Enquête : dans la jungle des podcasts

Publié
Durée de la vidéo : 4 min
podcast ter
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
France Télévisions
France 2
Ils font désormais partie du quotidien. En 2023, 6 millions de Français écoutaient des podcasts, un nouveau format de radio, au moins une fois par semaine dans les transports, en voiture ou chez eux. Aujourd’hui, chacun peut lancer sa propre émission sur l’histoire, la religion, le développement personnel ou encore l’humour, sans limites. Quitte, parfois, à enfreindre la loi.

Dans le cadre de notre enquête, nous avons écouté des dizaines d’heures d’émissions sur des plateformes dédiées. Et rapidement, des propos nous interpellent, y compris parmi les podcasts à succès. 

Un épisode par exemple a atteint le top 2 de Spotify France au moment de sa sortie. Son auteur a milité à l’extrême droite. Dans l'épisode sorti en novembre 2023 après la mort de Thomas, tué lors d’un bal de village à Crépol, il s’en prend à la “mouvance racaille” (sic).  Et semble appeler ses auditeurs à réagir: “ces mecs-là, il faut les massacrer. Je ne peux pas tout dire parce que sinon le podcast va sauter mais il faut les massacrer. Il faut vraiment que la police les massacre une bonne fois pour toutes ou que les Français de base les massacrent une bonne fois pour toutes.” 

Des appels à la haine 

Pour l'avocate spécialisée Ilana Soskin, ces propos tombent sous le coup de la loi : "on peut penser à une infraction aggravée à raison du caractère raciste parce qu’il oppose ces gens aux Français, on a clairement une exhortation à commettre des crimes et des délits, une exhortation à la haine contre ces personnes". La peine encourue est de 45 000 euros d’amende et jusqu’à 5 ans d’emprisonnement. 

Contacté, l’auteur du podcast répond: "Par massacrer, il faut entendre « mater », mater durement. Et oui j’assume “ et dit avoir choisi le format podcast “pour pouvoir parler plus longuement et à la venvole”, c’est-à-dire avec légèreté. 

Mais alors comment ces propos peuvent-ils être tenus publiquement. Les podcasts sont-ils contrôlés par des modérateurs ? 

Hébergeurs et plateformes d'écoute : un système automatisé

Les auditeurs les écoutent sur des plateformes mais ces plateformes ne sont que le dernier maillon de la chaîne. Elles ne détiennent pas elles-mêmes les podcasts. Elles les reçoivent automatiquement de la part d’entreprises qui hébergent les fichiers audio puis qui les leur distribuent . 

Nous créons notre propre podcast pour tester l’existence de systèmes de contrôle : voici L’Oreille du 20H. Entre notre inscription sur un hébergeur, l’entreprise Ausha, et sa mise en ligne sur les plateformes d’écoute, il faut moins d’une heure à notre épisode pour être accessible. Le processus est automatique, sans aucun contrôle des propos qui pourraient y être tenus. 

Et d’après un ancien salarié de l’hébergeur Ausha, il n’était pas intéressant économiquement pour l’entreprise de modérer les podcasts. Il nous raconte anonymement : "on n'avait pas ce sujet pour l'instant de limiter les émissions qui rentraient parce qu'en fait, on a l'enjeu de « si on n'est pas rentable dans X temps, la boîte, elle meurt ». En plus chez Ausha, quand j’y étais, on était 20. On venait de dépasser les 5000 émissions qui étaient hébergées chez nous. Je ne vois même pas comment humainement on pourrait débloquer les ressources en «temps-homme» pour modérer tout ça."

Ausha n’a pas donné suite à nos demandes de réaction.

Une modération uniquement en cas de signalement

Quant aux plateformes, elles se dotent chacune de leurs propres conditions d’utilisation, plus ou moins contraignantes. Deezer, par exemple, dit exclure les messages “contraire aux bonnes moeurs”. Spotify, interdit “le contenu visant à promouvoir ou à commettre un acte illégal.” 

Pourtant, nous avons trouvé sur ces plateformes des podcasts aux propos ambigus : comme cet épisode, sorti après l’interdiction de l’abaya dans les établissements scolaires, et proposant un guide de survie pour continuer à la porter. Ou encore un autre débattant de la polygamie comme d'une option qui peut être prise... comme on prendrait des options sur une nouvelle voiture. Les auteurs y affirment que “c’est comme une voiture,  tu as l’option radar de recul … On te propose une option, tu n’es pas obligé de la prendre. Mais si tu la prends ça peut être plus agréable."

Légalement, les plateformes ne doivent intervenir qu’en cas de signalement. Spotify nous dit avoir retiré “des “milliers de contenus enfreignant les règles de sa plateforme l’an passé”.  Quant à Deezer, ils expliquent procéder à “un examen interne toutes les semaines, puis le contenu est retiré de la plateforme dans les 48h à 72h.

Pourtant, à l'heure de la diffusion de notre enquête, les épisodes repérés et que nous avons signalés aux plateformes il y a une semaine sont toujours en ligne, accessibles aux auditeurs. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.