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Comment les insectes peuvent mener l'enquête sur les scènes de crime

Les insectes présents sur des cadavres sont utilisés depuis longtemps pour aider à résoudre des crimes. On vous explique comment.

Article rédigé par The Conversation
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Temps de lecture : 9min
Des punaises de lit. (ROGER ERITJA / BIOSPHOTO / AFP)

Observer et étudier les insectes et leur écologie n’est pas qu’une activité académique ou reliée aux activités humaines comme la santé et l’agronomie. Au cœur de la biodiversité, ils occupent toutes les niches écologiques et se nourrissent de (presque) tout. Rien d’étonnant, donc, que les insectes des cadavres sont utilisés depuis longtemps pour aider à résoudre des crimes.

Qu’est-ce qu’un cadavre, sinon une ressource de matière organique abondante au bénéfice de toute une faune et une flore spécialisée ? Les organismes se succèdent les uns après les autres pour exploiter chaque parcelle de nourriture potentielle. Cette communauté vivante accompagne et participe à une écologie de la décomposition. Ses membres recyclent la matière organique et la rendent disponible pour le fonctionnement des écosystèmes en revenant dans le cycle des éléments (carbone, azote, phosphore, etc.) ; en devenant accessible aux végétaux ; ou en revenant dans la chaîne alimentaire (les insectes sont mangés par les oiseaux, etc.).

Ce fonctionnement au sein des écosystèmes où les insectes interviennent, associés aux champignons, bactéries et autres décomposeurs, est une étape obligatoire. Les décomposeurs apparaissent comme les facilitateurs du système et leur rôle est prépondérant dans les tous les écosystèmes terrestres et également pour les écosystèmes marins, ils sont les opérateurs d’un service écologique majeur que l’économie environnementale tente d’évaluer.

Voyons d’un peu plus près comment ces organismes peuvent être utilisés comme de micro-experts dans les enquêtes criminelles

Entomologie forensique

La faune des cadavres. Gallica

L’entomologie (ou étude des insectes) a été depuis longtemps appliquée aux sciences médico-légales : l’entomologie est devenue forensique (du latin forum, place publique). La première utilisation officiellement reconnue a été celle d’un médecin hospitalier français, Louis Bergeret ou Bergeret d’Arbois, ami et médecin de Pasteur, vers 1855. Il a permis la résolution d’un infanticide en datant la période de la mort grâce aux insectes. Le premier traité de la discipline a, quant à lui, été écrit en 1894 par un entomologiste et vétérinaire du Muséum de Paris (MNHN), Jean‑Pierre Megnin : La faune des cadavres : application de l’entomologie à la médecine légale. Par la suite, ses méthodes seront affinées.

La science forensique a connu un grand succès avec des séries télévisées comme Les Experts ou au cinéma : une fois n’est pas coutume, l’entomologiste n’y est pas tourné en dérision… Les insectes, c’est du sérieux ! Leur importance dans le système médico-légal (ou criminalo-entomologique), s’appuie sur une connaissance précise des espèces intervenant au cours d’une décomposition. Plusieurs facteurs sont à prendre en compte : la géographie, l’écologie (dans quel écosystème ?), la climatologie, et certains caractères particuliers liés à l’écologie ou la physiologie de l’organisme en décomposition (qu’avait-il mangé, etc.)

Fourmis rouges s’alimentant sur un cadavre d’escargot géant africain (Achatina fulica). Narasha Mharte/Wikipedia, CC BY

Tous ces paramètres influent sur la structure et la composition des espèces (ou biocénoses) d’un processus de décomposition. Il est donc nécessaire de connaître au mieux, pour un lieu donné (à l’échelle d’une région par exemple), les espèces « incriminées » ou susceptibles de l’être. Pour cela on met en place des expériences contrôlées où des cadavres d’animaux sont utilisés (quelquefois « habillés » de vêtements). Chaque insecte sera alors scruté, déterminé et on tente de comprendre son rôle dans le processus. Ce n’est pas la partie la plus agréable de l’entomologie… mais peut-être l’un des plus utiles de l’écologie appliquée. Il s’agit de répondre à des questions précises : de quand date la mort ? où a eu lieu la mort ? dans quel type d’environnement ? le cadavre a-t-il été transporté ? etc.

