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Erreurs judiciaires : "Le jour où je suis entré en prison"

En parallèle au procès en révision de Marc Machin, en cours depuis lundi, francetv info rapporte les témoignages de victimes d’erreurs judiciaires. Voici le troisième épisode de notre série.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Loïc Sécher devant la Cour de révision des peines, à Paris, le 30 mars 2010.  (MEHDI FEDOUACH / AFP)

En parallèle au procès en révision de Marc Machin, en cours depuis lundi 17 décembre devant la cour d’assises de Paris, francetv info relate les témoignages de plusieurs victimes d’erreurs judiciaires. Après l’arrestation et les éventuels aveux au cours de la garde à vue, se produit l'arrivée en prison.

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Aussi étrange que cela puisse paraître, l’entrée en détention a constitué un soulagement pour certaines victimes d’erreurs judiciaires. Après plus de trente heures de garde à vue, ponctuée par ses aveux dans l’enquête sur les meurtres de deux enfants à Montigny-lès-Metz (Moselle) en 1986, Patrick Dils vit son placement en détention comme "un moment de répit". Le jeune homme, alors âgé de 16 ans, se dit qu'il va enfin être tranquille. "Jamais je n’ai imaginé que j’allais rester autant de temps [quinze ans] enfermé", précise-t-il à francetv info.

Lorsqu’il rencontre le juge d’instruction à l’issue de son éprouvante garde à vue, Marc Machin, âgé de 19 ans en 2001, n’a lui aussi qu'une hâte, qu'on le laisse en paix. Au moins, en prison, on ne lui posera plus de questions. Au magistrat, il va même jusqu'à dire : "Je suis un danger pour la société, j’ai besoin de me faire soigner." "La détention provisoire me tend les bras", estime-t-il alors.  

"Deux ans sans voir le soleil"

La réalité de la vie carcérale le rattrape vite. "Un crime de femme, ça ne pardonne pas en prison", écrit-il dans son livre Seul contre tous paru en 2009. Tout comme les meurtres d'enfants. "C’est le crime le plus atroce qui puisse exister", note Patrick Dils, qui raconte avoir "frôlé les murs", la peur au ventre chaque jour. A l’isolement, privé de parloir pendant vingt-deux mois, il affirme avoir été "racketté, humilié, frappé et violé pendant un an par [ses] codétenus".  

Loïc Sécher livre le même récit de terreur au sujet de sa détention. Condamné à tort en 2003 à seize ans de réclusion pour viols, tentatives de viols et agressions sexuelles sur une mineure de 14 ans, il raconte à France 2 avoir été "deux ans sans voir le soleil" durant ses sept années de prison. "On était à six dans une cellule de 15 m2. On ne pouvait pas sortir en promenade car j’étais catalogué comme pointeur [délinquant sexuel dans le jargon de la prison]."

Loïc Sécher témoigne à "1315" sur france 2 (Pauline Dordilly et Guillaume Beaufils - France 2)


"Le corps en otage"

Alain Marécaux, l’huissier de justice acquitté en 2005 dans l’affaire de pédophilie d’Outreau, a baissé les bras en détention provisoire. Il l’explique à L’Express en septembre 2011, peu de temps avant de cesser définitivement de parler publiquement de l’affaire : "Après avoir protesté pour clamer mon innocence, je me suis résigné en me disant : 'Je vais en prendre pour vingt ans'. Mais après, je me suis dit que ce n'était pas possible, alors j'ai décidé de m'en aller à ma façon, en arrêtant de m'alimenter pour mourir." Il a perdu une quarantaine de kilos.  

"J’ai vu des innocents, ou en tout cas des détenus qui se présentaient comme tels, devenir fous en prison. Certains se retrouvaient en asile, d’autres s’écroulaient et devenaient des larves", témoigne Roland Agret, célèbre victime d'erreur judiciaire. Emprisonné en 1970 pour le meurtre d’un garagiste et de son assistant à Nîmes (Gard), il a passé sept ans derrière les barreaux. Lui explique à francetv info y "avoir pris son corps en otage". A son actif, l’ancien condamné a une grève de la faim de plus d'un an, qui a bien failli lui coûter la vie, et des manches de fourchettes avalés.

"Ne pas devenir dingue, c'est tout"

Kader Azzimani, condamné à vingt ans de réclusion pour le meurtre sauvage d’un jeune dealer à Lunel (Hérault) en 1997, fait aussi partie de ces hommes meurtris par la prison. Et par l’erreur judiciaire. Ce père de famille a tenté de se pendre dans sa cellule. "Il a été abattu depuis le début", confie à francetv info Abderrahim El-Jabri, son compagnon d’infortune, condamné également à vingt ans de prison dans la même affaire. Lui s’est montré plus résistant à l’incarcération, faisant beaucoup de sport et se réfugiant dans la religion. Certains des enseignements de l'islam lui ont été précieux, raconte Abderrahim El-Jabri : "On est juste de passage, il y a des épreuves et il faut les prendre comme telles." Pas question pour autant de rester passif : "Selon ma religion, il faut utiliser les mêmes armes que son adversaire pour le combattre."

La foi, c’est aussi ce qui a aidé Marc Machin à tenir. Catholique croyant mais non pratiquant, le jeune homme, condamné à dix-huit ans de prison pour le meurtre du pont de Neuilly, se met à fréquenter assidûment la messe. Et trouve un réconfort auprès de l’équipe religieuse de la prison. Jean-Claude, un diacre, devient pour lui un deuxième père. "Il recharge mes batteries, me donne la force de tenir bon, de continuer à m’accrocher." 

Le sport, et notamment la boxe, l’ont aussi aidé à maintenir la tête hors de l'eau. "On s'entretient simplement, pour ne pas devenir dingue, c’est tout." Malgré ses nombreux transferts (qu'on appelle dans le jargon "le tourisme pénitentiaire"), les bagarres avec les autres détenus ou les surveillants, Marc Machin n’a jamais attenté à ses jours pendant ses sept années d'incarcération. "Le jour où j’ai mis le pied en cellule, je m’étais fait une promesse, écrit-il dans Seul contre tous : 'Marco, la prison elle t’aura pas, c’est toi qui l’aura'."

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