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Vrai ou faux Présidentielle 2022 : on a vérifié cinq déclarations sur l'immigration lancées au cours de la campagne

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Le polémiste d'extrême droite Eric Zemmour le 24 septembre 2021 à Budapest (Hongrie). (ATTILA KISBENEDEK / AFP)

D'Eric Zemmour à Valérie Pécresse, en passant par Marine Le Pen, franceinfo a démêlé le vrai du faux dans les chiffres et les statistiques migratoires au cœur de la campagne présidentielle à droite et à l'extrême droite.

Eric Zemmour l'assure : à six mois de l'élection présidentielle, l'immigration est "la question fondamentale qui taraude les Français". Celle-ci n'arrive pourtant qu'en sixième position des préoccupations des sondés dans cette récente enquête d'Ipsos-Sopra Steria. A l'instar du polémiste, qui entretient le suspense sur sa candidature, les prétendants de droite et d'extrême droite à l'Elysée se livrent à une surenchère de propositions plus ou moins réalisables afin de réduire le nombre d'étrangers entrant en France. De Marine Le Pen à Valérie Pécresse, tous multiplient les déclarations, à grand renfort de chiffres et de statistiques. Franceinfo a vérifié cinq de ces affirmations sur l'immigration.

Sur le nombre d'arrivées en France

"Au bout du mandat d'Emmanuel Macron, il y aura 2 millions d'immigrés de plus."

Eric Zemmour

le 23 septembre, lors de son débat sur BFMTV avec Jean-Luc Mélenchon

Voici comment le polémiste d'extrême droite fait son calcul : il additionne les chiffres de l'immigration de l'année 2019. Les "275 000 entrées légales", soit le nombre de titres de séjour délivrés pour la première fois, plus les "36 000" demandes d'asile acceptées sur "130 000", plus "10 à 15%" des "90 000 déboutés", plus "40 000 à 50 000" mineurs isolés. Il dénombre ainsi "entre 350 et 400 000" immigrés arrivés en France en un an. Multipliés par cinq années de quinquennat, cela fait 2 millions.

Les différents chiffres avancés par Eric Zemmour sont proches de la réalité, mais sa méthode de calcul, et donc son résultat, sont erronés. En additionnant titres de séjour, demandes d'asile et mineurs isolés, il compte plusieurs fois les mêmes personnes. Car des immigrés entrés en France avec le statut provisoire de demandeurs d'asiles obtiendront leur titre de séjour quelques années plus tard, rappelle l'Institut Convergences Migrations, rattaché au CNRS.

Si l'essayiste additionne volontiers, il oublie de soustraire. Car les immigrés ne se contentent pas d'entrer en France, ils en sortent aussi. En 2017, 261 000 immigrés sont arrivés en France, mais 63 000 en sont partis, d'après l'Insee. Le solde migratoire était donc de 198 000 immigrés. Les chiffres des sorties d'immigrés du territoire ne sont pas encore disponibles pour les années suivantes. Impossible donc de savoir combien d'immigrés sont entrés en France au cours du quinquennat d'Emmanuel Macron.

En appliquant la méthode (peu scientifique) d'Eric Zemmour, c'est-à-dire en multipliant ce solde migratoire de 198 000 immigrés en 2017, au début du quinquennat, par cinq années, soit la durée du mandat d'Emmanuel Macron, le total n'est plus de 2 millions, mais de 990 000.

Eric Zemmour insiste en outre sur le fait que ces chiffres ne tiennent pas compte de l'immigration illégale. C'est faux. "L'Insee recense tous les immigrés, quelle que soit leur situation administrative", explique Jérôme Lê, chef de la cellule études et statistiques sur l'immigration à l'Insee, dans Le Parisien

Sur la population vivant en HLM

"Les ménages immigrés sont deux fois plus souvent locataires de HLM que les autres."

Marine Le Pen

le 23 septembre, en conférence de presse

Cet argument est censé appuyer la proposition de la candidat du Rassemblement national à la présidentielle d'instaurer une "priorité nationale" dans l'accès au logement social.

