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Lubrizol : le président de la commission d'enquête sénatoriale pointe "des défaillances" et "un certain nombre de situations complètement inacceptables"

Hervé Maurey redoute des "effets d'annonce" du gouvernement sur ce dossier quand il assure par exemple que les contrôles "vont doubler sans augmenter le nombre d'agents".

Article rédigé par franceinfo
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Le sénateur Hervé Maurey, le 11 février 2019. (ALEXIS SCIARD  / MAXPPP)

"Il y a eu des défaillances", "il y a un certain nombre de situations qui sont complètement inacceptables", déclare sur franceinfo Hervé Maurey, sénateur centriste de l'Eure et président de la commission d'enquête du Sénat sur l'incendie de l'usine Lubrizol de Rouen, dont le rapport est publié jeudi 4 juin. Il pointe "un problème général par rapport aux risques industriels", et note "un manque de rigueur et de sérieux tout à fait préoccupants", évoquant notamment la perte d'échantillons qui devaient être analysés. Les sénateurs font une quarantaine propositions pour améliorer la prévention des risques. L'objectif, "c'est de tirer des conséquences et que l'on fasse des propositions, pour que l'on puisse, dans la mesure du possible, éviter qu'une telle catastrophe ne se reproduise. Et si une telle catastrophe devait se reproduire, faire en sorte qu'il n'y ait pas tous les dysfonctionnements qu'on a observés", explique Hervé Maurey.

franceinfo : La prévention des risques est-elle à côté de la plaque en France ?

Hervé Maurey : Il y a eu un certain nombre de dysfonctionnements, pas seulement du gouvernement, mais au niveau des services de l'État, du fonctionnement des entreprises. Il y a tout un problème général par rapport aux risques industriels qui nécessite que l'on remette beaucoup de choses à plat, que ce soit sur la culture du risque qui n'existe pas, la prévention des risques, la gestion de la crise, de l'information et notamment la formation des élus, l'indemnisation, le risque sanitaire. Il y a un certain nombre de situations qui sont totalement inacceptables. On ne connaît pas la nature des produits qui sont détenus sur un site Seveso, et parfois, vous avez des populations qui habitent à quelques centaines de mètres de ces sites. Donc, on ne sait pas s'il y a un incendie, s'il y a un accident, ce qui peut se passer puisqu'on ne connaît pas ces produits.

On a aussi observé avec beaucoup d'étonnement que sur le site de Lubrizol, un certain nombre de mises en demeure ou de recommandations avaient été formulées à l'entreprise 18 mois avant le sinistre et que ces recommandations n'avaient pas été suivies d'effet. Cela montre qu'il y a un État qui est défaillant par rapport au suivi des préconisations qu'il exprime. 

Hervé Maurey, sénateur centriste de l'Eure et président de la commission d'enquête du Sénat

à franceinfo

Il faut renforcer les sanctions lorsque les industries ne tiennent pas compte des mises en demeure qui sont formulées et il faut renforcer les contrôles. La ministre de l'Environnement nous a annoncé que les contrôles allaient être doublés. Nous en doutons fortement puisqu'elle nous explique que les contrôles vont doubler sans augmenter le nombre d'agents chargés de ces contrôles. On craint qu'on soit face à un effet d'annonce du gouvernement.

Vous dites aussi qu'il y a eu un problème de méthode. Vous l'imputez à l'ancienne ministre de la Santé Agnès Buzyn ?

C'est vrai que Mme Buzyn nous avait expliqué qu'on ne peut pas faire de recherches quand on ne sait pas ce qu'on recherche, ce qui est pour le moins curieux. Donc le gouvernement s'est contenté de dire qu'il y aurait une enquête menée par Santé publique France, qui n'a toujours pas commencé. On peut comprendre qu'il y ait eu des retards compte tenu du Covid, mais de toute manière, cette enquête n'est pas suffisante. On souhaite aller plus loin.

On souhaite qu'il y ait un vrai suivi biologique sur une cohorte, c'est-à-dire sur un échantillon représentatif de la population, notamment des acteurs de cet accident, que ce soit les personnels, les pompiers, les professionnels de la sécurité. Et aussi qu'un registre de morbidité soit ouvert pour observer l'évolution de certaines maladies graves, notamment les cancers, pour établir éventuellement un lien entre ces maladies et les événements.

Hervé Maurey

Parce que la question, c'est quid en termes sanitaires sur le moyen/long terme ? On a eu la chance que sur le court terme, il n'y ait pas de morts, qu'il n'y ait pas de blessés. Mais on est toujours dans le doute par rapport aux effets de l'accident à moyen/long terme sur les populations qui ont été touchées par le panache.

A-t-on levé trop tôt les restrictions de consommation sur les produits agricoles ?

C'est difficile à dire, on n'a pas tous les éléments. Ce qui est vrai, c'est qu'on a tellement d'intervenants dans ce type de situation, qu'il y a une espèce de confusion et de dilution des responsabilités. Vous avez les ARS, Santé publique France, les DREAL, l'Anses, l'Ineris. Tout cela se chevauche, cela manque de cohérence. Santé publique France, dans un courrier qui nous a été adressé très récemment, à la fin du mois de mai, a avoué que des prélèvements avaient été perdus, des prélèvements destinés à analyser les conséquences environnementales, qui avaient été effectués dans les Hauts-de-France. D'autres prélèvements sont inexploitables. Ça montre qu'il y a de toute évidence un manque de rigueur et de sérieux tout à fait préoccupants.

Ce sont des manquement graves que vous pointez du doigt ?

On souligne qu'il y a eu des défaillances. Vous pouvez appeler ça des manquements. L'objet ce n'est pas de montrer du doigt et d'essayer de désigner des boucs émissaires, c'est de tirer des conséquences et que l'on fasse des propositions, pour que l'on puisse, dans la mesure du possible, éviter qu'une telle catastrophe ne se reproduise. Et si une telle catastrophe devait se reproduire, faire en sorte qu'il n'y ait pas tous les dysfonctionnements qu'on a observés.

Ce qui nous intéresse maintenant que ce rapport est rendu, c'est de voir ce que va en faire le gouvernement, parce que c'est maintenant sa responsabilité de tirer toutes les conséquences de ce rapport.

Hervé Maurey

Nous organiserons d'ailleurs dans les prochaines semaines ou les prochains mois un débat au Parlement pour qu'il y ait une position du gouvernement qui soit prise par rapport à nos travaux et ensuite, nous verrons les initiatives qu'il convient de prendre. On ne veut pas - et malheureusement, c'est quelque chose qu'on observe très souvent en France - qu'après l'émotion de la catastrophe, une fois que l'émotion est retombée, on oublie, on passe à autre chose et on ne tire aucune conséquence alors qu'il y a de nombreuses conséquences à tirer sur de très nombreux sujets.

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