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Reclus de Monflanquin : Thierry Tilly condamné à dix ans de prison

Il est accusé d'avoir manipulé onze membres d'une même famille aristocrate, et comparaissait en appel à Bordeaux. La cour a été plus loin que le jugement de première instance. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Thierry Tilly, le manipulateur des "reclus de Monflanquin", le 27 septembre 2012 au palais de justice de Bordeaux (Gironde).  (FABIEN COTTEREAU / MAXPPP)

Il est accusé d'avoir manipulé, dix ans durant, les onze membres de la famille Védrines. Thierry Tilly a été condamné à dix ans de réclusion, la peine maximale, par la cour d'appel de Bordeaux, mardi 4 juin. Il avait écopé de huit ans de prison le 13 novembre 2012, en première instance.

Le sosie de Bill Gates aux airs de premier communiant, visagé émacié, était accusé d'"escroquerie", "extorsion de fonds", "abus de faiblesse sur personnes en état de sujétion psychologique ou physique" et "séquestration accompagnée d'actes de torture ou de barbarie". Portrait d'un brillant mythomane manipulateur.

Un passé fantasmé

"Un peu de vrai, un peu de faux, un peu d'absurde ; vous mélangez tout ça et vous avez Thierry Tilly", résumait pendant les audiences le procureur, Pierre Bellet. C'est que l'homme s'est créé tout un monde imaginaire. Né en mars 1964 à Bois-Colombes (Hauts-de-Seine), ce fils d'un employé du ministère de la Défense se croit "descendant direct de la dynastie royale des Habsbourg", fruit de l'union d'un "nageur de combat" et d'une championne olympique de patinage artistique.

Thierry Tilly s'invente un improbable CV, avec autant d'expériences dans le luxe que dans la finance, l'informatique et le droit, ainsi que des capacités sportives hors norme. Mais ce qu'il revendique par-dessus tout, ce sont des contacts "hauts placés". De Bernard Kouchner à Alain Minc, en passant par "Liliane de Bettencourt" et "madame Gergorin", ce réseau époustouflant lui permet d'impressionner les Védrines. Officiellement, il s'appuierait dessus pour les aider, débloquer des subventions, avoir accès à des placements financiers intéressants. 

Un confident porté par son besoin de séduire

En réalité, son meilleur atout, bien réel lui, c'est son formidable instinct. D'abord confident de Ghislaine de Védrines, épouse Marchand, quinquagénaire que des évènements privés fragilisent, il est une oreille attentive. Il l'écoute évoquer le vernis de la famille bon teint que les jalousies déchirent en coulisses. Entend le besoin de reconnaissance des enfants, mal dans leurs chaussures bateau, écrasés par la pression sociale. Le sentiment de ces nobles propriétaires terriens protestants "d'appartenir à une minorité économique et religieuse", comme l'avait souligné la présidente du tribunal. 

Pour eux, Thierry Tilly ne compte pas ses heures. "A chaque question, chaque problème, il avait une réponse. Exactement celle qu'on attendait", expliquaient tour à tour les membres de la famille Védrines, qui racontaient en octobre leur envoûtement. Le bonhomme présente bien, charme, et satisfait ainsi "son besoin de séduire, de toute-puissance" qu'ont détecté psychologues et psychiatres au cours de leurs expertises.

Thierry Tilly organise chaque minute de la vie de la famille. Il réussit à la convaincre qu'elle est en danger, menacée par un complot franc-maçon et par la hargne, le "harassement" répète-t-il, sans s'apercevoir de l'anglicisme, de Jean Marchand, mari de Ghislaine, finalement suspicieux, qu'il évince dès 2001. Manipulant chacun en fonction de son caractère, il les conditionne de sorte qu'il n'ait plus qu'à tirer sur deux ficelles. Il utilise la poigne de Ghislaine Marchand pour faire passer ses ordres, en faire sa véritable "courroie de transmission", expliquent les reclus. Et l'envie de Guillaume de Védrines de construire sa carrière pour l'exploiter, lui servir de paravent officiel, le réduire à l'état de "larbin". Il fait voyager les uns, confie des missions aux autres, les épuise.