Si on prend au pied de la lettre sa déclaration, Marine Le Pen est même (un peu) en dessous de la vérité. En 2017, 13% des ménages non immigrés étaient locataires d'un logement HLM. Cette proportion atteignait 31% chez les ménages immigrés, selon les statistiques de l'Insee, tirées du recensement de la population et compilées par le ministère de l'Intérieur.

"La surreprésentation des immigrés dans les logements HLM peut être liée à leurs plus faibles revenus, mais aussi à la plus grande taille de leur ménage", expliquait le ministère de l'Intérieur. "Le temps de présence en France a également une influence sur l'accession à la propriété des immigrés, soulignaient les services de Beauvau, résumant une analyse de l'Insee. Les ménages immigrés originaires d'Italie et d'Espagne, en France depuis plus longtemps que ceux originaires du Maghreb ou de Turquie, sont donc davantage propriétaires de leur logement." 

Il ne faut pas perdre non plus de vue que les ménages immigrés sont presque dix fois moins nombreux que les ménages non immigrés. Selon la dernière enquête sur les conditions de logement en France, publiée par l'Insee en 2017, à partir des données de 2013, il y avait au total 2,7 millions de ménages immigrés pour 25,3 millions de ménages non immigrés dans l'Hexagone. En 2013, parmi ceux-ci, 34% des ménages immigrés étaient locataires dans le parc social contre 15% des ménages non immigrés.

Ces 34% de ménages immigrés vivant en HLM ne représentaient donc que 918 000 foyers en France. Les 15% de ménages non immigrés locataires du parc social comptaient eux pour 3 795 000 foyers. Les ménages immigrés totalisaient ainsi à peine 19,5% de l'ensemble des ménages habitant un logement social en 2013, contre un peu plus de 80,5% pour les ménages non-immigrés.

Sur le profil des immigrés

"Je déplore qu'on importe dans notre pays que des bac-5 et qu'on exporte tous nos bac+10."

Jordan Bardella, président par intérim du RN

le 28 septembre, sur France Inter

Le remplaçant de Marine Le Pen à la tête du Rassemblement national caricature la situation. En 2020, la proportion de non diplômés ou de personnes n'ayant que le brevet était certes bien plus forte chez les immigrés (37,8%) que chez les non-immigrés (18,9%), d'après les chiffres de l'Insee. De même, les détenteurs d'un CAP ou d'un BEP étaient proportionnellement moins nombreux chez les immigrés (19,5%) que chez les non-immigrés (30%). Les bacheliers et Bac +2 étaient également moins représentés. Mais la proportion de personnes ayant un diplôme supérieur à Bac +2 était un peu plus importante au sein des immigrés (21,7%) que parmi les non-immigrés (20,1 %).

Jordan Bardella s'alarme également d'une "fuite des cerveaux" français. Celle-ci s'est certes accentuée, mais elle reste modérée, comme l'attestent les chiffres cités dans cette publication de la direction générale du Trésor datant de janvier. En 2019, les Nations unies comptabilisaient environ deux millions de personnes nées en France vivant à l'étranger. Un chiffre en hausse de 52% en 20 ans et de 89% en 40 ans. Pour autant, le taux d'émigration de la France reste l'un des plus bas au sein de l'OCDE. En 2015-2016, 2,7% des Français âgés de 15 ans et plus résidaient dans un autre pays de l'OCDE. Cette statistique était deux fois plus élevée au Royaume-Uni ou en Suisse et même six fois plus importante en Irlande ou au Portugal.

Les Français émigrés sont, il est vrai, en moyenne plus éduqués que ceux restés en France. L'écart entre les deux populations s'est même creusé au cours des quinze dernières années. Ainsi, plus de la moitié des 25-64 ans vivant à l'étranger (58%) sont diplômés de l'enseignement supérieur. Mais pour autant, tous ces expatriés ne sont pas "Bac +10", pour reprendre les termes de Jordan Bardella. Ils peuvent aussi bien avoir un BTS (Bac +2), qu'une licence (Bac +3), un master (Bac +5) ou un doctorat (Bac +8). Et finalement, seules 6% des personnes nées en France et diplômées du supérieur vivaient dans un autre pays de l'OCDE en 2015-2016.

Sur les déboutés du droit d'asile

"Avant la crise du Covid-19, nous avions 135 000 demandeurs d'asile, dont la majorité est déboutée ; 95% des déboutés restent sur le sol français."

