"Les bijoutiers se défendent parce qu'ils n'en peuvent plus"
Cambriolés, braqués, séquestrés… Les membres de la profession sont exaspérés. Reportage.
"Un homme s'est précipité dans la boutique et a pointé son arme vers moi. Il avait l'air paniqué et surexcité, je pense qu'il était drogué. Il semblait avoir aussi peur que moi." Encore fébrile, Olivia*, employée d'une bijouterie du 15e arrondissement de Paris, raconte l'attaque qu'elle a subie en mai. "Il ne m'a pas touchée, poursuit-elle. Mais les propriétaires de la bijouterie voisine ont eu moins de chance. Ils ont été tabassés lors d'un autre cambriolage, quelque temps après." Cette année, pas moins de trois braquages ont eu lieu dans la rue d'Olivia.
C'est presque devenu banal. "Il y a deux ans, lorsque j'organisais des formations à la sécurité pour les bijoutiers, je ne demandais jamais qui avait déjà été braqué, mais plutôt qui ne l'avait pas été, affirme Claude Barrier, ancien président de la commission de sécurité au sein de la Fédération des horlogers, bijoutiers, joailliers et orfèvres, et propriétaire d'une bijouterie dans le 15e arrondissement de Paris. Généralement, seules deux ou trois personnes levaient la main sur une quinzaine de participants."
Près d'un braquage par jour
Le fatalisme semble gagner certains bijoutiers, comme Julien, 39 ans, installé dans le Quartier latin. Sa boutique a été braquée et saccagée l'année dernière, alors que son employée était seule pour ouvrir. "De toute façon, ils reviendront quoi que l'on fasse, estime-t-il. Ils choisissent le bon moment, généralement quand il n'y a qu'une seule personne présente. Ils attaquent la journée car la nuit, les bijoux sont dans les coffres. Chez nous, le braqueur a agi à visage découvert, il se fichait complètement d'être filmé par nos caméras de surveillance et il s'est enfui sur un scooter. Mon employée, elle, est traumatisée."
Pourtant, depuis l'an dernier, le nombre de braquages de bijouteries est en baisse, d'après l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP). Les vols à main armée ou avec violence sont passés de 143 en 2008 à 359 en 2011, puis ont légèrement diminué, à 327 en 2012. Cette année, à fin octobre, on dénombrait 231 attaques de bijouteries. Les malfaiteurs privilégient désormais les petits commerces et les PMU. "Rapporté à leur nombre, les bijouteries ont toujours le taux de braquage le plus élevé de l'ensemble des commerces", note toutefois le directeur de l'ONDRP, Christophe Soullez. "Bijoutier reste une profession extrêmement exposée, confirme ChristineBoquet, présidente déléguée de l'Union de la bijouterie-horlogerie. On en est quasiment à un braquage par jour. Et surtout, les braquages sont de plus en plus violents."
Une violence disproportionnée
Christophe Soullez confirme ce sentiment présent chez toute la profession. "Un quart des vols à main armée contre les bijoutiers sont accompagnés d'actes de violence ou de séquestration, note-t-il. C'est un taux très élevé par rapport aux autres commerces." Il décrit une nouvelle génération de braqueurs, jeunes, inexpérimentés, qui n'ont pas toujours le contrôle d'eux-mêmes et sont prompts à déployer une violence sans commune mesure avec le butin escompté. "Le braquage était réservé, il y a encore quelques années, à un certain niveau de professionnels. Nous sommes face à un phénomène nouveau."
Bijoutier depuis 1959, Claude Barrier a vu les conditions de travail changer. "Il faut être beaucoup plus vigilant qu'avant", estime-t-il. Pour cet ancien spécialiste de la sécurité des bijoutiers, le meilleur moyen de lutter contre les agressions reste d'éviter les intrusions en équipant les boutiques. Lui-même a installé une porte qui s'ouvre uniquement quand on sonne, ainsi que des caméras de vidéosurveillance. De nombreux moyens existent, comme le blindage des vitrines et des portes, la vidéosurveillance, les sas, les présentoirs escamotables ou les vaporisateurs qui aspergent les braqueurs de microparticules fluorescentes permettant de les confondre.
Rondes de police et formations à la sécurité
Pour que les bijoutiers puissent sécuriser au mieux leur boutique sans avoir à investir lourdement, Christine Boquet milite pour un crédit d'impôt, à l'instar de ce qui existe en Belgique. "Installer un sas ou une vitrine blindée coûte très cher", rappelle-t-elle.
D'autres, comme Arnaud, employé d'une bijouterie dans le 5e arrondissement parisien, optent pour la prudence : "L'hiver, je refuse systématiquement de laisser entrer quelqu'un qui est camouflé sous son bonnet ou dans son écharpe. Je fais signe à la personne de les enlever. De plus, les policiers font des rondes et nous ont donné un numéro d'urgence à appeler si nous trouvons quelqu'un suspect. Ils interviennent même s'il n'y a rien de concret. C'est rassurant." De la même façon, Claude Barrier conseille à tous les bijoutiers de suivre des formations à la sécurité. "On y apprend de précieux conseils et surtout les attitudes à adopter en cas de braquage", insiste-t-il.
"Le coût des assurances a explosé"
Pas question de riposter, comme ont pu le faire le bijoutier de Nice ou celui de la Marne, qui ont tué les braqueurs de leur boutique. "Dans les formations sécurité que nous proposons, nous déconseillons absolument de recourir à l'autodéfense, explique Christine Boquet. Mais de toute façon, seule une minorité de bijoutiers est armée." Arnaud comprend l'exaspération de ses confrères qui en viennent à tuer leur agresseur. "Mais je ne l'aurais jamais fait, c'est trop risqué. Si vous répliquez, le braqueur ou son complice peuvent se retourner contre vous. Je ne veux pas perdre la vie pour du matériel."
"Les bijoutiers se défendent parce qu'ils n'en peuvent plus, s'énerve Sandra, 26 ans, qui tient une bijouterie en Charente-Maritime. Le coût des assurances a explosé ces dernières années. De plus, notre prime d'assurance augmente à chaque braquage. Et au bout de trois casses, on ne veut tout simplement plus nous assurer." "Les assurances ont augmenté de 20% à 30% en moyenne depuis cinq ans, mais c'est sans commune mesure avec l'augmentation des braquages, qui est de 100%, tempère Gérard Drahy, directeur général de Dufaud Assurances, le principal courtier d'assurances du secteur. Et il est normal d'augmenter la prime après un sinistre. Mais pour notre part, si le bijoutier fait le nécessaire pour sécuriser son établissement après un braquage, nous ne cessons pas de l'assurer."
* Tous les prénoms ont été changés
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