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Erreurs judiciaires : "Le jour où j’ai avoué"

Au lendemain de l’ouverture du procès en révision de Marc Machin, francetv info rapporte des témoignages de victimes d’erreurs judiciaires. Deuxième épisode de notre série.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Patrick Dils, 16 ans, à sa sortie du bureau du juge d'instruction le 29 avril 1987 à Metz (Moselle). (CHARLES CARATINI / AFP)

Au lendemain de l’ouverture du procès en révision de Marc Machin, condamné à tort par la justice pour le meurtre de Marie-Agnès Bedot sur le pont de Neuilly en 2001, francetv info poursuit sa série consacrée aux erreurs judiciaires, dont plusieurs victimes témoignent. Chaque jour, elles racontent une étape importante de leur parcours. Après l’arrestation, la garde à vue et parfois les aveux pour des actes qu'elles n'ont pas commis.   

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Les victimes d’erreurs judiciaires n'ont pas toutes "avoué". Mais beaucoup admettent un moment de flottement au cours de leur garde à vue, où la mémoire fait défaut, où elles se sont mises à douter d’elles-mêmes. "C’est la panique. Vous faites appel à tous les tiroirs de votre mémoire mais vous vous engluez, vous ne vous rappelez de rien", décrit à francetv info Roland Agret, acquitté en 1985 du meurtre d’un garagiste et de son assistant à Nîmes (Gard), en 1970.

"On espère s’en sortir en racontant n’importe quoi, en s’inventant un alibi, poursuit-il. Et on s’enfonce. A un moment donné, je me suis quand même posé la question [d’avouer], simplement pour que cela s’arrête." Il affirme avoir contracté une pleurésie après être resté nu dans sa cellule entre les interrogatoires des enquêteurs en plein mois de novembre.   

Des promesses

Marc Machin évoque la même confusion et les mêmes pressions dans son livre Seul contre tous paru en 2009. Il "commence à perdre le nord. A la fin de cette deuxième journée de garde à vue, j’en viens à me demander si je n’ai pas un dédoublement de personnalité, comme Guy Georges, le tueur en série jugé cette année-là [en 2001]". Il commet alors l'erreur de faire part de son "délire" aux inspecteurs, qui retiennent ces éléments contre lui. Quelques heures plus tard, il passe aux aveux dans le bureau de Jean-Claude Mulès, figure historique de la Crim’, spécialiste ès aveux : "Il me prête un gilet, m’offre un chocolat chaud et un paquet de cigarettes... Il me promet qu'il plaidera en ma faveur pour faire passer ça en homicide involontaire, que je pourrai sûrement sortir au bout de cinq ans en liberté conditionnelle, qu'il pourra aussi me pistonner pour entrer dans la légion étrangère."

"Bien sûr, je sais que ça paraît dingue d’avouer un crime qu'on n’a pas commis, continue-t-il. Mais j’avais 19 ans, j’étais déjà paumé, sans rien de très solide à quoi m’accrocher dans cette tempête."

Une photo échappée du dossier

Patrick Dils, 16 ans à l’époque, insiste également sur son jeune âge pour tenter d’expliquer ses aveux dans le meurtre de deux enfants à Montigny-les-Metz en 1986. Des aveux arrivés au bout de 30 heures de garde à vue. Lui aussi affirme avoir été amadoué. "Quand on m’a suggéré le scénario du crime pour que je puisse le répéter, il fallait me mettre en confiance, explique-t-il à francetv info. Ils m’ont dit : 'Ce n’est pas grave, c’est un accident. Demain, tu pourras continuer ton travail et retrouver ta famille'." C’est d’ailleurs ainsi qu'il a intitulé son livre publié seize ans plus tard : Je voulais juste rentrer chez moi.

"Même pour une personne psychologiquement forte, c’est très difficile, alors pour quelqu'un de faible...", analyse Roland Agret, désormais président d’Action Justice, une association qui aide les condamnés clamant leur innocence. Selon lui, "la mission des enquêteurs est d’obtenir le maximum d’aveux en un minimum de temps". Jusqu’à commettre des impairs ? Comme ces éléments de l’enquête affichés juste en face de Patrick Dils dans le commissariat, qui lui permettront, dira-t-il plus tard, de livrer des aveux circonstanciés ? Ou encore cette photo de la victime du pont de Neuilly, tombée "par mégarde" du dossier aux pieds de Marc Machin ? 

Difficile une fois passé aux aveux de faire machine arrière, même devant le juge d’instruction. "C’était une continuité de la garde à vue, j’étais entouré des deux inspecteurs qui avaient mené mon interrogatoire", déplore Patrick Dils. Marc Machin, lui, veut que le cauchemar se termine. Il se souvient de sa confrontation avec le magistrat : "J’ai eu ma dose de questions. Alors je prends les devants, en lui répétant mes faux aveux de la veille, sans entrer dans les détails." Grave erreur : le juge acquiert la conviction de sa culpabilité.

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