"Des éléments de vérité pour construire des mensonges"

Tilly joue sur les valeurs des Védrines, comme leur obéissance et leur attachement viscéral à la notion de famille, avec une incroyable perversité, elle aussi soulignée par les experts. Il dissout toute velléité de doute par un flot ininterrompu de paroles, comme devant la présidente du tribunal correctionnel qui avait fini par lui intimer, exaspérée : "Ne saoulez pas le tribunal." "Il a besoin de remplir l'espace comme un moyen d'emprise sur lui-même et sur les autres", assène l'experte Geneviève Cédile.  

"Etre d'intelligence supérieure", "doté d'une mémoire excellente", comme le note le psychiatre Serge Bornstein, Thierry Tilly possède une impressionnante capacité à exploiter les coïncidences et l'actualité. "C'est un être bizarre et manipulateur qui utilise des bouts de vérité pour construire des mensonges", décrypte Natacha Cirou, fille de la compagne de Tilly, qu'il élève comme la sienne.

"Il utilise des éléments de la réalité pour les détourner à son avantage", font écho les experts. N'importe quelle rencontre inopinée devient la preuve que les Védrines sont suivis, épiés. Tilly ancre son propos incohérent dans l'actualité, et tant pis pour les anachronismes. Il évoque DSK à New York au détour du récit de faits datant de 2001, justifie son attitude suspicieuse de 2002 par "la presse anglaise qui met tout le monde sur écoute, comme vous le savez".

"Il est dans une autre réalité"

"Mon corps de métier, c'est de rassembler des éléments qui ne sont pas liés pour en faire un chemin conducteur", avait-il laissé échappé à l'audience. Les mains croisées dans le dos, raide comme la justice avec sa grande mèche bien peignée mais légèrement en suspension sur son crâne rasé derrière les oreilles, il se maîtrise. Tilly ne perd son sang-froid qu'en de rares occasions, souvent calculées, comme lorsqu'il évoque ses enfants un sanglot dans la voix. Il fait alors montre d'un grand potentiel de violence et d'un formidable mépris pour tout.

Le regard perçant derrière ses petites lunettes sans monture, on peine à différencier ce que ce "mythomane pathologique" crée de toutes pièces et ce dont il s'est finalement convaincu lui-même. "Il est dans une autre réalité, à 20 000 lieues en dessous du réel", plaidait son avocat, maître Novion. 

Manipulateur, mythomane, mais pas gourou

"Il pense qu'il mène un combat contre la fraude", avait expliqué une experte, estimant à l'unisson avec les autres médecins, qu'"aucune maladie psychique n'altère le jugement de Tilly". "Même l'illégal, il veut le faire dans le cadre", ajoutait son avocat. Toutes les sociétés civiles immobilières avec lesquelles il dépouille les Védrines sont juridiquement parfaites. Il rédige même le procès-verbal d'une réunion de famille. Aujourd'hui encore, l'administration pénitentiaire croule sous les lettres de ce détenu pointilleux et procédurier.

A l'époque, il va jusqu'à se trouver lui-même un "patron", Jacques Gonzales, escroc aguerri et coprésident d'une Fondation de la Lumière Bleue fondée pour arnaquer le citoyen qui a mauvaise conscience. Un temps considéré comme son mentor, l'homme, aujourd'hui amputé des deux jambes, la soixantaine recroquevillée et proche de la fin, a des restes de mafieux estampillé Audiard. Il encaisse une partie de l'argent récupéré par Tilly mais ne sert finalement que de clé de voûte à un système au sein duquel ce dernier, fin marionnettiste, orchestre sa manipulation.  

Une certitude néanmoins, Thierry Tilly n'est pas un gourou. Et la famille Védrines n'a pas formé une secte. "On a parlé de méthode Tillyenne, moi je dirais méthode reptilienne, car cet homme est comme un serpent, c'est un animal à sang froid", a enfoncé le procureur dans son réquisitoire. Un des avocats des parties civiles l'a achevé : "C'est le Léonard de Vinci de l'emprise mentale."

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