: Récit On vous raconte l'histoire de Christelle Doisy, arnaqueuse compulsive accusée d'une cinquantaine d'escroqueries
Se plonger dans le parcours de Christelle Doisy, c'est mettre le nez dans une vie bâtie sur le mensonge, jalonnée d'innombrables déménagements, de mariages éphémères, de chèques en blancs, de loyers impayés et de départs précipités. C'est l'histoire d'une arnaqueuse en série, aujourd'hui âgée de 50 ans, connue de presque tous les tribunaux de France : Le Mans, Agen, Tours, Troyes, Grasse, Pau... Ses victimes sont si nombreuses qu'il serait impossible de toutes les recenser. Cette femme, décrite comme une redoutable manipulatrice par celles et ceux qui ont eu le malheur de croiser sa route, sévit depuis plus de trente ans, de manière compulsive.
Christelle Doisy comparaît jeudi 12 et vendredi 13 septembre devant le tribunal correctionnel d'Amiens, aux côtés de son ex-mari, Frédéric Descours, pour une cinquantaine d'infractions commises entre 2010 et 2016, tout au long de leur vie à deux. Ils sont poursuivis notamment pour escroqueries, contrefaçons, falsifications de chèque, obtention frauduleuse de documents d'identité ou encore traite d'êtres humains. "Elle reconnaît 95% des faits qui lui sont reprochés", précise son avocat Paul-Henri Delarue. Contrairement à son ex-compagnon, qui affirme avoir été "totalement manipulé".
Faux chèques et vrais impayés
Pour comprendre ce qui leur est reproché, il faut remonter au mois de mai 2010, au moment de leur rencontre sur un site internet. Lui a alors 43 ans, il est tout juste retraité militaire de la marine, après vingt-deux années de service, et travaille à mi-temps comme contrôleur technique automobile. Il vit alors dans un lieu-dit en Dordogne avec ses parents et cherche à rencontrer quelqu'un. Christelle Doisy, 36 ans, lui apparaît comme la femme idéale : elle dit être cheffe de rang dans un restaurant à Auch (Gers) et rechercher une relation sérieuse. La trentenaire aux longs cheveux blonds roux le met tout de suite en confiance.
Frédéric Descours est loin de se douter que celle qui se présente à lui sous le nom d'Alexandra Bertrand vient de s'échapper de la prison d'Agen. A ce moment-là, Christelle Doisy fait même l'objet d'un mandat d'arrêt. Son périple de faussaire a débuté en 2000, à 26 ans, lorsqu'elle a quitté définitivement la petite ville de Migennes, dans l'Yonne, d'où elle est originaire. En 2003, elle est condamnée pour la première fois à de la prison ferme par le tribunal du Mans, après avoir détourné les chèques des clients d'une salle de sport dont elle tenait les inscriptions. Jusqu'en 2009, elle accumule huit condamnations, notamment pour usage de chèques frauduleux et pour ne pas avoir payé les locations ou les hôtels dans lesquels elle séjourne.
Une cavale invraisemblable
Si Christelle Doisy est emprisonnée à la maison d'arrêt à Agen, c'est parce qu'elle a persuadé en 2004 son compagnon d'alors, âgé de 67 ans, de lui céder ses parts dans un restaurant situé à Elne, près de Perpignan (Pyrénées-Orientales). Une fois aux commandes, la multirécidiviste a purement et simplement arrêté de payer les fournisseurs et empoché l'entièreté des bénéfices, ce qui lui a valu ce deuxième séjour en prison. Mais à quinze jours de sa libération, celle qui avait eu une conduite exemplaire jusqu'ici décide de s'enfuir lors d'une mesure de semi-liberté qui lui avait été accordée. Un geste irrationnel, qui la met sur le chemin de Frédéric Descours, alors qu'elle cherche à échapper à la police.
Quelques semaines seulement après leur rencontre, la fugitive s'installe chez lui, en pleine campagne, et se rend petit à petit indispensable à sa vie. Elle prend notamment le contrôle sur ses comptes et tombe enceinte en septembre 2010, quelques mois après leur rencontre. Elle dit attendre des jumeaux. C'est là que la vie du couple prend une tournure abracadabrantesque : d'après le récit de Frédéric Descours, sa compagne rentre un jour en prétendant avoir perdu l'un des bébés, après avoir participé à une expérience scientifique qui aurait mal tourné. Lui jure avoir cru à cette énormité. Elle ajoute que cette expérience lui a fait contracter une myasthénie, une maladie nerveuse dégénérative, lui faisant perdre l'usage de ses jambes.
