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Corse : "Expliquer la violence par la mafia est inapproprié"

Le journaliste Sampiero Sanguinetti, auteur de "La Violence en Corse, XIXe-XXe siècles", explique à francetv info les racines de la criminalité sur l'île de Beauté.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
La police recherche des indices sur les lieux où le président de la CCI de Corse-de-Sud, Jacques Nacer, a été tué par balle le 14 novembre 2012 à Ajaccio. (PASCAL POCHARD-CASABIANCA / AFP)

FRANCE – Alors que l'île de Beauté connaît une série d'assassinats, le dernier livre de Sampiero Sanguinetti, La Violence en Corse, XIXe-XXe siècles (éditions Albiana), fait mouche. Journaliste, il a été l'un des inventeurs de la télé régionale corse. Durant trente ans, il a été le témoin d'une violence aujourd'hui en peine recrudescence. 

Francetv info : Au lendemain de l'assassinat du président de la chambre de commerce et d'industrie de Corse-du-Sud, Manuel Valls, en visite en Corse jeudi 15 novembre, a parlé de "mafia" pour décrire la situation. Que pensez-vous du point de vue du ministre de l'Intérieur ?

Sampiero Sanguinetti : Cette violence est si difficile à analyser que je comprends qu'on puisse l'expliquer par des catégories toutes faites comme la mafia. Mais c'est très périlleux. C'est une question complexe, qui a sa spécificité : en Corse, il n'y a pas d'organisation mafieuse pyramidale comme en Sicile.

Sur l'île, le manque de confiance à l'égard des institutions judiciaires est plus que récurrent. L'utilisation des méthodes antimafia, comme en Sicile, ou antiterroristes n'a pas apporté de résultat probant. Les moyens utilisés n'ont pas créé la confiance et sont loin d'avoir rapproché les citoyens de la justice : les groupes d'intervention spécialisés avec cagoules et avions du petit matin, qui ont pu relâcher les interpellés sans même un billet de retour, ou encore les juridictions interrégionales spécialisées (Jirs), qui utilisent la procédure du témoin sous X sans que l'on sache si ce témoin existe vraiment. La Sicile a son histoire, nous avons la nôtre, y compris dans les drames.

Alors quel regard portez-vous sur ces crimes qui se multiplient, sur l'histoire de toute cette violence ?

La société corse vit un profond malaise, et depuis longtemps. Et ce n'est pas le fait d'un prétendu gène de la violence des gens du Mezzogiorno. Selon l'Insee, nous sommes la région la plus pauvre de France. Une réalité que les Corses eux-mêmes s'ingénient à cacher. Le chômage des jeunes est l'un des plus graves du pays, de même que l'échec scolaire, en particulier celui des garçons. Le terreau de ce marasme économique est donc très favorable à un développement hors normes de la délinquance.

En fait, tout cela a démarré dans les années 1960. La Corse a été perçue comme un futur eldorado touristique. Nous étions une région sous-développée et les banques sont arrivées en nombre, comme les promoteurs. Cela a engendré un nationalisme avec une composante très violente, jusqu'à 700 attentats par an, dans une société qui se sentait en danger. Alors le milieu corse a quitté Paris et Marseille pour revenir au pays et y faire des affaires. Rapporté à la population, nous avons le tourisme le plus puissant de toute la Méditerranée. Cela attire beaucoup de monde, d'autant que ce n'est toujours pas maîtrisé. Ajoutez à cela l'explosion du trafic de drogue, vous avez le cocktail de notre violence. 

Alors quels pourraient être les remèdes ? 

Il y a deux niveaux d'intervention indispensables. Localement, l'Assemblée de Corse doit s'atteler au problème du développement économique. Après trente ans de retard, c'est seulement maintenant que ce travail semble commencer. Le chômage des jeunes doit être la priorité. Ensuite, au niveau national, l'Etat doit assurer la sécurité. Il s'est longtemps fourvoyé en se focalisant sur le nationalisme, oubliant le grand banditisme.

Mais récemment, une chose m'a beaucoup troublé. Dans une interview au Monde donnée peu après l'assassinat de l'avocat Antoine Sollacaro, le juge Gilbert Thiel a soulevé de nombreuses questions sur la réalité de l'action de l'Etat. Toutes les époques y passaient : on n'aurait pas cru Robert Broussard, préfet de police en Corse dans les années 1980, lorsqu'il disait que le crime organisé investissait pour blanchir l'argent sale ; les ex-ministres de l'Intérieur Charles Pasqua et Jean-Louis Debré auraient été trop indulgents avec le terrorisme ; la DCRI aurait eu un fonctionnement opaque ; les Jirs compteraient nombre d'incompétents… Vous imaginez bien que lorsque la population apprend tout cela, le problème de la confiance est total. Or c'est cela qu'il faut restaurer. L'Etat doit clarifier son action, la rendre plus lisible, plus logique. Manuel Valls lui-même, sur le plateau de France 2, a reconnu qu'il répétait des choses qui avaient été maintes fois dites. C'est cela qu'il faut changer !

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