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Municipales 2020 : bienvenue à l'Alpe d'Huez, la ville qui compte le plus grand nombre de résidences secondaires de France

Article rédigé par Raphaël Godet - De notre envoyé spécial à l'Alpe d'Huez (Isère)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La commune de l'Alpe d'Huez (Isère), le 23 janvier 2020.  (RAPHAEL GODET / AWA SANE / FRANCEINFO)

A l'occasion des municipales, franceinfo a analysé les données démographiques, politiques, économiques et sociales de toutes les communes françaises. Dans la célèbre station alpine, les prix de l'immobilier aussi prennent de l'altitude.

"C'est pour acheter ?" Nos après-skis n'avaient pas encore franchi l'entrée de l'espace de vente que le commercial d'Emerson's s'est levé de son fauteuil pour nous montrer quelques photos des appartements qui vont bientôt sortir de terre. "On est là sur un projet d'une cinquantaine de lots, plusieurs surfaces possibles, des vues incroyables sur les Alpes, du très, très haut standing à chaque fois", insiste le promoteur immobilier, avant d'ouvrir, l'air de rien, le dépliant à la page des prix. "Voilà, c'est écrit ici. Faut compter entre 6 500 et 12 500 euros le mètre carré."

C'est ainsi : à l'Alpe d'Huez, les prix de l'immobilier aussi atteignent des sommets. La faute en grande partie aux résidences secondaires qui grappillent de la place sur les habitations permanentes. Selon les données de l'Insee, la station iséroise est même la commune française de plus de 1 000 habitants qui en compte le plus (89%). C'est huit points de plus que le Grau-du-Roi, dans le Gard (81%), et neuf fois plus que la moyenne nationale (9,6%). Résultat : dans le deuxième plus grand domaine skiable de France, les candidats aux élections municipales savent qu'ils risquent de se faire les ligaments croisés en abordant cette problématique.

Car à "l'Alpe", comme on dit ici, tout le monde connaît un voisin, un cousin, un collègue qui a fini par déménager plus bas dans la vallée. Romain Laurent et Jessica Pauget ont plié bagage il y a cinq ans après s'être étouffés devant les annonces immobilières scotchées sur les vitrines des agences. "Il fallait compter 350 000 euros pour espérer avoir un 60 m2 dans la station, se rappelle très bien Romain, employé chez Sport 2000. Alors comme la moitié de nos potes, on a fini par bouger à Bourg-d'Oisans", onze kilomètres plus loin, au pied des mythiques lacets "casse-pattes" du peloton du Tour de France. "Pour le même prix, on a pu acheter une maison quasiment trois fois plus grande avec 700 m2 de terrain. Autant dire que c'était vite vu !" rigole le trentenaire.

Si on avait pu, on serait évidemment restés à l'Alpe d'Huez. Mais c'était impossible. Il aurait fallu rajouter plusieurs dizaines de milliers d'euros.

Romain Laurent

à franceinfo

Sa compagne Jessica a eu plus de mal à digérer ce déménagement. "C'était un déchirement parce que je m'étais imaginée restée ici, raconte la monitrice de ski. J'ai 28 ans, je suis née ici, j'ai grandi ici, j'ai tout fait ici." Parmi les "expatriés", tout le monde ne reste pas aussi poli qu'elle. "Dans mon entourage, certains ont vraiment les boules, reprend Romain. Ils ont l'impression d'avoir été chassés de chez eux par des gens qui ont plus les moyens. On en parle parfois entre nous, et malgré les années, ça ne passe pas comme sentiment." 

Romain Laurent dans son magasin, à l'Alpe d'Huez (Isère), le 22 janvier 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Ces gens qui "ont plus les moyens", ce sont les résidents secondaires qui viennent humer l'air de la montagne "une fois à la retraite, avec un compte en banque plutôt rempli, constate un employé d'hôtel. Du coup, les prix flambent car l'Alpe d'Huez n'est pas extensible. Alors dès qu'un bien se retrouve en vente, il ne reste pas très longtemps inoccupée. D'ailleurs, il n'y a parfois même pas d'annonce, c'est du bouche-à-oreille. Voir un chalet qui a appartenu à une même famille pendant des décennies partir dans les mains d'un retraité qui n'est pas du coin, ça fait ch..."

Le soir, dans les bars et les restaurants, les langues se délient et certains habitants peuvent être encore plus cash. "Tout le monde sait que les résidents secondaires ont beaucoup plus l'oreille du conseil municipal qu'un commerçant qui est pourtant là toute l'année, et pas seulement un mois l'hiver et un mois l'été, peste un homme aux tempes grisonnantes, croisé à la sortie de la boulanger. On est beaucoup de permanents à avoir le sentiment de moins compter. Et ce n'est pas une question de parti ou de couleur politique."

"Vous avez vu les prix ? Ils sont rédhibitoires" 

Pile le genre d'argument qui met en rogne le maire de l'Alpe d'Huez. "Avec mon équipe, nous traitons les résidents permanents, les commerçants et les résidents secondaires de la même manière", assure Jean-Yves Noyrey, en relisant ses notes, à quelques heures du conseil municipal.

On ne fait pas de favoritisme. On ne chouchoute pas une catégorie plus qu'une autre.

Jean-Yves Noyrey

à franceinfo

"Evidemment que j'ai conscience des problèmes liés au prix de l'immobilier, répète l'élu qui est aux manettes de la station depuis 2009. Ça fait toujours quelque chose de voir des familles quitter le village. Ça a des conséquences importantes au quotidien, on vient par exemple de fermer deux classes, ce n'est pas rien."

