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Guadeloupe : les raisons d'une violence record

Manuel Valls se rend jeudi aux Antilles. Il sera vendredi en Guadeloupe, une île où trente-neuf personnes ont été tuées depuis le début de l'année.

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un gendarme barre la route aux habitants de Petit-Bourg (Guadeloupe), le 30 juin 2013, après un drame familial s'étant soldé par la mort de six personnes. (EDDY NEDELKOVSKI / AFP)

Elle ne possède pas l'aura médiatique de Marseille, et pourtant. La Guadeloupe côtoie elle aussi la violence. Depuis début 2013, trente-neuf homicides ont été commis sur cette île de 440 000 habitants, faisant d'elle le département français le plus meurtrier. Les chiffres de l'Observatoire national de la délinquance (PDF) dessinent un tableau noir. Entre août 2012 et août 2013, les atteintes aux biens ont augmenté de 4,5% (contre 0,9% entre 2011 et 2012) tandis que les violences physiques, sexuelles ou encore les homicides ont bondi de 20,1%. Alors que le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, se rend, jeudi 17 octobre, dans les Antilles, francetv info liste les explications à cette situation.

Un terreau économique favorable

A l'instar de la métropole, la crise frappe durement la Guadeloupe. "Le chômage y est permanent", explique la sociologue Patricia Braflan-Trobo, interrogée par francetv info. Selon les chiffres de l'Insee, le taux de chômage atteint 23%, soit deux fois la moyenne métropolitaine, mais la sociologue table plutôt sur 30%. "Il peut atteindre 80% dans certains quartiers", avance Eric Jalton, député-maire PS des Abymes, commune voisine de Pointe-à-Pitre. Les jeunes payent un lourd tribut avec "plus de la moitié des 25-30 ans" sans emploi, souvent des hommes.

Si la majorité d'entre eux parvient sans problème à s'insérer, une petite portion sombre dans la délinquance. "Il ne faut pas oublier que la Guadeloupe est une île, rappelle Patricia Braflan-Trobo. Quand un jeune ne travaille pas, il ne peut pas aller dans le département d'à côté pour trouver du travail." Deux solutions se dessinent alors : "Soit il gagne la métropole sans garantie de réussite ; soit il reste, multiplie les petits boulots, traîne." Or "la frontière avec la délinquance est fine. Ceux dont les familles connaissent le plus de difficultés sombrent, traînent, dealent et boivent."

Le pas vers la violence se fait aisément, surtout dans une île au lourd passé. "C'est une terre singulière, née de la violence pendant la colonisation. La population guadeloupéenne est ainsi beaucoup plus violente que celle de Martinique", explique Patricia Braflan-Trobo.

Alcool, drogue et armes, le cocktail explosif

"La violence a toujours existé, mais aujourd'hui il y a un passage à l'acte, du fait de l'utilisation d'armes à feu", analyse Eric Jalton. Fusils à pompe ou de chasse, trouvés lors de cambriolages ou au gré des trafics, armes blanches… "On tue avec tout et n'importe quoi" en Guadeloupe, lâche Christian Klock, secrétaire départemental de l'Unsa Police Guadeloupe, contacté par francetv info.

Ajoutez à cela quelques substances illicites, et le cocktail fait des étincelles. "Quand vous mettez ensemble les jeunes, l'alcool, la drogue, les armes et le chômage, ça ne peut que donner ce résultat", résume Patricia Braflan-Trobo. "Toutes les conditions sont réunies", renchérit Eric Jalton. Les situations dégénèrent vite. "Les armes parlent souvent pour des raisons futiles. On tue pour un regard... pour rien du tout", déplore Christian Klock, policier de terrain. Pour une simple bagarre dans une discothèque, comme pour un banal désaccord réglé d'une balle de fusil en pleine tête.

Des moyens insuffisants

Depuis son arrivée sur l'île, Christian Klock dit avoir "vu les choses changer, les interventions se durcir". Mais rien n'est venu endiguer cette tendance "qu'on dénonce depuis un bout de temps". Principale responsable selon lui : la révision générale des politiques publiques (RGPP), mise en place sous Nicolas Sarkozy, et le non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux. "Nos effectifs ont fondu comme neige au soleil, déplore-t-il. La gendarmerie du Gosier a fermé, le commissariat fonctionne avec peu de personnes, la brigade nautique de la police n'existe plus." Par conséquent, la violence s'est développée et les "petites frappes ont pris de l'assurance".

Depuis novembre 2012, le secteur de Pointe-à-Pitre/Les Abymes est classé Zone de sécurité prioritaire (ZSP). "Mais la criminalité s'est décentralisée. Les criminels sévissent désormais dans des communes limitrophes de la zone couverte", indique Eric Jalton, qui souhaite que la ZSP soit étendue à toute la conurbation de Pointe-à-Pitre. Le renfort de 75 gendarmes et 27 policiers, annoncé en juin par Jean-Marc Ayrault, n'a pas changé la donne : ils ont "à peine compensé les départs à la retraite et les retours en métropole", estime Christian Klock. Lui réclame une soixantaine d’agents en plus "pour remettre à niveau les services".

Le député-maire des Abymes dénonce cette "pénurie de moyens. On fait notre part de boulot, mais les dispositifs sont débordés. Nous en appelons à l'équité territoriale et républicaine." Patricia Braflan-Trobo pointe aussi le désengagement de l’Etat. "Il y a presque 30% de chômage et il n'y a aucune politique d'intervention forte de la part du gouvernement. Il y a un désintérêt et on le sait bien. La Guadeloupe n'est pas la première préoccupation de l'Etat."

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