Valérie Pécresse, candidate à l'investiture de la droite

le 12 septembre, sur BFMTV

L'origine de cette statistique brandie depuis des années par des figures de droite comme d'extrême droite est nébuleuse. Il est probable que ce pourcentage provienne de ce rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) datant de 2013. D'après les chiffres de 2011 et 2012, "plus de 52 000 demandeurs d'asile" arrivaient chaque année en France. En 2011, 39 000 d'entre eux étaient déboutés. L'Igas estimait à 2 200 le nombre de départs. L'Igas en concluait que 37 000 déboutés resteraient chaque année sur le territoire. Soit près de 95% d'entre eux. Mais il s'agit là d'une estimation faite au conditionnel.

Un référé de la Cour des comptes remontant à 2015 avance une statistique comparable. Mais une fois encore au conditionnel. "Plus de 96% des personnes déboutées resteraient en France, compte tenu, d'une part, du taux d'exécution très faible des OQTF [obligations de quitter le territoire français] et, d'autre part, des procédures et des recours engagés par les demandeurs d'asile", est-il écrit. Un étranger dont le dossier a été rejeté par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) peut en effet saisir la Cour nationale du droit d'asile.

Problème : la Direction générale des étrangers en France (DGEF), citée par la Cour des comptes pour justifier ce pourcentage, a répondu au Factoscope, projet de fact-checking de l'école de journalisme de Tours, qu'elle "ne pouvait pas confirmer ou infirmer ces chiffres", car on "ne peut calculer le nombre de personnes déboutées du droit d'asile chaque année en France puisque ces derniers n'ont pas de statut juridique".

Le ministère de l'Intérieur fournit certes les chiffres annuels des étrangers en situation irrégulière ayant quitté le territoire, que ce soit de manière volontaire ou forcée. Mais ces données ne permettent pas de savoir s'il s'agit des déboutés du droit d'asile de l'année en cours. Impossible donc de savoir avec précision quelle proportion des déboutés du droit d'asile reste en France.

Sur l'obtention de la nationalité française

"Ce n'est plus possible qu'on ait la nationalité de façon automatique, ce n'est plus possible qu'on ait des titres de séjour de façon automatique."

Eric Ciotti, député LR candidat à l'investiture de la droite,

le 26 août, sur BFMTV

L'acquisition de la nationalité n'a pourtant rien d'automatique. Les personnes nées en France de parents étrangers acquièrent la nationalité française à leur majorité. A condition qu'elles résident en France et qu'elles y aient vécu durant au moins 5 ans depuis l'âge de 11 ans de manière continue ou non. En 1993, la loi Pasqua avait remplacé cette disposition par une "manifestation de volonté" du demandeur. En 1998, la gauche revenue au pouvoir avait annulé cette modification, rappelle l'AFP.

Les mineurs nés en France de parents étrangers, les parents ou grands-parents, conjoints, frères ou sœurs de Français, peuvent acquérir la nationalité française, si leur dossier remplit les conditions requises. Les étrangers majeurs résidant régulièrement en France peuvent eux déposer une demande de naturalisation par décret. La naturalisation est accordée à l'étranger sous certaines conditions et se fait par décision de l'autorité publique. Elle n'a donc rien d'automatique.

L'obtention des titres de séjour n'est elle non plus pas automatique. Visiteur, retraité, travailleur, famille... Quelle que soit l'une des neuf cartes de séjour souhaitées, le demandeur doit remplir un formulaire, fournir une série de documents et de justificatifs. Un cadre légal fixé dans le Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Même en cas d'avis favorable de la commission du titre de séjour, le préfet peut décider de refuser de délivrer une carte de séjour.

En 2020, 84 864 personnes ont acquis la nationalité française, selon le ministère de l'Intérieur cité par l'Insee. Concernant les titres de séjour, 870 798 visas ont été demandés en 2020, qu'il s'agisse de premières demandes ou de renouvellements. Les autorités ont refusé d'en délivrer 168 228 et 712317 titres de séjour ont été octroyés. Ainsi 18,2% des dossiers traités – ceux-ci ayant pu être déposés l'année précédente, expliquent les services de la place Beauvau  ont essuyé un refus.

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