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Aulnay-sous-Bois : l'affaire Théo a ravivé la douleur des familles de victimes de violences policières

Le jeune homme de 22 ans accuse quatre policiers de l'avoir violé lors d'une interpellation musclée. Franceinfo a interrogé d'autres familles, comme celles d'Adama Traoré ou de Zyed et Bouna, qui se battent encore pour faire reconnaître leur statut de victime.

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une manifestation en soutien à Théo, le 6 février 2017, dans la citée des 3000 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).  (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

Adama Traoré, Zyed et Bouna... Difficile de ne pas penser à ces précédentes affaires après la mise en examen de quatre policiers pour violences volontaires, dont un pour viol, lors de l'arrestation de Théo à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Comme ce fut le cas à Beaumont-sur-Oise, en juillet dernier, des altercations entre jeunes gens et forces de l'ordre secouent depuis plusieurs jours la cité des 3000, où le jeune homme de 22 ans a été violemment interpellé, jeudi 2 février. Dans la nuit du mardi 7 au mercredi 8 février, des affrontements avec la police ont eu lieu dans plusieurs villes de Seine-Saint-Denis, rappelant les premiers jours des émeutes qui avaient embrasé les banlieues françaises en 2005.

Pourtant, tout est allé très vite dans le cas de Théo, contrairement aux affaires Adama Traoré ou Zyed et Bouna. Deux jours après les faits, le maire Les Républicains d'Aulnay-sous-Bois a interpellé le ministre de l'Intérieur. Bruno Le Roux parle alors d'"accusations d'une extrême gravité". En moins d'une semaine, l'enquête est confiée à un juge et François Hollande s'est rendu à l'hôpital pour rencontrer le jeune homme hospitalisé. Franceinfo a interrogé d'autres familles impliquées dans des violences policières, qui se battent encore pour faire reconnaître leur statut de victime.

"Pour une fois, il y a une vidéo de l'interpellation"

Quand il a vu la photo du chef de l'Etat au chevet de Théo à l'hôpital, le frère d'Adama Traoré s'est évidemment réjoui. "Je suis très heureux pour la famille de Théo qu'il y ait enfin une prise de conscience politique de ce genre de drame", se félicite Lassana. 

François Hollande au chevet de Théo, le 7 février 2017, à l'hôpital Robert-Ballanger à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).  (ARNAUD JOURNOIS / LE PARISIEN)

Mais cette histoire lui a aussi rappelé celle de son petit frère, mort dans des conditions toujours floues lors de son interpellation par des gendarmes, le 19 juillet dernier.

Je suis un peu triste parce que depuis six mois, François Hollande n'a jamais trouvé le temps de venir voir ma famille. Aucun responsable politique n’a pris la parole pour mon frère qui, lui, n’est plus là aujourd’hui.

Lassana Traoré

à franceinfo

Comment expliquer l'ampleur qu'a pris, en quelques jours, l'affaire de Théo ? "C'est parce que, pour une fois, il y a eu une vidéo de l'interpellation, tranche Lassana Traoré. Si ça n'avait pas été le cas, ça aurait été la parole de ce jeune homme contre celle de quatre policiers assermentés. Avec d'interminables expertises, comme ça a été le cas pour mon frère." Contrairement à l'arrestation d'Adama Traoré, celle de Théo a été filmée par les caméras de vidéosurveillance d'Aulnay-sous-Bois. Selon Libération, les images montrent le coup de matraque qui, après avoir transpercé le caleçon, a gravement blessé le jeune homme à l'anus.

"On a l'habitude de se prendre des baffes, mais là, ça va trop loin"

Lorsqu'elle a appris ce qui est arrivé à Théo, Amal Bentounsi s'est tout de suite rendue à Aulnay-sous-Bois. Fondatrice du collectif Urgence notre police assassine, elle est devenue une ardente militante de la lutte contre les violences policières, depuis que son frère a été tué par un policier d’une balle dans le dos, en 2012 à Noisy-le-Sec (Seine-Saint-Denis). Dans ce dossier, la légitime défense a d’abord été retenue. Mais la mère de famille de 41 ans est parvenue à faire comparaître l'auteur du coup de feu mortel devant les assises, pour un procès en appel qui se déroulera en mars. 

Pour elle, c'est aussi la nature des faits reprochés aux policiers qui explique les réactions. "A Aulnay, les jeunes du quartier m’ont dit : 'Vous savez Madame, on a l’habitude de se prendre des baffes, c’est normal pour nous. Mais là, ça va trop loin'. Ils s'identifient tous à Théo et se sentent touchés dans leur dignité", analyse-t-elle. 

