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Disparition du petit Emile : après deux mois d'enquête, un fait divers qui tourne à l'énigme judiciaire

Article rédigé par Catherine Fournier, Nathalie Pérez - avec AFP
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Le hameau du Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence), où a disparu Emile, 2 ans et demi, le 8 juillet 2023. (BERTRAND RIOTORD / MAXPPP)
Malgré de très importants moyens déployés depuis début juillet, le sort du jeune garçon demeure mystérieux et plusieurs pistes restent envisagées.

Le Haut-Vernet s'ouvre et se referme. Epicentre de la disparition en juillet d'Emile, petit garçon de 2 ans et demi, ce joli hameau des Alpes-de-Haute-Provence vit, depuis, au rythme des levées et des renouvellements de l'interdiction d'y circuler. Le maire du village en contrebas, le Vernet, en avait brièvement rouvert l'accès fin août. Mais la réapparition des caméras de journalistes a déclenché un nouvel arrêté interdisant la libre circulation, mardi 6 septembre. "Oubliez-nous", enjoint François Balique, qui veille à la "tranquillité de ses administrés". La supplique paraît vaine tant ce fait divers survenu aux prémices de l'été s'est mué en énigme.

Deux mois, jour pour jour, après la volatilisation du petit garçon, l'affaire est déjà entrée dans les annales judiciaires. Car malgré les efforts colossaux déployés pour le retrouver, aucune piste, à ce jour, ne peut être privilégiée. 

Le premier jour des vacances vire au drame

Il est aux alentours de 18 heures, samedi 8 juillet, quand la disparition de ce bambin aux cheveux blonds comme les blés est signalée par ses grands-parents à la gendarmerie. Comme chaque année depuis vingt ans, ils ont rejoint leur résidence secondaire dans ce hameau au pied du massif des Trois-Evêchés. Leur fille Marie, aînée d'une fratrie de dix enfants, leur a confié son fils, Emile. Il va pouvoir jouer avec ses oncles et tantes, dont certains sont encore adolescents. Mais alors que le couple se prépare pour une activité et charge la voiture, le petit garçon est introuvable. Le premier jour des vacances scolaires se transforme en cauchemar.

"Quand ils ont voulu prendre Emile pour l'emmener, un quart d'heure après l'avoir réveillé de sa sieste [vers 17 heures], ils ont remarqué qu'il n'était plus là."

François Balique, maire du Vernet

à franceinfo

"Dès 18h40", selon le relevé de la préfecture des Alpes-de-Haute-Provence, un important dispositif de recherches de l'enfant est mis en œuvre : équipes cynophiles, hélicoptères et drones équipés de caméras thermiques, militaires du peloton de gendarmerie de haute montagne, pompiers et habitants volontaires ratissent les environs jusque tard dans la nuit. Le lendemain, une enquête est ouverte et un appel à témoins lancé. La photo du garçonnet tout sourire, un pissenlit sur l'oreille, est diffusée dans tout le pays. Une ligne téléphonique dédiée est ouverte.

L'appel à témoins diffusé par la gendarmerie après la disparition du petit Emile le 8 juillet 2023, au Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence). (GENDARMERIE NATIONALE / TWITTER / AFP)

Le procureur de Digne-les-Bains, qui dirige alors les investigations, adopte une stratégie "de l'escargot". Celle-ci se concentre d'abord sur le hameau, avant de s'élargir. Pendant deux jours, des centaines de bénévoles, randonneurs, chasseurs, viennent aider les enquêteurs. En vain. Le lundi soir, le préfet des Alpes-de-Haute-Provence annonce la fin des "battues citoyennes" et le début des opérations de "ratissage judiciaire".

Un hameau entier passé au peigne fin

Le hameau est bouclé, ses 30 maisons fouillées, ses 25 habitants interrogés et les quelques véhicules qui y stationnent sont inspectés. La route de 1,8 km qui relie le Haut-Vernet au village du Vernet est également examinée. Des sapeurs de la Légion étrangère, équipés de détecteurs de métaux hypersensibles, vont jusqu'à sonder les bottes de foin les plus récentes, à la recherche de "matières ferreuses" comme une fermeture éclair ou un bouton appartenant aux vêtements de l'enfant.

Les gendarmes effectuent une battue dans les environs du Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence), le 12 juillet 2023. (CAMOIN ERIC / MAXPPP)

Au total, ce sont 97 hectares de champs, de bois ou de terrains escarpés – l'équivalent de 138 terrains de football – qui sont "minutieusement" explorés, résume le procureur Rémi Avon à la fin de cette phase d'enquête. Il s'agit, selon le magistrat, d'"une des plus importantes opérations de ratissage judiciaire jamais conduites".

Pour autant, la dernière trace d'Emile remonte toujours au 8 juillet, à 17h15 : deux témoins affirment l'avoir vu déambuler dans une ruelle du hameau à cette heure-là, près du lavoir. L'un dit l'avoir vu descendre, l'autre remonter, confie une source proche de l'enquête à France Télévisions. Depuis, plus rien. Le travail des chiens pisteurs ne permet pas d'aller plus loin. Leurs "quelques marquages" sont à prendre avec précaution dans ce "milieu montagnard" où il "peut y avoir des éléments parasitants", relève Rémy Avon lors d'un point-presse.

