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Vrai ou faux L'immigration tire-t-elle les salaires vers le bas, comme l'affirme Marine Le Pen ?

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Marine Le Pen, le 12 octobre 2021, à l'Assemblée nationale, à Paris. (DANIEL PIER / NURPHOTO / AFP)

La hausse des salaires au Royaume-Uni, citée en exemple par la candidate du RN à la présidentielle, est une conséquence des crises du Covid-19 et du Brexit, par ailleurs à l'origine d'une grave pénurie de main-d'œuvre outre-Manche. Les études montrent que l'immigration a peu d'impact sur le chômage et les salaires. Sauf exceptions.

Marine Le Pen brandit un argument de campagne classique de l'extrême droite. Invitée de RTL, jeudi 14 octobre, la candidate du Rassemblement national à l'élection présidentielle a fait cette déclaration : "Il y a eu une conséquence à l'arrêt de l'immigration, notamment clandestine, en Grande-Bretagne, c'est une augmentation de 8,8% des salaires." Et la députée d'extrême droite d'insister : "L'immigration, en réalité, sert à peser à la baisse sur les salaires." Dit-elle vrai ou fake ?

Pour la hausse des salaires, Marine Le Pen s'appuie sur une statistique exacte. Celle-ci émane d'une publication de l'Office national des statistiques britannique* (ONS), l'équivalent de l'Insee outre-Manche, datant 17 août. Au Royaume-Uni, le salaire annuel moyen, bonus inclus, a bien augmenté de 8,8% entre 2020 et 2021. Hors primes, la hausse est de 7,4 %. Mais l'ONS, elle-même, invite à interpréter cette augmentation importante "avec prudence"

Un "effet coronavirus"

D'abord, l'ONS fait valoir qu'il y a eu un "effet coronavirus" sur les salaires. L'épidémie de Covid-19 a provoqué un ralentissement de l'économie : des entreprises ont licencié, d'autres ont mis leurs salariés au chômage partiel… Cela a entraîné une baisse du salaire moyen en 2020, au plus fort de la crise. Avec l'amélioration de la situation sanitaire en 2021, l'économie s'est relancée et, avec elle, le salaire moyen est reparti à la hausse.

Ensuite, l'ONS souligne que les emplois les moins bien rémunérés ont été les plus affectés par la crise, ce qui biaise le calcul. "L'analogie que j'aime utiliser est la taille, commente sur le blog de l'ONS* le directeur général des statistiques économiques de l'institution, Jonathan Athow. Si la personne la plus petite d'une pièce s'en va, la taille moyenne des personnes restantes augmentera. Personne n'est devenu plus grand, mais la composition des personnes dans la pièce a changé, augmentant la taille moyenne." Le statisticien estime que ces deux effets cumulés jouent pour 2,2 à 3,4 points dans cette hausse du salaire annuel moyen.

Outre-Manche, la crise du Covid-19 s'est doublée d'une crise du Brexit. La pandémie a incité de nombreux travailleurs étrangers à rentrer dans leur pays d'origine et la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a compliqué les formalités de retour des travailleurs européens. Conséquence : l'ONS* a comptabilisé 1,1 million d'emplois vacants entre juillet et septembre. Soit 3,7 emplois vacants pour 100 emplois. Du jamais-vu.

Une pénurie de main-d'œuvre

La pénurie de main-d'œuvre frappe tous les secteurs de l'économie britannique : 12 sur 18 relatent des chiffres records. L'industrie, notamment la réparation automobile, est la plus atteinte. Mais l'agroalimentaire, la restauration, le commerce et la distribution, les activités techniques et scientifiques et manufacturières ne sont pas épargnés. Le manque de chauffeurs routiers (100 000 selon les professionnels du secteur) est sans doute le plus médiatisé.

Ce manque de travailleurs pousse les entreprises à promettre des bonus inédits pour attirer les précieux talents. La chaîne de supermarchés Tesco, l'enseigne de grande distribution Asda ou le transporteur de courrier DHL proposent par exemple une prime de 1 000 livres à tout nouveau chauffeur embauché. Chez HC-One, le premier exploitant de maisons de retraite en Grande-Bretagne, qui peine à retrouver du personnel qualifié, le "cadeau de bienvenue" culmine à 10 000 livres, rapporte le Guardian*. Une surenchère de bonus de nature à tirer la moyenne des salaires vers le haut. 

Face à l'urgence, le gouvernement britannique s'est résigné à accorder quelque 10 000 visas de trois mois à des étrangers, notamment à des chauffeurs routiers et à des ouvriers dans l'industrie de la volaille. Une rupture avec la politique post-Brexit de contrôle strict de l'immigration.

"L'immigration n'a pas d'incidence sur le salaire ou l'emploi" 

En juin, le gouvernement britannique* recensait près de 831 000 visas accordés sur un an. Un chiffre en baisse de 61% par rapport à l'année précédente, en raison de la pandémie. Seuls 21% de ces titres de séjour concernaient des travailleurs. La hausse des salaires observée au Royaume-Uni apparaît donc bien plus comme une conséquence de la crise économique provoquée conjointement par le Covid-19 et le Brexit que par la politique migratoire du gouvernement de Boris Johnson.

Si l'exemple britannique semble mal choisi, Marine Le Pen a-t-elle pour autant tort d'affirmer que l'immigration a pour conséquence de tirer les salaires vers le bas ? Cette question est au centre de nombreux travaux de recherche menés par des économistes depuis des décennies, notamment ceux de l'économiste canadien David Card, qui vient de se voir décerner le prix Nobel d'économie. L'universitaire a étudié (en PDF)* l'épisode de l'exode de Mariel, qui vit 125 000 Cubains, expulsés par le régime de Fidel Castro, affluer aux Etats-Unis, en particulier à Miami, en 1980. Le chercheur s'est intéressé aux conséquences de cette arrivée soudaine et massive d'immigrants sur le taux de chômage et le niveau des salaires dans la métropole américaine, comparée à des villes voisines. Conclusions : une augmentation de 1% de la proportion d'immigrés dans la population ne s'accompagne que d'une réduction de 1,2 % des salaires de la population locale la moins qualifiée. Surtout, elle entraîne une diminution du chômage de 0,25 %. 

En 1992, l'économiste Jennifer Hunt s'est elle penchée sur les populations rapatriées d'Algérie dans le sud de la France en 1962 après l'indépendance. A l'époque, la hausse de 1% de la proportion de rapatriés dans la population locale s'était accompagnée d'une réduction de salaires de 0,8% et d'une hausse du chômage de 0,2%.

Un réel effet sur les salaires en Turquie en 2012

"La plupart des études concluent que l'immigration n'a pas d'incidence sur le salaire ou l'emploi moyens des natifs", résume Anthony Edo, économiste au Centre d'études prospectives et d'informations internationales, un service rattaché à Matignon, dans une analyse pour The Conversation. "L'immigration traditionnelle, celle qui concerne des flux modestes, stables et anticipés, n'a pas d'effet sur le salaire moyen", détaille l'expert.

Il n'en va pas de même lorsque l'afflux de migrants est massif, soudain et imprévu, selon les études portant sur des épisodes de crises migratoires, comme en Turquie* en 2012 au début de la guerre en Syrie. "Ces afflux de population ont eu tendance à réduire les salaires ou les opportunités d'emploi des natifs dans les premières années suivant le choc migratoire", expose Anthony Edo. Pour autant, "ces effets dépressifs de court terme disparaissent à l'horizon de dix à quinze ans."

* Les liens signalés par un astérisque renvoient vers des pages en anglais.

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