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Présidentielle : les sondages influencent-ils notre vote ?

Article rédigé par Louis Boy - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Les électeurs sont appelés aux urnes pour choisir un nouveau président de la République, les 23 avril et 7 mai 2017. (MAXPPP)

Régulièrement critiquées pour leurs erreurs, les enquêtes d'opinion sont également accusées de créer des "bulles" autour de certains candidats. Mais dans quelles mesures peuvent-elles vraiment jouer sur nos décisions ? Entretien.

C'est la dernière sensation d'une campagne présidentielle riche en rebondissements : depuis la mi-mars, Jean-Luc Mélenchon s'est envolé dans les sondages. Après avoir distancé Benoît Hamon, le candidat de la France insoumise se trouve au coude-à-coude avec François Fillon, et peut croire à une qualification au second tour. Dans le sondage quotidien réalisé par l'institut Ifop, les intentions de vote en sa faveur sont en effet passées de 10,5% à 19% en seulement un mois.

Une "remontada" qui impressionne et qui interroge, dans un contexte de défiance envers les sondages : est-ce le programme de Jean-Luc Mélenchon qui convainc ses nouveaux soutiens ou l'image d'un candidat qui a le vent en poupe et apparaît désormais comme le meilleur espoir de la gauche ? En somme, les bons sondages peuvent-ils influencer les résultats ? Pour y voir plus clair, franceinfo a interrogé Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et au Cevipof, et spécialiste de l'analyse du comportement des électeurs.

Franceinfo : Jean-Luc Mélenchon bénéficie-t-il d'une "bulle sondagière", où les bons sondages convaincraient toujours plus d'électeurs, et alimenteraient eux-mêmes sa montée dans les sondages ?

Bruno Cautrès : Bien sûr que les sondages comptent dans la popularité des candidats. Ça ne peut pas faire de mal à la campagne de Jean-Luc Mélenchon de pouvoir se présenter comme le candidat qui permettra à la gauche de faire meilleure figure possible. Les sondages comptent dans la part du choix des électeurs qui se fait à court terme.

C'est un élément qui leur sert à la fin de la campagne, quand ils vont actualiser leur choix personnel : s'assurer que tel candidat est toujours celui dont le programme leur plaît le plus, mais aussi tenter de calculer si leur favori peut se qualifier au second tour. Toutes les personnes qui voteront pour Jean-Luc Mélenchon ne partageront pas forcément l'intégralité de son programme.

Dans le cas de Jean-Luc Mélenchon, bien sûr que si tous les médias parlent d'une dynamique en sa faveur, il se crée une sorte de prophétie autoréalisatrice. Mais d'autres éléments comptent également, comme la bonne ou mauvaise performance d'un candidat lors d'un débat télévisé. Jean-Luc Mélenchon fait une bonne campagne : il est très présent sur les réseaux sociaux, il est plus rassembleur qu'en 2012, il a un style de parole différent des autres... Sa hausse dans les sondages s'explique par une interaction entre tous ces facteurs.

Si vous communiquez mieux, et qu'en plus tout le monde vous dit que vous êtes dans une bonne dynamique, cela produit forcément quelque chose de positif.

Bruno Cautrès

à franceinfo

Mais ces éléments à court terme, dont les sondages font partie, ne viennent pas, de façon radicale, contrecarrer les grandes variables sociologiques qui expliquent les choix des électeurs.

Vous parlez d'un calcul lié aux chances des différents candidats. Comment ce calcul basé sur les sondages peut-il avantager Jean-Luc Mélenchon aujourd'hui ?

En se basant sur les sondages, on a expliqué pendant des mois aux électeurs de gauche qu'Alain Juppé allait gagner, puis que ce serait François Fillon, puis Emmanuel Macron. Un électeur de gauche a peut-être envie de dire que la gauche existe toujours. Dans ce cas, autant pousser le candidat de gauche qui a les intentions de vote les plus importantes. En l'occurrence, Jean-Luc Mélenchon. 