Disparition du petit Emile : où en est l’enquête ?
Disparition du petit Emile : où en est l’enquête ? Disparition du petit Emile : où en est l’enquête ? (France 2)

Emile a-t-il été enlevé ? Victime d'un accident de la circulation ? Est-il tombé quelque part ? Aucune piste n'est exclue, ni privilégiée. Mais la configuration des lieux plonge les uns et les autres dans la perplexité. "Le Haut-Vernet, c'est un cul-de-sac, on voit tous les passages de voitures", souligne le maire à l'antenne de franceinfo.

La piste familiale fait couler beaucoup d'encre

Si quelqu'un avait enlevé Emile, par où serait-il reparti ? S'il s'agissait d'un délit de fuite, où seraient les traces de pneus, les bris de verre ? Si Emile avait fait une chute dans le secteur, pourquoi les recherches n'ont-elles pas permis de le retrouver ? Face à ces questions sans réponse, les pistes les plus improbables se mettent à circuler, comme l'attaque d'un loup ou l'enlèvement par un rapace. Comme dans chaque disparition, médiums et voyants inondent les réseaux et la gendarmerie de leurs théories.

La piste familiale fait aussi couler beaucoup d'encre. Les grands-parents d'Emile, originaires de La Bouilladisse (Bouches-du-Rhône), près de Marseille, sont de fervents catholiques. Ils ont scolarisé tous leurs enfants à la maison, comme l'a expliqué à l'AFP le maire de la commune. José Morales décrit une famille "très croyante, très discrète, qui vivait un peu en autarcie". Selon le quotidien régional La Provence, ils ne fréquentaient pas la paroisse locale, préférant la messe en latin célébrée dans une église marseillaise. Le père d'Emile, lui, s'est présenté aux élections régionales de 2021, en quatrième position sur la liste pro-Zemmour ("Zou") conduite par Valérie Laupiès, ex-Rassemblement national.

Dans une interview à l'hebdomadaire Famille chrétienne, publiée fin août, les parents d'Emile sont sortis du silence, regrettant des "témoignages malveillants dans la presse" pour les "faire passer pour des illuminés". "Il y a tellement de détails faux qui circulent et qui nous blessent", assurent-ils. "C'est une famille que je connais bien, qui élève bien ses enfants. C'est terrible ce qui leur arrive", témoigne Marie, une habitante du Haut-Vernet, auprès de France Télévisions. "Ce petit, je le connais depuis qu'il est né. Un petit gentil comme tout, qui venait dire bonjour à tout le monde. Si quelqu'un était venu à sa rencontre, c'est sûr qu'il serait venu lui dire bonjour."

Le temps long de l'enquête

Après une dernière phase de recherches menée sur le terrain fin juillet, sur une zone de 5 km autour du domicile des grands-parents, les investigations se concentrent désormais sur la masse considérable d'éléments recueillis : outre les auditions de témoins et les prélèvements effectués, "1 400 signalements" sur la ligne téléphonique dédiée ont été traités et "près de 1 600 lignes téléphoniques ayant borné dans le secteur au moment de la disparition" identifiées, selon le procureur de Digne-les-Bains. Le magistrat a passé la main à son collègue d'Aix-en-Provence au moment de l'ouverture d'une information judiciaire, confiée à deux juges d'instruction, "complexité de l'affaire" oblige.

"On n'a pas de scène d'infraction, pas de scène de crime, pas de périmètre défini", observe auprès de France Télévisions le général Jacques-Charles Fombonne, fin connaisseur de ce type d'enquêtes.

"Il faut toujours, dans ces affaires, penser à l'avenir car elles peuvent durer cinq, dix, quinze ans. Il faut faire le récolement de tous les éléments auxquels on n'aura plus accès après : les fadettes [factures téléphoniques détaillées], les remontées des relais téléphoniques, les témoignages..."

Jacques-Charles Fombonne, ex-commandant du centre national de formation à la police judiciaire de la gendarmerie

à franceinfo

L'analyse de ces éléments sur le logiciel Anacrim va permettre de "rapprocher des éléments qui, pris séparément, n'ont aucun intérêt et de mettre en évidence des contradictions", explique le général à la retraite. Si l'espoir de retrouver le petit Emile vivant s'est amenuisé au fil des jours, celui de savoir ce qui lui est arrivé occupe à plein temps une équipe de 25 gendarmes, sous la houlette de la section de recherches de Marseille. Un vrai travail de fourmi. Avant de passer le relais aux juges, dont l'instruction a été élargie aux faits criminels "d'enlèvement" et de "séquestration", le procureur Rémy Avon nourrissait cet espoir : "Peut-être, sans le savoir, avons-nous récolté un indice déterminant."

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