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Au procès de Jean-Marc Reiser pour l'assassinat de Sophie Le Tan, le "fantôme" de la disparition de Françoise Hohmann

Dernière personne à avoir vu la jeune femme vivante en 1987, Jean-Marc Reiser a été jugé pour "homicide" en 2001, mais acquitté faute de preuves. Le dossier a été rouvert en 2020, à la lumière notamment de son implication dans l'affaire Le Tan.
Article rédigé par Eloïse Bartoli
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Françoise Hohmann avait 23 ans lorsqu'elle a disparu sans laisser de traces, le 8 septembre 1987 à Strasbourg (Bas-Rhin). (DR)

Un procès et deux familles unies dans un même malheur. Celle de Sophie Le Tan sera présente aux assises du Bas-Rhin à Strasbourg, du lundi 27 juin au mardi 5 juillet, afin d'y voir juger Jean-Marc Reiser pour l'assassinat de l'étudiante strasbourgeoise de 20 ans, tuée le 7 septembre 2018 et dont le corps n'a été découvert que près d'un an plus tard. Mais une autre famille assistera aux audiences : celle de Françoise Hohmann, une représentante de commerce de 23 ans, disparue le 8 septembre 1987 à Strasbourg et dont la dépouille n'a jamais été retrouvée. 

La complicité entre les Hohmann et les Le Tan s'est construite autour d'une douleur et d'une conviction communes : celle que Jean-Marc Reiser, qui a reconnu avoir tué Sophie Le Tan, est aussi le meurtrier de Françoise Hohmann. C'est lui qui a vu la jeune femme vivante pour la dernière fois. Ce qui en fait, à leurs yeux, un coupable idéal, même si la justice l'a innocenté en 2001.

Des similitudes qui nourrissent les soupçons

"Dans le cas de Françoise, le coupable est passé entre les mailles du filet. C'est la seule différence entre les deux affaires", assure Laurent, le cousin de Sophie Le Tan, devenu le "porte-parole" de la famille, mais aussi l'ami des Hohmann. La présence des Hohmann au tribunal "est avant tout en soutien à la famille Le Tan", insiste l'avocate des Hohmann, Marylène Correia. Mais selon cette dernière, ils seront aussi là "pour dire que, peut-être, si on avait pu obtenir la condamnation de Jean-Marc Reiser à l'époque, on n'en serait pas là".

"Je veux que Jean-Marc Reiser voie que nous sommes présents, qu'on ne lâchera rien, qu'on se battra jusqu'au bout."

Fanny Mehauden, nièce de Françoise Hohmann

à franceinfo

Depuis 35 ans, les Hohmann sont persuadés que Jean-Marc Reiser est le meurtrier de leur fille. Cette certitude a été renforcée lorsque l'affaire Sophie Le Tan a éclaté, en septembre 2018, et que la presse a dévoilé les détails de la disparition de l'étudiante. "J'ai dit : 'Maman, il a recommencé'", se souvient Fanny Mehauden. 

Ses proches relèvent d'abord les points communs entre les deux jeunes femmes : Sophie Le Tan fêtait à peine sa vingtième année, Françoise Hohmann avait 23 ans. "Toutes les deux étaient brunes, avec de longs cheveux", relate Marylène Correia. Il y a ensuite les dates : l'une a disparu le 8 septembre 1987, l'autre le 7 septembre 2018.

Françoise était une jeune fille "très studieuse" mais "bonne vivante", qui "aimait sortir et faire la fête", selon la famille Hohmann. (DR)

Il y a, enfin, les circonstances de leur disparition. A l'instar de Sophie, venue pour visiter l'appartement de celui qui se révélera être son bourreau, Françoise a disparu après avoir frappé à la porte de Jean-Marc Reiser. La jeune femme, qui voulait financer ses études de diététique, travaillait comme démarcheuse commerciale. Le 8 septembre 1987, sa journée se conclut vers 19 heures par la démonstration d'un aspirateur dans un immeuble du quartier de Hautepierre, à Strasbourg. Les traces de l'existence de Françoise s'arrêtent là, au rez-de-chaussée de ce bâtiment décrépit. Malgré les trois décennies qui séparent les deux affaires, Thierry Moser, avocat de la famille Hohmann jusqu'en 2020, voit dans ces similitudes "une espèce de signature, comme un modus operandi."

Une condamnation en 2001 pour deux viols

Le lourd passé judiciaire de Jean-Marc Reiser conforte un peu plus les Hohmann et les Le Tan dans leur croyance en sa culpabilité. En 1997, ce fils de forestier alsacien est interpellé lors d'un contrôle de routine des douaniers. Ces derniers découvrent dans sa voiture un arsenal d'armes de poing, un fusil à pompe, des cagoules, des stupéfiants et, surtout, des photos de femmes visiblement inconscientes, dans des positions sexuelles dégradantes.

L'image irréprochable dont jouissait l'ancien étudiant de l'Institut régional d'administration de Bastia (Haute-Corse) au moment de la disparition de Françoise Hohmann est sérieusement écornée. Suspecté dans l'enquête pour "séquestration" ouverte en 1987, il avait bénéficié d'un non-lieu en 1992, et l'information judiciaire avait été clôturée. Mais après son arrestation en 1997, Jean-Marc Reiser est désormais considéré par les enquêteurs comme un potentiel prédateur sexuel. Il est mis en examen pour deux viols commis en 1995 et 1996 : celui d'une ancienne compagne, identifiée sur les photos, et celui d'une auto-stoppeuse allemande. En 2001, il est condamné par les assises du Doubs à 15 ans de réclusion. Une peine confirmée en appel deux ans plus tard.

