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Présidentielle 2022 : la règle des 500 parrainages d'élus pour être candidat est-elle "obsolète" ?

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Une cérémonie de commémoration de l'Appel du 18-Juin le 18 juin 2021 à Valence (Drôme). Photo d'illustration. (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS / AFP)

Jean-Luc Mélenchon, Eric Zemmour et Marine Le Pen critiquent vivement la nécessité de récolter au moins 500 signatures d'élus pour se présenter à l'élection présidentielle.

"C'est un cirque..." Au bout du fil, ce directeur de campagne ne cache plus son agacement face au "bluff" de plusieurs candidats à propos de leur nombre de parrainages récoltés pour se présenter à l'élection présidentielle. Ces derniers jours, Marine Le Pen, Eric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon tirent à boulets rouges sur le système actuel, qui impose à tous ceux qui rêvent de s'installer à l'Elysée de rassembler en premier lieu 500 signatures d'élus sur les quelque 42 000 parlementaires, maires, conseillers départementaux, régionaux ou territoriaux. Pour cette année, le Conseil constitutionnel a fixé la date limite pour rassembler ces paraphes au 4 mars, à 18 heures.

Mais à huit semaines de l'échéance, et alors que la période officielle de collecte des signatures ne débute que fin janvier, les trois candidats en ballottage n'ont cessé de pointer leurs difficultés respectives à parvenir au seuil des 500 parrainages. "On galère", a confié la candidate du Rassemblement national sur BFMTV, mercredi 12 janvier, alors que le polémiste d'extrême droite s'est défendu plus tard sur la même antenne de "pleurnicher", se disant optimiste sur sa présence au premier tour, avec environ 310 parrainages recueillis jusqu'à présent. Le candidat de La France insoumise est un peu en avance dans cette course préliminaire au scrutin, avec "un peu plus" de 400 promesses, assurent ses proches. Pourtant, le député des Bouches-du-Rhône se décrit dans une situation de "blocage", comme il l'a déploré auprès des journalistes réunis pour l'occasion à son siège de campagne, lundi 10 janvier.

"Tout le monde ment"

Alerte réelle sur un risque d'absence à l'élection reine de la Ve République ou simple coup de communication pour mobiliser sympathisants et élus ? "Sur le nombre de parrainages, tout le monde ment. Ceux qui disent qu'ils n'ont pas les parrainages disent ça à chaque élection", poursuit le directeur de campagne. "On a cette dramatisation tous les cinq ans avec des candidats qui montent habituellement au créneau en janvier", abonde auprès de franceinfo Bruno Cautrès, politologue au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

"Ce n'est pas simple de rassembler les signatures, mais souligner la dimension anti-système de ces parrainages d'élus est un ressort important du populisme."

Bruno Cautrès, politologue au Cevipof

à franceinfo

Il s'agit là aussi d'une posture, souligne le constitutionnaliste Didier Maus, qui rappelle qu'"aucun candidat significatif n'a été empêché de se présenter à une élection présidentielle depuis le début de la Ve République" et qu'il "n'y a aucune raison de penser que cela ne marche pas cette année". Cela vaut aussi pour les "petits" candidats. Jacques Cheminade a pu se présenter à l'élection présidentielle de 2017, rassemblant au premier tour 65 586 voix, soit 0,18% des suffrages. Quatorze candidats n'ont pas dépassé le cap des 500 000 voix lors des quatre dernières élections présidentielles, dont cinq lors du seul scrutin de 2017.

Qu'à cela ne tienne, Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen et Eric Zemmour militent aujourd'hui ardemment pour une réforme de la règlementation actuelle. Ils ciblent en premier lieu la loi d'avril 2016 sur la modernisation des règles de l'élection présidentielle, qui rend publique la liste de tous les parrains des candidats. Avant cela, seule une partie des 500 parrainages validés était publiée, après un tirage au sort.

Davantage de transparence pour limiter le nombre de candidatures

Pour Eric Zemmour, cette loi supprimant l'anonymat relatif des signatures d'élus est un texte "inique" et un "scandale démocratique", comme il l'a affirmé sur Europe 1. De son côté, Jean-Luc Mélenchon veut "rétablir l'anonymat des parrainages que François Hollande et Manuel Valls avaient supprimé dans le but d'exercer des pressions" sur les élus.

L'entourage de l'ancien chef de l'Etat assume auprès de franceinfo cette transparence accrue : "Le fait que les parrainages soient publics est-il un facteur dissuasif ? Sans doute. C'était le but de la loi, afin d'en rester à une dizaine de candidatures." Le maire de la petite commune de Salaunes, en Gironde, s'est ainsi retrouvé contesté par ses élus municipaux parce qu'il a annoncé qu'il parrainait Eric Zemmour, comme le rapporte Sud Ouest.