Le maire, qui a obtenu l'investiture du parti Les Républicains pour les municipales, s'engage d'ailleurs à y prêter "toujours plus attention" si les électeurs acceptent de le laisser à la tête de la mairie six ans de plus. "Pour garder les habitants, on a ressorti un projet de 58 logements sociaux, détaille-t-il. On a aussi mis trois terrains classés sociaux au plan local d'urbanisme pour environ 50 autres logements et on s'oblige à faire des logements pour les saisonniers dans les programmes immobiliers."

Jean-Yves Noyrey, le maire l'Alpe d'Huez (Isère), dans sa mairie, le 22 janvier 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Dans les rangs de l'opposition, on promet aussi de se retrousser les manches en cas de victoire. "Vous avez vu les prix ? Ils sont rédhibitoires, coupe d'entrée de jeu Hervé Mosca, l'un des chefs de file. On atteint les limites du supportable. Il faut agir, et vite." En préparant la table de soin pour un prochain patient, ce kiné se permet de rappeler que "la station a déjà connu un exode important au début des années 2000Faudrait pas venir se plaindre si ça recommence, hein". 

En 1993, j'ai acheté mon chalet 8 000 francs le m2. Et déjà, je trouvais que c'était cher. Maintenant, c'est 8 000 euros. 8 000 euros !

Hervé Mosca

à franceinfo

"On n'est pas pour un candidat plus qu'un autre"

A l'Alpe d'Huez, un tiers des inscrits sur les listes électorales sont des résidents secondaires. C'est que la loi est bien faite : il suffit de justifier de cinq années de taxe foncière. "Même si je ne suis pas là tout le temps, je préfère vraiment voter ici car j'ai l'impression que ma voix compte beaucoup plus que dans une grande ville, explique Christian Lonchamp qui vit entre Lyon et Huez. C'est plus concret. A Lyon, je suis quelqu'un parmi des milliers. Là, je suis quelqu'un parmi quelques dizaines."

Une annonce immobilière dans les rues de l'Alpe d'Huez (Isère), le 23 janvier 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

C'est justement ce qui agace certaines familles historiques. "Moi, je trouve que les résidents secondaires ne devraient pas avoir le droit de voter chez nous, se plaint un commerçant accoudé à la portière de son utilitaire blanc. C'est évident qu'ils vont vouloir des mesures qui concernent leur petit confort."

Ce n'est pas eux qui vivent à Huez en avril-mai et en octobre-novembre quand il n'y a plus personne !

Un commerçant de l'Alpe d'Huez

à franceinfo  

C'est justement pour calmer quelques esprits chafouins qu'a été créée l'Association de propriétaires d'appartements et chalets d'Huez et de l'Alpe d'Huez (Apach) dans les années 1960. La structure, qui représente 850 personnes, joue en quelque sorte le rôle de tampon entre la mairie et les habitants. "On ne fait pas partie du conseil municipal, on ne roule pour personne, on n'est pas pour un candidat plus qu'un autre, détaille Christian Lonchamp, qui en est jutement l'actuel président. On ne veut pas dresser les résidents permanents contre les résidents secondaires. Au contraire, on travaille aussi pour eux."

"S'ils n'étaient pas là, on n'aurait pas de boulot"

ll y a quatre ans, par exemple, ce sont les membres de l'Apach qui ont poussé "personnellement" pour que des travaux soient enfin réalisés dans l'école. "Il y avait des courants d'airs et des fils pendaient. On aurait très bien pu dire que ce n'était pas notre problème puisqu'aucun enfant n'y est scolarisé. Franchement, il faut arrêter avec cette guéguerre d'un autre temps", s'agacerait presque celui qui recevait il y a quelques années des "courriers de corbeaux de la part de locaux qui avaient l'impression qu'on leur volait leur bifteck".

Hervé Mosca, conseiller municipal d'opposition, dans son cabinet de kiné à l'Alpe d'Huez (Isère), le 23 janvier 2020. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Même si les coups de pression et lettres de menaces ont disparu aujourd'hui, et c'est mieux pour tout le monde. "Moi, je n'en veux pas aux résidents secondaires, assure Romain Laurent, en rangeant les skis que des touristes viennent de lui rapporter. S'ils n'étaient pas là, on n'aurait pas de boulot. A part élever des chèvres et des vaches, on ne ferait pas grand-chose.Ce sont ces gens-là qui nous permettent de rester en montagne." Mais, continue le jeune père de famille, "ça n'empêche pas de trouver des solutions pour équilibrer la donne, comme réserver des biens aux permanents, au gens d'ici."

Sa compagne Jessica est tout aussi "persuadée" qu'il y a "des efforts à faire pour les personnes qui veulent continuer de vivre à l'Alpe d'Huez". "On devrait pouvoir les aider à rester, continue celle qui vote désormais dans sa nouvelle commune de Bourg-d'Oisans. Sinon, dans vingt ans, il n'y aura plus aucun résident permanent, il n'y aura que des secondaires." Lors deux tours des municipales, les dimanches 15 et 22 mars, l'espace de vente d'Emerson's sera ouvert toute la journée jusqu'à 18h30. Un mois après le lancement de la commercialisation, une dizaine d'appartements ont déjà trouvé preneur.

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