Le fait qu'il soit au coude-à-coude avec François Fillon rend cette perspective encore plus intéressante. Même si Jean-Luc Mélenchon ne se qualifiait pas au second tour, avoir un candidat de gauche devant celui de la droite serait un meilleur cas de figure du point de vue de la dynamique après les élections.

Les sondages influencent-ils uniquement le vote en faveur de celui qui bénéficie d'intentions de vote en hausse ? Ou peut-il y avoir des effets inverses, en faveur de candidats en difficulté ?

Vous pouvez à la fois avoir un effet d’entraînement : certains électeurs auront envie de participer à la dynamique d'un candidat, comme Jean-Luc Mélenchon. Mais à l’inverse, certains vont se dire : "Ce candidat est certain de faire un bon score, essayons de préserver cet autre candidat plus en difficulté." Dans cette élection, cela peut concerner des électeurs qui ne seraient pas d'accord avec tout le programme de Benoît Hamon, mais qui voteraient pour lui par attachement au PS et au fait qu'il survive à ce scrutin.

Le fait qu'il y ait quatre candidats en position de se qualifier au second tour contribue à ce que plus d'électeurs différents tiennent compte des sondages. Du côté des supporters d'Emmanuel Macron, par exemple, il peut y avoir le sentiment d'une certaine urgence à se mobiliser face au fait que François Fillon et Jean-Luc Mélenchon se rapprochent.

Dans l'ensemble, les sondages renforcent surtout la dynamique de celui qui est en ascension. C'est un élément de motivation plus fort que d'aller sauver un candidat en perdition.

Bruno Cautrès

à franceinfo

Ainsi, on a constaté lors des dernières élections présidentielles que celui qui était en tête au premier tour avait des grandes chances de gagner le second [l'inverse ne s'est plus produit depuis 1995]. Etre en tête donne le sentiment aux électeurs qu’il y a un phénomène autour de vous. Et d'autant plus quand il s'agit d'une information factuelle et pas seulement d'un sondage.

Tous les électeurs ne prêtent pas la même attention aux médias, notamment en fonction de leur catégorie sociale. Cela veut-il dire que les sondages n'ont pas la même influence chez tout le monde ?

Bien sûr. Etant donné que le vote est, avant tout, influencé par des variables sociologiques, le public qui est le plus sociologiquement attaché à son candidat va moins en tenir compte. Marine Le Pen et François Fillon sont les deux candidats dont les électeurs disent le plus fréquemment : "Je ne changerai pas d'avis." Marine Le Pen, par exemple, a un socle très sociologiquement structuré : ses électeurs sont massivement issus des catégories populaires, et partagent avec elles des valeurs qui pèsent beaucoup dans leur choix. Les sondages ne vont pas tellement influencer leur décision, pas plus que les évènements de la campagne.

On a bien vu, dans le cas de François Fillon, qu'il avait perdu des parts de marché importantes immédiatement après la révélation du "PenelopeGate". Mais son socle s'est vite stabilisé, autour de 17-18% des intentions de vote, et ne bouge plus depuis. Même si ces électeurs entendent depuis deux mois qu'ils vont perdre, ils ne sont pas partis. Pour les candidats, c'est une forte assurance-vie d'avoir ce socle d'électeurs acquis à leur profil et aux valeurs qu'ils représentent.

Au vu de l'influence que les sondages peuvent avoir sur l'attitude électorale, partagez-vous le point de vue de Jean-Luc Mélenchon, qui souhaite les interdire dans les 60 jours qui précèdent les élections ?

Non, il ne faut surtout pas interdire les sondages. Sinon, pourquoi ne pas interdire également les débats à la télé ou la parution des journaux ? Ce serait mettre le doigt dans un engrenage dont on ne sait pas bien où il s'arrête. Je rappelle toujours à mes étudiants que dans l'Espagne franquiste, il était interdit de réaliser de grandes enquêtes d'opinion. Je préfère que le citoyen ait le plus d'éléments possible. Mieux vaut avoir des sondages accessibles à tous, plutôt que de créer une société où certaines personnes soient bien informées et la majorité pas du tout.

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