Affaire du "violeur de Tinder" : le parcours de Salim Berrada, accusé par 17 femmes

Cet homme de 38 ans est poursuivi pour les viols de 13 femmes et les agressions sexuelles de quatre autres. Plusieurs racontent avoir été attirées chez lui au prétexte d'une séance photo, et pensent avoir été droguées à leur insu.
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Surnommé le "violeur de Tinder" par des médias, l'homme jugé à Paris à partir du 18 mars 2024 a rencontré les plaignantes sur différents réseaux en ligne, se présentant comme un photographe de mode. (STR / NURPHOTO / AFP)

C'est une affaire hors normes, par le nombre de victimes et par la systématisation du mode opératoire, que la cour criminelle départementale de Paris s'apprête à juger à partir du lundi 18 mars, et jusqu'à la fin du mois. Salim Berrada, 38 ans, va comparaître devant cinq magistrats professionnels pour 13 viols et quatre agressions sexuelles qu'il est accusé d'avoir commis entre 2014 et 2016.

Celui qui a été surnommé dans les médias "le violeur de Tinder" est accusé de s'être fait passer pour un photographe de mode pour rencontrer des femmes en ligne, et d'avoir appliqué un modus operandi quasi identique, dans une "forme d’industrialisation", selon l’ordonnance de mise en accusation consultée par franceinfo. Ce document relate, sur 80 pages, le système "pervers" que l'accusé est soupçonné d'avoir mis en place pour attirer ses victimes.

"L'impression de ne plus contrôler ses muscles"  

La première plainte dans ce dossier a été déposée en avril 2015 par une étudiante américaine, Ashley*, alors en échange universitaire en France. Elle dit avoir rencontré Salim Berrada sur un réseau social qui met en contact des photographes et des modèles. Tous deux dialoguent d'abord via Facebook, puis il lui donne rendez-vous pour un shooting photo. Elle est "enthousiaste, s'attendant à être photographiée un peu dénudée, mais sans vulgarité", selon son témoignage dans l'ordonnance de mise en accusation. Mais après avoir bu deux ou trois verres de vin, elle est soudainement prise de vertiges : tout se met à tourner autour d'elle. Salim Berrada change alors de comportement et devient plus agressif, témoigne la jeune femme. Sans parvenir à se souvenir comment, elle se retrouve "complètement nue sur le canapé". 

D'après son récit, il met alors son sexe devant son visage et lui réclame une fellation. Elle refuse et il pénètre alors son vagin avec ses doigts, malgré ses protestations. Il la force ensuite à se masturber. Elle s'exécute, terrorisée, et toujours dans l'incapacité de se mouvoir. Elle parviendra finalement à s'échapper en "se cognant à chaque pas", avec "l'impression de ne plus contrôler ses muscles". Puis parvient à rentrer chez elle avec l'aide d'une personne rencontrée dans le métro. 

Lors du dépôt de plainte d'Ashley, un peu plus de trois mois après les faits, l'unité médico-judiciaire qui l'examine constate qu'elle est repliée sur elle-même, refuse les interactions sociales et a arrêté ses études. Le psychiatre qui l'examine lui prescrit 30 jours d'ITT. L'analyse toxicologique montre par ailleurs qu'elle a pu être soumise chimiquement par des antihistaminiques, aux effets sédatifs décuplés par la consommation d'alcool. Ce qui pourrait expliquer la torpeur dans laquelle la jeune femme dit s'être retrouvée.

Une première information judiciaire ouverte en 2016 

En février 2016, une autre jeune femme, Elise*, porte plainte à son tour, pour dénoncer un viol commis dans le studio de Salim Berrada. Son récit est très similaire à celui de la première plaignante : il lui propose de poser pour lui, insiste pour qu'elle boive un verre de vodka dès son arrivée. Au moment de passer aux photos, il la force à retirer sa brassière et cherche à lui toucher les seins. Devant ses protestations, il se jette sur elle, la force à subir et pratiquer plusieurs actes sexuels, malgré ses pleurs et ses cris. Elle tente de s'échapper, mais il la rattrape. 

Elise porte plainte dès le lendemain. L'unité médicojudiciaire qui recueille son témoignage relève des lésions traumatiques, des ecchymoses sur ses deux cuisses, ses poignets et son avant-bras gauche, ainsi que des griffures dans son dos. L'examen psychiatrique montre qu'elle est dans un état de stress post-traumatique.