Ainsi l’étude des insectes des cadavres est pertinente pour résoudre principalement des questions forensiques lorsque l’intervalle post mortem est de l’ordre de quelques quelques jours à quelques semaines.

Diptères en première ligne

Identification d’une pupe de Diptères sous microscope. Institut de recherche criminelle de la Gendarmerie nationale

Dans la plupart des cas ce sont les mouches (Diptères) qui seront en première ligne. Une première cohorte d’insectes (ou vague) s’abat sur le cadavre afin d’y pondre massivement. Une des informations les plus importantes sera la vitesse de développement des larves de mouches (les fameux asticots), dépendante de nombreux facteurs. Cette vitesse va notamment permettre de déterminer l’intervalle post mortem (IPM ou PMI en anglais) l’un des objectifs principaux de l’entomologie forensique.

Arrivent ensuite différents organismes qui se remplacent les uns les autres : coléoptères nécrophages, divers prédateurs de larves d’insectes nécrophages et aussi des insectes "touristes" (opportunistes).

Certains nécrophages ont un comportement remarquable et ont été observés par l’entomologiste Jean‑Henri Fabre qui résume ainsi une décomposition de cadavre par les insectes.

En même temps, s’empressent par escouades, venues on ne sait d’où, le Silphe aplati, l’Escarbot luisant trotte-menu, le Dermeste poudré à neige sous le ventre, le Staphylin fluet, qui tous, d’un zèle jamais lassé, sondent, fouillent, tarissent l’infection. Quel spectacle, au printemps, sous une taupe morte !

Jean‑Henri Fabre, entomologiste

C’est une petite communauté efficace et interdépendante qui s’installe pour profiter de l’opportunité et exploiter l’intégralité de la ressource organique en un temps limité (on parle de synusie). Jusqu’à la dernière phase où il ne restera que des fragments desséchés, eux aussi exploités par des insectes spécialisés.

Et l’ADN ?

L’ADN, qu’il faut recueillir sur les organismes et étudier par séquençage, est un outil puissant qui peut être utilisé pour aider à déterminer les organismes en présence sur un cadavre (barcoding moléculaire). La génétique n’est pas, à cet effet, seule en scène : les références (banque de données de séquences d’ADN des organismes) sont basées sur des étalons morphologiques, déposés dans des collections publiques (spécimens ou vouchers). Un exemple d’analyse impliquant un insecte : il est possible de retrouver a posteriori l’ADN d’un suspect dans les punaises de lits (Cimex lectularius) d’une scène de crime, jusqu’à 90 jours.

Dans le même ordre d’idée, les insectes peuvent être étudiés pour retrouver a posteriori la présence de composés chimiques dans un organisme en décomposition. En effet, ce processus complique la recherche de molécules, mais la présence d’insectes collectés pendant une enquête permet de retrouver les substances recherchées dans leurs corps en calculant leur dose. Des expérimentations ont permis d’établir des relations entre les doses chez les insectes et leurs hôtes dont ils se sont nourris. C’est une forme de « mémoire écotoxicologique » très utile dans les investigations, et qui est devenu une sous discipline de l’entomologie forensique.

On l’a vu, les insectes peuvent "mener" les enquêtes car ils sont maintenant bien connus pour leur participation aux processus de décomposition dans la plupart des régions du monde. Mais pas encore toutes. Le travail scientifique est donc toujours en cours par l’expérimentation et l’établissement de bases de données de connaissances pour développer la taxonomie et l’écologie des insectes, notamment ceux impliqués dans les processus de décomposition et pour affiner les analyses afin de résoudre crimes et infractions pénales.

The ConversationEt n’oublions pas, entre autres, qu’ils vont sauver le monde !

Romain Garrouste, Chercheur à l’Institut de systématique, évolution, biodiversité (UMR 7205 MNHN-CNRS-UPMC-EPHE), Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités et Salman Shayya, Doctorant en entomologie forensique, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) – Sorbonne Universités

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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