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Au procès du meurtre d'Aurélie Fouquet, les policiers racontent la "scène de guerre"

Les policiers intervenus pendant le 20 mai 2010 sur l'A4, près de Villiers-sur-Marne, ont été entendus lundi et mardi. "Des fusillades, j'en avais déjà vues, mais pas au milieu de la foule et des bouchons", résume l'un d'eux.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le fourgon blanc utilisé par le commando lors de la fusillade à Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), où la policière Aurélie Fouquet a été tuée, le 20 mai 2010. (MAXPPP)

"Le jeudi 20 mai, c'était une journée comme aujourd'hui, il faisait beau. Le jeudi 20 mai, je me suis vu mourir sur la route." Benoît parle d'une voix douce et posée. Le témoignage de ce policier devant la cour d'assises de Paris, mardi 15 mars, était attendu. Ce quadragénaire aux cheveux bruns est le seul membre des forces de l'ordre à avoir identifié "formellement" l'un des neuf accusés jugés depuis deux semaines pour le braquage avorté de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne), qui s'est soldé par la mort de la policière municipale Aurélie Fouquet.

L'accusé en question s'appelle Rabia Hideur. Il a été reconnu de profil par Benoît comme étant le passager avant du fourgon blanc qui a refusé ce jour-là d'obtempérer à un contrôle de police avant d'entamer une course folle sur l'autoroute A4. Benoît et son coéquipier Gaëtan, les premiers à avoir pris en chasse l'utilitaire, ont essuyé des jets d'extincteurs et des tirs d'armes de guerre sur 13 km, lancés à 100km/h.

"C'est pas des guignols, c'est du gros caïd"

"La course-poursuite a dû durer dix minutes mais ça m'a paru deux heures", se souvient Benoît devant les jurés, petit collier de barbe et veste de complet noir. Gaëtan, qui conduisait la Peugeot 308 sérigraphiée, compare la scène à une séquence du film Matrix. "Tout est ralenti, tous les mouvements sont extrêmement lents." Les deux policiers racontent avoir senti le souffle des balles passer de chaque côté de leur tête, alors qu'ils étaient sortis du véhicule pour s'abriter derrière le muret de l'autoroute.  

Tous les collègues qui ont poursuivi la camionnette blanche ce jour-là témoignent de leur sentiment d'impuissance face à un commando aux moyens militaires. Le tireur visant les policiers depuis la porte arrière droite du fourgon est décrit comme un "combattant déterminé vêtu de noir, ganté, cagoulé, équipé d'un gilet d'assaut et d'un gilet pare-balles en dessous""Si les gars sont équipés comme ça, c'est qu'ils sont capables de nous massacrer avant qu'on ait eu le temps d'en blesser un", analyse après coup Arnaud, le conducteur de la deuxième voiture de police dépêchée sur les lieux.

Les premiers tirs, "espacés", semblent provenir d'un "fusil d'assaut ou d'une arme de chasse". Puis ils passent "en mode rafale". "Je me suis dit 'mince, c'est pas des guignols, c'est du gros caïd'", se remémore encore Arnaud, petit homme trapu et bien campé à la barre. Ce policier, un ex-militaire, s'entend encore crier dans le poste de radio.

Ils tirent pour tuer ! Ils tirent pour tuer !

Arnaud

devant la cour d'assises de Paris

"Ça va faire six ans et j'entends toujours ces tirs"

"On ne maîtrisait rien, on n'est pas préparé pour une équipée comme ça", poursuit Arnaud. "Notre formation est faite pour des malfaiteurs armés de petits calibres, pas d'armes de guerre." "Moi j'étais policier, pas militaire, abonde Benoît. Ces claquements de 'kalach', ça marque. Ça va faire six ans et je les entends toujours."

Le policier, dont le récit fait fondre en larmes sa compagne assise dans le public, évoque ainsi une "scène de guerre". Pour s'en relever, il lui a fallu consulter un spécialiste de l'hôpital militaire Begin à Saint-Mandé, habitué à traiter des soldats de retour du front.

Dans un article de Lyon Capitale daté de septembre 2010, le journaliste Jérôme Pierrat, spécialiste du grand bandistime et co-auteur d'un livre avec l'un des accusés, Rédoine Faïd, compare lui aussi le mode opératoire des caïds de cité à une stratégie militaire. "Ils ne montent plus sur des braquages, ils vont à la guerre ! (...) Les mecs n’en ont rien à foutre ! Ils partent du principe qu’ils seront plus forts que les gens qui vont intervenir. Un braqueur me disait comme ça : 'Pourquoi tu veux qu’on lève les bras parce qu’il y a un mec en bleu qui crie 'police !' alors qu’il a un pauvre 9 mm dans la main ! Nous, on a des kalach. On leur tire dessus, c’est tout'... Alors qu’avant, il y a avait une sorte de respect entre policiers et grands bandits."