Des policiers dans la cité des 3000 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), le 7 févier 2017. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

Ce n'est pas la première fois que de telles accusations visent des policiers. Le 16 janvier, un policier municipal de la ville voisine de Drancy (Seine-Saint-Denis) a été jugé pour "violences aggravées" commises à l'aide d'une matraque, explique Le Parisien. Le plaignant accuse les forces de l'ordre de lui avoir enfoncé leur arme rétractable dans l'anus après une arrestation pour tapage. Les médecins diagnostiquent une perforation au niveau de la marge anale. Le fonctionnaire risque jusqu'à six mois de prison avec sursis et l’interdiction d’exercer pendant un an. Le jugement sera rendu le 20 février. 

"Combien de fois je me suis pris des coups dans les couilles !"

"L'histoire de Théo n'est pas un cas isolé, s'indigne Amal Bentounsi, qui depuis quatre ans recense rigoureusement les cas présumés de violences policières. Dans les quartiers, des cas de violences pendant les contrôles, il y en a tous les jours."

En plus des coups, des brimades, des insultes quotidiennes, il y a les palpations génitales qui sont, évidemment, ressenties par beaucoup de jeunes comme des humiliations extrêmes.

Amal Bentounsi

à franceinfo

Chaque fois qu'elle a vent d'une telle histoire, la militante pousse les jeunes à aller porter plainte. "On me répond systématiquement que ça ne changera rien, se désole-t-elle. Je leur explique pourtant que c'est essentiel, ne serait-ce que pour pourvoir recenser efficacement toutes les dérives." 

Nombre de violences ne seraient donc jamais signalées. Mehmet, un habitant de Bobigny (Seine-Saint-Denis) âgé d'une vingtaine d'années, confie se propre expérience à franceinfo : "Si je vais voir des policiers pour leur expliquer que des collègues m'ont maltraité, ils vont juste se moquer de moi. Combien de fois, en me faisant contrôler, je me suis pris des coups dans les couilles !, s'indigne-t-il. Une fois, le policier m’a mis un doigt dans le cul et a rigolé quand j’ai protesté, en me disant que j'allais devoir m’y habituer parce que ça m’arriverait tous les jours si je finissais en prison. La vérité, c'est que pour beaucoup d'habitants de cités, la police est plus vue comme une menace que comme des personnes chargées de notre sécurité. On a peur d'eux. Et ils ont peur de nous."

"Ne pas tomber dans le piège de l'embrasement des quartiers"

Pour Gaye Traoré, c'est "la crainte" de passer un mauvais quart d'heure en se faisant contrôler qui a poussé son petit frère à se cacher dans un transformateur électrique, où il a trouvé la mort, le 27 octobre 2005, à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Bouna n'avait alors que 15 ans. Pendant dix ans, la famille a tenté de faire condamner les policiers pour "non-assistance à personne en danger" et "mise en danger délibérée de la vie d'autrui". Mais le tribunal a prononcé une relaxe définitive en 2015.    

"Ça a été un combat de tous les jours pour connaître la vérité. Ça a été très dur. On avait l'impression qu'il n'y avait pas de justice ou qu'elle n'était pas la même pour nous", grince Gaye Traoré. Difficile pour lui d'être optimiste : "Depuis la mort de mon frère, les bavures se poursuivent. Et elles continueront, tant que la situation ne sera pas apaisée entre les jeunes de quartiers populaires et les policiers."

Même son de cloche du côté de Mohamed Mechmache. "La confiance entre les jeunes et la police est au plus bas", se désole cet ancien éducateur à Clichy-sous-Bois et membre de l'association AC Le Feu. Pendant les émeutes de 2005, il a passé toutes ses nuits à tenter d'apaiser la colère les jeunes de son quartier.

Une voiture brûlée après des heurts avec la police, le 7 février 2017, à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).  (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

A l'époque, il était parvenu à ramener le calme en convainquant Nicolas Sarkozy - alors ministre de l'Intérieur - d'évacuer les CRS qui quadrillaient le quartier. "Dix ans plus tard, la colère des jeunes d'Aulnay est toujours légitime. Mais il ne faut pas tomber dans le piège de l'embrasement des quartiers. Nous sommes à trois mois des élections, et ça pourrait avoir des conséquences terribles."

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