Deux autres victimes suivront. Celles-ci déposeront plainte en mai et octobre 2016, décrivant toujours les mêmes circonstances : un shooting photo alcoolisé, des sensations physiques inhabituelles et un viol. Salim Berrada est placé en garde à vue en octobre 2016, et une information judiciaire est ouverte dans la foulée. Face à la juge d'instruction, il parle d'actes sexuels consentis et nie avoir introduit une quelconque substance médicamenteuse dans les verres des plaignantes. Il assure que ses victimes se retournent contre lui car elles regrettent, a posteriori, d'avoir cédé à ses avances. 

Au cours de l'instruction, Salim Berrada déclare "qu'en deux ou trois ans, il a rencontré entre 200 et 300 filles, peut-être même plus, et qu'il n'y avait que quatre filles qui réagissaient de cette façon". II affirme également "avoir besoin de sexe tous les deux jours, et de changer de partenaires tout le temps"

De nouvelles plaintes après une dénonciation en ligne

En 2016, deux des quatre victimes dénoncent publiquement ses agissements dans des publications sur Facebook et Instagram, afin d'éviter à d'autres jeunes femmes de croiser sa route. Elles citent nommément Salim Berrada et leurs posts sont largement relayés dans le milieu du mannequinat. 

Dès lors, de nombreuses plaintes affluent : des victimes le reconnaissent sur les photos qui circulent. Il s'agit souvent de très jeunes femmes, parfois mineures. Toutes décrivent un système de prédation similaire avec des conséquences dévastatrices sur leurs vies. Une étudiante a ainsi mis fin à sa prépa aux Beaux-Arts, dessinant par la suite "toujours les mêmes choses : une femme qui se faisait attraper les seins ou des hommes qui attrapaient des femmes", décrit l'accusation.  

Une autre jeune femme s'est mise à consommer de façon "importante" de l'alcool et du cannabis. A la suite de son dépôt de plainte, une vingtaine de mois après les faits, le viol qu'elle a dénoncé lui est revenu en mémoire de manière particulièrement violente : elle a alors éprouvé une sorte de "descente aux enfers", la conduisant à se séparer de son compagnon et quitter son travail. 

Chez plus de la moitié des plaignantes, des analyses toxicologiques ont mis en évidence des traces de produits chimiques correspondant à la période des faits. "II s'agissait soit de MDMA, soit de molécules antihistaminiques présentes dans des traitements contre le rhume en vente libre, ou d'un sédatif et un anxiolytique pour l'une d'entre elles", précisent les juges dans leur ordonnance.   

La première expertise psychiatrique menée sur Salim Berrada conclut à une personnalité de type "narcissique" avec une "tendance manipulatoire pouvant évoquer un fonctionnement de type pervers". La deuxième expertise va dans le même sens, établissant un profil égocentrique, "sans aucun égard pour les femmes séduites et aussitôt abandonnées". 

Une nouvelle mise en examen en 2023

Le trentenaire a été placé en détention provisoire en octobre 2016. Après plusieurs demandes de remise en liberté, il est sorti de prison sous contrôle judiciaire en 2019, dans l'attente de son procès. Mais malgré ce statut, qui lui impose de pointer au commissariat chaque semaine, il est accusé d'avoir continué à sévir sur les applications de rencontre.

Rania* a ainsi témoigné auprès de BFMTV, assurant avoir été violée par Salim Berrada en mars 2023, après avoir échangé avec lui sur l'application de rencontres Tinder, où il s'était inscrit sous le nom de Samuel. Ce soir-là, raconte la jeune femme, ils s'étaient retrouvés chez elle, à Marseille. Ils ont partagé une bouteille de vin qu'il avait apportée. Quelques minutes plus tard, Rania s'est sentie mal et n'a plus eu que "des bribes" de souvenirs, de cet homme "nu", de son "insistance" pour avoir des relations sexuelles et du "souvenir glaçant de le voir au-dessus d'elle, la pénétrant", a-t-elle détaillé à BFMTV.

La jeune femme a porté plainte pour viol aggravé en juin 2023. Sur la base de ce nouveau témoignage et de plusieurs autres, le parquet de Paris a diligenté de nouvelles investigations pour des faits susceptibles d'avoir été commis entre 2021 et 2023, ainsi qu'en 2013. Une nouvelle information judiciaire a été ouverte le 13 juillet, précise le parquet de Paris à franceinfo. Placé en garde à vue, Salim Berrada a été mis en examen pour "viols avec administration d’une substance à la victime, à son insu, pour altérer son discernement ou le contrôle de ses actes" et de nouveau placé en détention provisoire. Ces faits, dont l'instruction suit son cours, ne seront pas jugés lors du procès qui s'ouvre lundi.

*Tous les prénoms ont été modifiés.

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