Il y a cinq ans, la fin de l'anonymat pour les parrainages n'a pas vraiment entraîné une chute drastique du nombre de signatures. "Entre 2012 et 2017, sur les 42 000 élus susceptibles de parrainer, on est passé de 36% à 34% de parrainages effectifs", détaille Bruno Cautrès. En sera-t-il de même en 2022, dans un contexte de pression croissante sur les élus, parfois agressés physiquement ? Pour tenter de s'enlever un peu de poids des épaules, de nombreux maires prennent une décision concertée avec leur conseil municipal pour trancher cette question parfois très sensible au niveau local.

La piste des parrainages citoyens

Quoi qu'il en soit, le gouvernement a décidé de ne pas accéder aux demandes des candidats protestataires. "On ne change pas les règles du jeu à quelques jours du match", a balayé Gérald Darmanin sur RTL, mardi 11 janvier. Le ministre de l'Intérieur estime par ailleurs que "les règles peuvent toujours changer puisque la Constitution puis la loi le prévoient". Et c'est précisément ce que propose Jean-Luc Mélenchon : le leader "insoumis" a fait de l'introduction des parrainages citoyens l'une de ses mesures principales pour "une République permettant l'intervention populaire". Et s'il milite pour un seuil de 150 000 signatures citoyennes à atteindre, le candidat de la gauche radicale s'est efforcé d'en recueillir 270 000 pour cette élection présidentielle.

Il n'y a rien de nouveau dans la mesure défendue par Jean-Luc Mélenchon. En 2012, la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique, dite "commission Jospin", préconisait déjà de remplacer les 500 parrainages d'élus locaux par un seuil de 150 000 signatures de citoyens. "On avait fait cette proposition pour limiter les candidatures farfelues, mais aussi parce que les petits candidats parviennent souvent à atteindre 200 000 ou 250 000 voix au premier tour de l'élection présidentielle", se rappelle pour franceinfo Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit constitutionnel et membre de la commission Jospin.

"On s'était inspirés de ce qui se faisait au Portugal ou en Pologne pour proposer un système de parrainages citoyens, ce qui est logique pour une élection au suffrage universel direct."

Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit constitutionnel et membre de la commission Jospin

à franceinfo

A l'époque, cette piste avait été rejetée par François Hollande, qui avançait la "difficulté de sa mise en œuvre". "Il y a des risques de pressions et d'achat de signatures. Il faut être extrêmement vigilant", justifie aujourd'hui l'entourage de l'ancien chef de l'Etat. "Ce serait est un énorme boulot en termes de procédures et de vérification", redoute de son côté le constitutionnaliste Didier Maus, "avec une période de récolte des parrainages beaucoup plus longue qu'aujourd'hui. Il faudrait vérifier les cartes d'identité, s'assurer que tout le monde est bien inscrit sur les listes électorales... Ça aurait été, par exemple, incompatible avec le calendrier de Valérie Pécresse". La présidente de la région Ile-de-France a été désignée candidate des Républicains début décembre, seulement trois mois avant la date butoir pour rassembler et vérifier des dizaines de milliers de signatures potentielles. Un argument que réfute Ferdinand Mélin-Soucramanien, selon qui la numérisation de la société permet désormais d'envisager un tel dispositif sans lourdeur administrative.

"Pas de système idéal"

"Obsolète", selon ce membre de la commission Jospin, la règle actuelle sur les parrainages gagnerait à ses yeux à s'ouvrir à la société, dans un habile mélange entre signatures d'élus et paraphes de citoyens. C'est la voie notamment choisie en Europe par l'Autriche, la Finlande ou la Slovaquie, avec la participation des différents partis au processus. "Ce système aurait deux intérêts : revaloriser le rôle des formations politiques et éviter les candidatures fantaisistes et aventurières", prône Ferdinand Mélin-Soucramanien. Bruno Cautrès adresse cependant une mise en garde à tous ceux qui voudraient renverser la table : "Il n'y a pas de système idéal", estime-t-il au moment d'évoquer une réforme constitutionnelle plus large.

"Dans tous les cas, parrainages citoyens ou pas, il faut un filtre pour l'accès à la présidentielle."

Bruno Cautrès, politologue au Cevipof

à franceinfo

"Il doit y avoir, sur ce sujet, une réflexion au début du prochain quinquennat pour voir si les règles doivent être adaptées", anticipe David Lisnard, président de l'Association des maires de France (AMF), interrogé par Le Figaro sur la possibilité d'aider Jean-Luc Mélenchon, Eric Zemmour et Marine Le Pen à atteindre la barre fatidique des 500 parrainages d'élus. Reste que les trois candidats devraient les rassembler sans aucun problème, selon les spécialistes interrogés par franceinfo. "Le débat sur une réforme a un intérêt, mais pour l'automne prochain, évacue Didier Maus. Là, comme on dit en balistique, le coup est parti."

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