Affaire des "petits fromages magiques" : le cerveau présumé de l'arnaque laisse les juges sur leur faim
Gilberte van Erpe ne s'est pas présentée au tribunal et a rejeté en bloc, mardi, toutes les accusations dans une lettre adressée à la justice.
C'est une pièce rocambolesque qui se joue sans le personnage principal. Le procès de l’affaire des "petits fromages magiques" s'est tenu lundi 8 et mardi 9 juin devant le tribunal correctionnel de Paris. Sans Gilberte van Erpe, la retraitée de 74 ans soupçonnée d'être le cerveau de l'affaire : affectée par un AVC, elle n'a pu se déplacer. Elle n’a même pas pu signer le mandat de représentation de son avocat, lui aussi absent.
Madame Gil, comme elle est surnommée, est poursuivie pour "escroquerie en bande organisée", aux côtés de trois autres prévenus, soupçonnés d'avoir vendu des kits de fermentation à plus de 5 000 Chiliens via la société Fermex, pour dix fois leur valeur réelle, entre 2004 et 2006. L'entreprise promettait à ces investisseurs 100% de bénéfices, grâce à la revente des fromages produits à des groupes cosmétiques en France comme Revlon ou L'Oréal, qui devaient s'en servir pour créer des produits de beauté.
Des crèmes de beauté à base de fromage chilien ?
Des informations "totalement fallacieuses", selon les experts cités lors du procès, car cette pâte fromagère ne pouvait en aucun cas entrer dans la composition de crèmes de beauté. Sans oublier que Fermex n'a jamais contacté ces grandes marques.
L'arnaque reposait en outre sur plusieurs sociétés écrans. Certaines étaient chargées d'acheter des ferments lactiques en Pologne. C'est là qu'entre en scène Michèle Vermeulen, seule prévenue poursuivie pour complicité. Cette Belge de 66 ans a rencontré Gilberte van Erpe lorsqu'elle était incarcérée en Belgique, en 1992. La justice lui reproche d'avoir servi d'intermédiaire pour monter une de ces sociétés au Luxembourg.
"Je lui ai dit qu'elle pouvait utiliser mon nom pour la société"
Mais ce n'est pas le seul service rendu par Michèle Vermeulen. La Belge a accepté de devenir la gérante de paille d'une des sociétés pilotée à distance par Madame Gil, "pour lui rendre service". Mais elle a aussi accepté de remettre 100 000 dollars en liquide à une société luxembourgeoise, de la part de la Française. Le tout, dit-elle, sans jamais lui poser la moindre question.
"Je l'ai aidée parce que c'était mon amie, je ne pensais pas qu’elle me demanderait quelque chose qui pouvait me nuire, a assuré Michèle Vermeulen face aux juges. Je lui ai dit qu’elle pouvait utiliser mon nom pour la société, mais que je ne voulais pas m’en occuper. Ce n’est pas illégal !" A l'en croire, Michèle Vermeulen n'aurait donc jamais eu connaissance de l'escroquerie au Chili.
"Piégé" par Madame Gil
Eric Pantou, l’ancien avocat parisien de Gilberte van Erpe, lui aussi poursuivi pour escroquerie en bande organisée, adopte la même défense. Il a servi d'intermédiaire pour la création de la société Betota au Congo, en 2004. L'entreprise était censée importer les fromages de Fermex depuis le Chili, pour ensuite les revendre en Europe.
Mais les produits n'ont jamais quitté l'Amérique du Sud. Pour calmer l'inquiétude des investisseurs, dont les fromages n'étaient pas achetés, Madame Gil s'est rendue au Chili avec Eric Pantou, le présentant comme le dirigeant de Betota afin de "rendre plus plausible" l'existence de la société. Un "piège", selon l'avocat, qui affirme n'avoir été au courant de rien à l'époque.
La faute rejetée sur le gérant... et la justice chilienne
Selon les deux prévenus, Madame Gil a donc piloté seule cette arnaque internationale. Une accusation que la retraitée a réfutée, dans une lettre envoyée au tribunal correctionnel de Paris. Les 20 millions d'euros de dettes accumulées par Fermex auprès de ses investisseurs ? La faute au gérant de l’entreprise, Victor Mella. L'homme, qui a été condamné en 2007 à cinq ans de prison au Chili pour cette affaire, aurait refusé de payer les producteurs.
Les 5 tonnes de pâte fromagère avariée, qui n'ont jamais quitté le Chili et ont été retrouvées dans un entrepôt en banlieue de Santiago ? La faute de la société congolaise Betota, qui a refusé de les acheter.
Mieux encore : le ministère chilien de la Justice est lui aussi fautif, selon Gilberte van Erpe. En bloquant les comptes de Fermex lorsque l'affaire a éclaté en 2006, il a empêché l’entreprise de rembourser ses investisseurs, assure-t-elle.
Avant Madame Gil, "Madame Yaourt"
Le nom de Madame Gil n'apparaît sur les statuts d'aucune de ces entreprises. Mais elle reste centrale dans le dossier, un "prédateur qui s'est fait la main sur d'autres affaires", selon la procureure de la République. Gilberte van Erpe a, en effet, été impliquée dans plusieurs autres affaires d'escroquerie. En 2004, elle a obtenu un non-lieu dans le procès sur une arnaque aux champignons fermentés, au Pérou. Dix ans plus tôt, c’est en Belgique que Madame Gil, alors surnommée "Madame Yaourt", a été convoquée devant la justice pour une affaire d’escroquerie aux ferments lactiques.
Le parquet a requis six ans d'emprisonnement et 500 000 euros d'amende contre Gilberte van Erpe. Doutant de l'état de santé de la prévenue, dont "la vie n'aura été au final qu'une série de mensonges et d'impostures", elle demande que la peine soit assortie d'un mandat d'arrêt. Des peines allant d'un an de prison avec sursis et 50 000 euros d'amende à quatre ans de prison et 300 000 euros d'amende ont également requises à l'encontre des trois autres prévenus. Le tribunal correctionnel de Paris doit rendre sa décision mardi 7 juillet.
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