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Durcissement des peines contre les agresseurs de policiers : "De la poudre aux yeux", pour le syndicat de la magistrature

"L'examen des statistiques des peines prononcées montre qu'il y a une sévérité accrue de la justice au fil des années", a expliqué Katia Dubreuil, la présidente du syndicat.

Article rédigé par franceinfo
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Rassemblement de magistrats à Rennes, en septembre 2020 (illustration). (DAMIEN MEYER / AFP)

"C'est de la poudre aux yeux, la plupart des mesures annoncées existent déjà", a réagi Katia Dubreuil, présidente du syndicat de la magistrature, mardi 11 mai sur franceinfo, après l'annonce par Jean Castex d'un durcissement des peines pour les agresseurs de policiers et de gendarmes. L'annonce fait suite au meurtre du policier Éric Masson à Avignon.

franceinfo : Quel est votre sentiment face à ces annonces de Jean Castex ?

Katia Dubreuil : C'est principalement de la poudre aux yeux, car la plupart des mesures qui sont annoncées existent déjà et elles sont effectives, elles sont appliquées. Ce qui est problématique, c'est le message qui est envoyé par le Premier ministre, qui embraye sur l'idée selon laquelle le problème de la police serait la réponse judiciaire insuffisante. Il laisse la place aux syndicats de police pour dicter la politique pénale du gouvernement, alors que ce n'est pas vraiment le rôle des syndicats de police. Il y a des vraies difficultés auxquelles est confrontée la police, ça c'est certain. Mais elles sont mal analysées et donc on répond à côté des vrais problèmes.

À vos yeux, une amélioration de la réponse pénale n'est-elle pas nécessaire ?

Si l'on parle de la réponse pénale par rapport aux agressions de policiers, ce qui est certain, c'est qu'il y a déjà une particulière fermeté. À chaque fois qu'un policier est agressé, que ce soit des violences ou même des rebellions, des personnes qui résistent à leur interpellation, il y a des déferrements et des comparutions immédiates qui sont ordonnées, donc la particulière fermeté existe déjà. De la même façon, quand je lis qu'il va y avoir une circulaire pour rappeler qu'il faut une fermeté, il y a déjà eu des circulaires en ce sens. Si l'on parle de la réponse pénale à la délinquance en général, l'examen des statistiques montre qu'il n'y a pas d'explosion de la délinquance, contrairement à ce qu'on entend souvent, et l'examen des statistiques des peines d'emprisonnement ferme prononcées montre qu'il y a une sévérité accrue de la justice au fil des années.

Donc, il n'y a pas du tout de laxisme de la justice, contrairement à ce que l'on entend. C'est bien légitime qu'il y ait une émotion quand un policier est tué en plein centre-ville d'Avignon. Pour ce crime-là, la personne encourt une peine de réclusion à perpétuité. Elle sait qu'elle sera condamnée à une peine extrêmement lourde, et ce n'est pas le caractère dissuasif de la peine qui l'a empêché de commettre ce crime. Donc là, on est vraiment sur un diagnostic complètement à côté. On part de cette affaire-là, on dit que c'est parce que la police ne réprime pas assez les agressions contre elle que ça a pu se passer alors qu'en l'occurrence, quand on tire sur un policier et qu'on le tue, on sait qu'on va aller en prison pour de très longues années.

Avez-vous l'impression que le Premier ministre choisit d'écouter plutôt les syndicats de policiers que les représentants de la magistrature ?

Oui, c'est assez clair, cela fait des années. Pourtant, l'équilibre démocratique, c'est qu'il y a une justice indépendante et fondamentale, parce qu'elle permet de faire respecter l'État de droit, les libertés des citoyens et d'éviter le risque d'arbitraire du gouvernement. Donc, en théorie, il y a une place de l'institution judiciaire à part dans nos institutions, mais ce n'est pas le cas. Depuis des années et des années, les magistrats et les greffiers sont en nombre insuffisant, ils n'ont pas les moyens pour répondre assez vite à toutes les affaires qu'ils doivent traiter. C'est un souci par exemple dans le fonctionnement de la justice. On n'a jamais vu que quand les magistrats étaient en colère, faisaient une manifestation ou exprimaient le fait que ça n'allait pas, le Premier ministre les reçoive dans les deux jours et fasse des annonces comme ça se passe aujourd'hui pour les syndicats de police.

L'une de ces mesures est la suppression du rappel à la loi, remplacé par des travaux d'intérêt général notamment. Qu'en dites-vous ?

C'est une des seules mesures qui n'existaient pas déjà. Il faut vraiment dire que les possibilités de réduction de peine pour les agressions de policiers, c'est déjà fait, les peines de sûreté aussi, les délits spécifiques pour les violences contre les forces de sécurité, c'est déjà le cas aussi. Alors la suppression du rappel à la loi, c'est vraiment une idée assez saugrenue. Il y a une réponse pénale à 100%. Pour les infractions les moins graves qui avant étaient classées sans suite, on fait des rappels à la loi. Maintenant, on veut supprimer les rappels à la loi, ça n'a pas beaucoup de sens et ça n'apportera aucune réponse aux difficultés des policiers.

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