Dès lors, elle ne peut plus se déplacer qu'en fauteuil roulant. Avec le recul, Frédéric Descours pense qu'il s'agissait d'un stratagème pour qu'elle n'ait pas à conduire et donc à présenter ses papiers en cas de contrôle de la police. Le mensonge ne s'arrête pas là : sa compagne prétend que, pour la faire taire, et ne pas dévoiler le contenu de cette expérience, des tueurs à gage sont à ses trousses. Ils doivent donc disparaître. C'est le début de leur cavale contre un ennemi imaginaire.
Des disparitions du jour au lendemain
Le couple se marie au Danemark en 2011 et Christelle Doisy accouche en juin de leur fils, à Ostende, en Belgique. Le petit Jordan* est très chétif, pesant "1,8 kg à la naissance", précise son père aujourd'hui. Le couple décide pourtant de le sortir de l'hôpital, contre l'avis des pédiatres. Les médecins lancent alors un signalement d'enfant en danger. Trop tard : les jeunes parents sont déjà partis se cacher au Maroc. Deux ans plus tard, ils sont contraints de revenir sur le sol européen pour que Christelle Doisy accouche de leur petite fille, Anna*, née en janvier 2013, en Belgique toujours, mais à Ath cette fois. Sa mère retrouve miraculeusement l'usage de ses jambes cette année-là.
La cavale se poursuit "et la pression s'accentue", décrit Frédéric Descours, rappelant qu'il fallait toujours échapper à cette mystérieuse mafia qui en avait après son épouse. "On déménage environ 50 fois en six ans", explique-t-il à franceinfo. Le couple ne reste parfois que quelques jours dans les logements qu'il loue, toujours grâce à de faux contrats de travail et fiches de paie. Les préjudices s'accumulent : ils ne versent pas un centime aux propriétaires et disparaissent systématiquement du jour au lendemain. Régulièrement, ils emportent avec eux du mobilier ou des objets en tout genre : linge de maison, jouets, vaisselle, électroménager...
Entendus par la police, les plaignants décrivent une femme sûre d'elle, sympathique au premier abord, et un mari plus silencieux. "Madame était le cerveau et lui les bras", déclare l'une des victimes. Le couple choisit ses points de chute notamment grâce à un pendule et vit reclus avec ses enfants, jamais scolarisés. Frédéric Descours a totalement rompu les liens avec sa famille.
"Je suis coupé du monde. Je n'ai plus de téléphone, plus d'adresse, je m'occupe des enfants du matin au soir, tandis qu'elle gère l'administratif. Je suis éreinté."
Frédéric Descours, ex-mari de Christelle Doisyà franceinfo
Il assure par ailleurs que lui et les enfants ont été drogués par son ex-épouse pendant toutes ses années, afin de les garder dans une forme de soumission mentale. "J'avais des périodes où j'étais en colère, je me rebellais. Et cinq minutes plus tard, je devenais un vrai mouton, se souvient-il. Comme par hasard, c'était après qu'elle me propose une petite tisane. Mais ça, je m'en suis rendu compte bien après." Si cette affirmation n'a pas été prouvée par une expertise médicale, les enquêteurs ont toutefois retrouvé de nombreuses ordonnances d'anxiolytiques (falsifiées bien sûr) au domicile du coup. Une femme ayant côtoyé quelques jours Christelle Doisy et Frédéric Descours a également signalé avoir vu la mère mettre une poudre dans le lait de son enfant pour le faire dormir et a certifié l'avoir vu écraser un cachet et le mettre dans son biberon.
L'inévitable arrestation
Après des années d'errance sur les routes de France (et d'ailleurs), des dizaines et des dizaines d'arnaques en tous genres, le couple sera finalement interpellé le 10 mars 2016. Leur ultime cachette se situe dans un petit village de la Somme. Les gendarmes de la section de recherche d'Amiens enfoncent leur porte à l'aube. "Je me dis : 'Ça y est, ce sont les tueurs, ils nous ont retrouvés !'" raconte Frédéric Descours, avant de se rendre compte, une fois menotté, qu'il s'agit des forces de l'ordre. "Je ne comprenais plus rien", se souvient-il. A l'issue de leur interpellation, leurs deux enfants sont immédiatement placés auprès de l'Aide sociale à l'enfance (ASE).
