont "Complément d'enquête" s'est procuré une copie.

Après la condamnation des policiers, une cagnotte de soutien a été lancée par des responsables du syndicat Alliance. (FRANCE 2)

Puis Fabien Vanhemelryck, le patron du syndicat, s'implique en personne lors d'une réunion au sommet convoquée le 2 décembre 2021. D'un côté, les représentants de l'administration, de l'autre, les pontes des grands syndicats de police. Les échanges sont consignés sur procès-verbal. Ils débattent des cas de Lionel D. et Jean-Christophe V., qui souhaitent redevenir policiers.

Au début, l'administration s'y oppose en bloc. "Les faits sont graves et se déroulent en plus dans l'enceinte même du commissariat (…). Ces policiers n'auraient jamais dû avoir ce genre de comportement", critique le directeur central de la sécurité publique, Laurent Mercier. "La réputation de la police nationale peut être mise en cause en cas de réintégration", abonde Simon Babre, directeur des ressources et des compétences de la police nationale.

Une justice "intransigeante", déplore Alliance

Autre difficulté, de taille : les agents ont désormais un casier judiciaire. Or, pour être fonctionnaire de police, il faut un casier "qui ne soit pas incompatible avec l'exercice de ses fonctions", selon la loi. "Il faut se poser certaines questions", avertit Simon Babre. Mais Fabien Vanhemelryck balaie ces réticences. "La perte de la maîtrise de soi et l'excès d'énervement ne devraient pas contraindre à les radier. (…) Malheureusement, la justice a été intransigeante. (…) Ils sont bien notés, n'ont jamais eu de sanction. (…) Ils ont eu le courage de reconnaître les faits [et] se sont excusés auprès du mineur. (…) Je demande donc leur réintégration."

La pression syndicale paie. Malgré ses réticences initiales, l'administration change d'avis et la réunion se conclut avec un avis favorable à leur réintégration. Depuis, après sept mois sans salaire, ces policiers ont retrouvé leur poste et exercent à la sécurité publique de Pau. Sollicités via leur avocate, ils n'ont pas répondu à nos demandes d'interview.

"Les faits ont été considérés comme une erreur de parcours isolée", assure aujourd'hui le ministère pour expliquer ce revirement. Simon Babre (devenu entre-temps préfet de l'Eure) n'a pas répondu à nos questions. Chez Alliance, Fabien Vanhemelryck tire une fierté d'avoir sauvé ses adhérents de la révocation. "Bien sûr qu'ils ont leur place dans la police, sinon je ne les aurais pas défendus. Je peux vous le dire droit dans les yeux, à 400%, à 500% si vous voulez ! Pourquoi ? Parce que ces agents ont été sanctionnés. En effet, ce qu'ils ont fait, ce n'est pas nécessaire, c'est condamnable et ils ont été condamnés. En effet, nous nous devions, à Alliance, de les défendre."

Interrogé par "Complément d'enquête", Frédéric Péchenard, ancien directeur général de la police nationale, assure qu'il les aurait "probablement révoqués". "Bien sûr qu'on est là pour défendre les policiers, mais pas quand ils font n'importe quoi. La violence, elle peut être légitime, auquel cas il faut défendre les policiers. Soit la violence est illégitime, et dans ce cas, il faut les sanctionner."


Regardez ce numéro de "Complément d'enquête", intitulé "Police : quand les syndicats font la loi", jeudi 1er décembre à 23 heures sur France 2, ainsi que sur franceinfo.

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