Aujourd’hui, la police représente juste une bande adverse, un ennemi à abattre s’il se met en travers.

Jérôme Pierrat

Lyon Capitale

Et le journaliste de poursuivre : "Quand tu leur demandes s’ils sont capables de taper tel ou tel établissement, ils te répondent : 'on s’en fout. Ils vont nous envoyer quoi ? Un équipage de la BAC et deux connards en bagnole sérigraphiée ?' Ils se marrent."

"Ça faisait penser à un attentat"

Dans son livre co-écrit avec Jérôme Pierrat, le braqueur multirécidiviste Rédoine Faïd confirme cette préparation "militaire" avant une attaque de fourgon, but visé par l'équipée du 20 mai 2010, comme l'a révélé l'enquête. "C'est un film de guerre. On va être confrontés à des mecs armés qui portent des gilets pare-balles. Ils t'attendent avec un fusil à pompe et ils sont protégés par le blindage. Pour donner l'assaut, il te faut toi aussi des moyens militaires et un conditionnement de putain de guerriers." Puis, plus loin : "Nous avons pleinement conscience que ce n'est pas un jeu. Tu risques ta vie et tu vas risquer la vie d'autres personnes."

Avant l'issue tragique de la course-poursuite à Villiers-sur-Marne, deux policiers et plusieurs automobilistes ont été blessés par des balles ou des éclats de balle lors de la fusillade sur l'autoroute. "Des fusillades comme ça, j'en avais déjà vues, mais pas au milieu de la foule et des bouchons", résume Arnaud. "Ça tirait sur tout, les civils, les uniformes. Ça faisait penser à un attentat", compare Benoît, qui dit avoir repensé aux évènements après les attaques du 13 novembre à Paris. "Leur moteur, c'est pas l'idéologie, c'est l'appât du gain, mais moi j'appelle ça des terroristes", reprend Arnaud, toujours "en colère".

A l'avocate générale, qui demande si les policiers sont mieux formés et équipés depuis Villiers-sur-Marne, les témoins répondent par la négative. Leurs véhicules ne sont pas plus rapides, leurs gilets pare-balles ne sont pas plus efficaces face à des armes de guerre. A la barre, les policiers n'évoquent pas le fusil d'assaut dont doivent être équipées les brigades anti-criminalité. Censé parer à la menace terroriste, il est accusé de "tirer de travers" par l'armée allemande. 

Aujourd'hui, la plupart des policiers venus témoigner à ce procès ont quitté le terrain. L'un est dans la logistique, l'autre dans un bureau. Benoît est resté sur la voie publique mais "n'a plus de motivation".

J'ai laissé une partie de moi-même sur cette autoroute. Et ça, ça me fout la rage.

Benoît

devant la cour d'assises de Paris

Le silence des accusés

Franck, l'un des occupants d'une des voitures de police, n'a pas eu la force de se présenter devant la cour d'assises. L'expert-psychologue qui l'a examiné égrène devant les jurés les troubles dont il souffre : "stress post-traumatique sévère, troubles du sommeil, lutte contre la dépression, crainte de représailles, hypervigilance, prise de poids..."

Surtout, le policier ressent une "forte culpabilité", comme tous ses collègues. Tous auraient souhaité éviter la mort d'Aurélie Fouquet. "J'aurais aimé tout faire pour que vous ayez encore votre fille avec vous aujourd'hui", déclare Benoît en regardant la famille de la policière. "Par respect pour elle, j'aimerais que les accusés parlent et assument. La camionnette, elle ne roulait pas toute seule, derrière, il y avait bien quelqu'un qui tirait."

Dans le box, les cinq accusés qui comparaissent détenus ne bronchent pas. Deux d'entre eux sont renvoyés pour le meurtre de la policière, Baba Douada et Rabia Hideur. Ce dernier brise le silence lorsque Benoît confirme à la barre l'avoir identifié "de profil" lors d'un tapissage en janvier 2011. "Je risque 30 ans moi !" s'exclame-t-il. "C'est mon sentiment. Mon identification", se justifie le policier. "C'est votre sentiment, pas la vérité", reprend habilement Romain Vanni, l'avocat de la défense.

Les deux semaines de débat n'ont pas permis, pour l'instant, de préciser le rôle présumé des accusés dans ce braquage avorté et cette fusillade mortelle. Des questions essentielles restent en suspens. Qui conduisait le fourgon blanc ? Qui tirait derrière ? Les rôles ont-ils été échangés lors du changement de véhicule à Villiers-sur-Marne ? Qui a tué Aurélie Fouquet ? En marge de l'audience, la mère de la victime confie espérer encore obtenir des réponses. 

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