A leur domicile, des passeports et cartes d'identité sont retrouvés au nom d'Alexandra et Frédéric Vial. Ces noms d'emprunt ont également été utilisés pour créer des papiers à leurs enfants. Les documents ont été produits par la mairie d'Amiens, qui s'est fait avoir par de faux justificatifs présentés par le couple. Tous deux avaient pour projet de partir au Panama, déclareront-ils face aux enquêteurs. Lors de son audition, Christelle Doisy assure que son mari était au courant de tous ses agissements et y participait activement. Lui se présente comme une victime, vivant dans l'ombre de sa femme, ce que les magistrats ne croient pas. L'expert psychologue mandaté pour examiner son cas estime qu'il n'a pas pu être manipulé comme il le prétend, et ses proches ne le décrivent pas comme influençable.
Le jour de l'arrestation, Lauranne M., jeune fille au pair de 19 ans qui vivait avec eux depuis plusieurs mois, est également entendue. Complètement déphasée, elle est d'abord incapable de décliner son identité et livre un discours décousu. Réentendue plus tard, cette jeune femme à l'histoire familiale compliquée affirme avoir été manipulée par les époux, qui la forçaient à prendre des anxiolytiques pour la "shooter". Elle ajoute qu'ils lui imposaient des régimes grossissants ou amaigrissants, dans le but de la maintenir à un poids de 62 kilos. Elle assure qu'elle était devenue la bonne à tout faire du couple et décrit Frédéric Descours comme un homme tyrannique, et violent verbalement. Ce dernier rejette ces accusations et affirme qu'elle "ne faisait que participer aux tâches ménagères". Pour ces faits, le couple est également poursuivi lors de ce procès pour traite d'être humains.
Allers-retours en prison
A l'issue de leur garde à vue, Christelle Doisy et Frédéric Descours ont été incarcérés pendant un an, en détention provisoire, avant d'être remis en liberté sous contrôle judiciaire en mars 2017. A peine sortie, Christelle Doisy jette son dévolu sur un autre homme : Bruno Lheureux, alors âgé de 51 ans, qu'elle rencontre sur Meetic et qu'elle épouse en 2018. "Elle se comporte extrêmement bien au début de leur relation, elle prend soin de lui", explique son avocate Angélique Crépin.
"Mon client lui faisait confiance de manière inébranlable."
Angélique Crépin, avocateà franceinfo
Jusqu'à la laisser gérer les comptes, une erreur qui lui coûtera cher. Sans surprise, elle en profite pour détourner de l'argent de la Caisse d'allocations familiales (CAF) et ne paye pas les loyers. Un jour, fin 2018, Bruno Lheureux rentre chez lui et découvre que la maison a été entièrement vidée. "Tout avait disparu. L'ensemble des meubles, jusqu'aux vêtements de mon client", relate Angélique Crépin, précisant qu'elle a également emmené sa voiture. La faussaire s'est volatilisée au moment où les huissiers venaient d'annoncer leur venue imminente.
En mai 2022, elle viole son contrôle judiciaire en quittant la Somme avec ses enfants, qu'elle soustrait à l'ASE. Jordan et Anna sont retrouvés en quelques jours, en Auvergne-Rhône-Alpes, où elle s'était établie avec son nouveau compagnon. Son contrôle judiciaire est révoqué et Christelle Doisy retourne en prison. Elle finit par en sortir quelques mois plus tard. En octobre 2023, alors qu'elle avait la garde de ses enfants pour une semaine, elle s'enfuit "au volant d'un camping-car loué à un couple des Bouches-du-Rhône et qu'elle n'a pas rendu", détaille Le Parisien. Sa trace est retrouvée en Grèce, où elle est interpellée quelques semaines plus tard. Elle est de nouveau incarcérée.
Après une succession de renvois, Christelle Doisy devrait bien être présente à son procès jeudi. "Elle n'est pas bien du tout et présente de gros signes d'anxiété", souligne son avocat, Paul-Henri Delarue. "Par ailleurs, la couverture médiatique dont elle fait l'objet rend sa détention compliquée : les reportages la concernant font que tout le monde sait qui elle est." Vu l'épaisseur du dossier, pas sûr que ces deux jours d'audience suffiront pour que Christelle Doisy s'explique en détail sur les charges qui pèsent contre elle. D'autant qu'elle dit souffrir de troubles de la mémoire et avoir du mal à se souvenir de ce qui lui est reproché. S'agit-il d'un nouveau mensonge ? Un expert psychiatre a été mandaté pour le déterminer. Ses conclusions seront livrées lors de l'audience.
*Les prénoms ont été modifiés.
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