Le soir du 8 septembre 1987, Françoise ne rentre pas au domicile familial. Les Hohmann sont tout de suite persuadés qu'il lui est arrivé quelque chose : "Très attachée" à sa famille, "elle n'aurait jamais manqué un dîner sans prévenir." (DR)

L'arrestation de Jean-Marc Reiser a ravivé les soupçons sur sa possible implication dans la disparition de Françoise Hohmann. En 1999, il est mis en examen pour "homicide volontaire". L'affaire est également jugée en 2001, devant les assises du Bas-Rhin cette fois. Mais le dossier reste mince. Le corps de la victime n'a pas été retrouvé et la police scientifique était inexistante à l'époque de la disparition de la jeune femme. Le doute profitant toujours à l'accusé, Jean-Marc Reiser est acquitté faute de preuves.

"Pas de cadavre, aucune preuve scientifique. Face à ça, la cour pouvait avoir un doute."

Valérie Gletty, ancienne avocate de la famille Hohmann

à franceinfo

La famille Hohmann est sous le choc. "Mon grand-père s'est levé à l'audience et a crié haut et fort à l'avocat de Jean-Marc Reiser : 'Vous êtes le diable'", raconte à franceinfo la nièce de Françoise, âgée de 14 ans lors du procès. Fanny Mehauden se souvient d'une ambiance délétère à la maison à l'annonce du verdict. Un acquittement d'autant plus difficile à vivre pour une famille qui, "sans sépulture", n'a jamais pu faire son deuil en plus de trente ans.

Pour la famille Hohmann, le combat d'une vie

René Hohmann, le père de Françoise, s'est éteint début mai. "Ça aura été le combat de sa vie. Il est parti sans savoir la vérité", regrette Fanny Mehauden. Une situation douloureuse, qui nourrit sa détermination à obtenir un procès. "Pour lui et pour ma grand-mère."

"Je me bats pour tous ceux qui ont tellement aimé Françoise, qui l'ont choyée et qui n'ont jamais eu de réponse. Nous sommes des victimes collatérales."

Fanny Mehauden, nièce de Françoise Hohmann

à franceinfo

Après la mort de Sophie Le Tan, cette mère de trois filles tente de relancer le dossier Françoise Hohmann, et se dirige vers l'avocat Thierry Moser, qui assurait la défense des parents Villemin dans l'affaire du petit Grégory. Problème : l'acquittement de Jean-Marc Reiser pour homicide a été prononcé à une époque il n'était pas possible pour le procureur de la République ou la partie civile de faire appel d'une décision rendue par une cour d'assises. Le verdict est donc définitif.

Une enquête rouverte pour "recel de cadavre"

Mais le corps de Françoise n'a jamais été retrouvé. Thierry Moser demande alors, près de 20 ans après le procès, des poursuites non pour "homicide" mais pour "recel de cadavre", ainsi qu'une réouverture de l'information judiciaire pour "séquestration". L'avocat invoque trois éléments nouveaux : la condamnation pour viols de Jean-Marc Reiser en 2001, mettant en lumière une "personnalité très troublante" ; l'affaire Sophie Le Tan ; et enfin les progrès de la science. "C'est un argument que j'avais déjà invoqué dans l'affaire Villemin", fait-il valoir.

"Je dis que la science a fait des progrès très importants depuis 1987. On peut utiliser de nouvelles techniques d'investigation."

Thierry Moser, ancien avocat de la famille Hohmann

à franceinfo

Ce raisonnement convainc le parquet de Strasbourg, qui rouvre le dossier en février 2020. Deux juges d'instruction sont saisis contre X des chefs de "séquestration arbitraire criminelle" de la jeune femme et de "recel de cadavre", dans deux informations judiciaires distinctes. Confiant, l'avocat aujourd'hui à la retraite espère qu'un procès se tiendra "d'ici à deux ans". Un optimisme que tempère le conseil de Jean-Marc Reiser : "Pour l'instant, Monsieur Reiser n'a pas été réentendu dans le dossier et n'a pas été mis en examen pour une autre qualification pénale", insiste Pierre Giuriato.

Des éléments du dossier Hohmann joints à la procédure Le Tan

En attendant, Jean-Marc Reiser sera bien jugé pour "homicide volontaire avec préméditation" pour la mort de Sophie Le Tan. Durant la dizaine de jours que durera le procès, l'histoire de Françoise Hohmann ne sera pas totalement passée sous silence. "Certains procès-verbaux issus du dossier Hohmann sont joints à la procédure concernant Sophie Le Tan", précise Pierre Giuriato, l'avocat de Jean-Marc Reiser. Il a bien tenté de contester cette jonction devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Colmar. Sans succès.

"Le nom de Françoise Hohmann est cité dans le dossier Sophie Le Tan, mais ce n'est pas sur ça qu'il sera jugé."

Pierre Giuriato, avocat de Jean-Marc Reiser

à franceinfo

"Son fantôme planera sur les jurés. Il les incitera à être extrêmement sévères", veut croire Valérie Gletty, l'avocate de la famille Hohmann lors du procès de 2001. Elle espère que, cette fois, Jean-Marc Reiser sera condamné "pour l'ensemble de son œuvre".

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