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UMP, PS, FN… Y a-t-il assez de place pour trois grands partis en France ?

Avec 25% des voix à l'issue du premier tour des départementales, après l'UMP, mais devant le PS, le Front national prouve à nouveau son implantation dans le paysage politique français. Mais cette tripolarisation peut-elle durer ? 

Article rédigé par Anne Brigaudeau - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Vote dans un bureau de Marseille au premier tour des départementales, le 22 mars 2015. (GERARD BOTTINO / CITIZENSIDE.COM)

Le Front national s'enracine dans la vie politique française. Après les municipales, où il a conquis plusieurs villes, et les européennes, où il est arrivé en tête du scrutin, le parti présidé par Marine Le Pen a recueilli 25,24% des voix au premier tour des élections départementales dimanche 22 mars, derrière l'UMP et ses alliés (27,45% des voix) , mais devant le PS et les siens (21,47%).

Ce paysage électoral où trois partis dépassent chacun les 20%, distançant tous les autres (Front de gauche, EELV, etc.), est devenu la norme. Peut-il perdurer ? Ou l'un des trois va-t-il finir par disparaître, sous l'effet d'un système électoral qui favorise, notamment lors de la présidentielle, la domination de deux grands partis ? Entretien avec Madani Cheurfa, enseignant à Sciences po et secrétaire général du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof).

Francetv info : UMP, FN et PS dépassent chacun les 20% des voix aux dernières départementales. La tripolarisation est installée. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur la vie politique ? 

La présidentielle, élection phare de la vie politique, n'autorise pas une triangulaire au second tour. Seuls les deux candidats arrivés en tête du premier tour sont qualifiés. On verra en 2017 de quelle façon trois pôles se fondent en deux candidats possibles au deuxième tour. D'où l'excitation qui va regagner les uns et les autres une fois passée cette séquence départementale et régionale, en vue de l'élection présidentielle.

Tout va dépendre des stratégies des partis. Bloquée sur sa droite, l'UMP va devoir composer de plus en plus avec les partis du centre, l'UDI et le MoDem. Cela va participer de la recomposition partisane. On peut imaginer tous les scénarios, y compris un éclatement du centre ou l'échec de l'hyper-centre cher à François Bayrou. 

Mais il n'y a pas que l'élection présidentielle proprement dite. On verra aussi en 2017 ce qui adviendra lors de ce troisième tour de la présidentielle que sont les législatives. Avec les trois électorats prédominants, il y aura une masse de députés UMP, une masse de députés PS et une masse de députés FN. On n'est plus dans la configuration de 1978 avec deux blocs, et à l'intérieur de ces deux blocs, deux grands partis : la droite RPR et le centre UDF d'une part, le PS et le PCF d'autre part. L'électorat était harmonieusement partagé en deux. C'est désormais terminé. On risque d'avoir des configurations inédites dans l'articulation entre le pouvoir législatif et le chef de l'exécutif. Et des tensions.

Les institutions de la Ve République y résisteront-elles ?

Les institutions ont suffisamment de force et de solidité pour que la Ve République résiste. Mais on peut se demander surtout quelle sera la réaction du corps social et des citoyens si le Front national entre en force à l'Assemblée nationale. Est-ce qu'on connaîtra des défilés, des manifestations de protestation comme le 21 avril 2002 ? Est-ce que les citoyens accepteront que si ces députés FN sont là légalement, ils sont légitimes ? La "dédiabolisation" chère à Marine Le Pen n'a pas occulté le fait que, pour certains, le FN ne respecte pas les valeurs républicaines, même s'il respecte les institutions.  

Cette entrée en force du FN à l'Assemblée est-elle un scénario plausible ?

Le Front national a changé de braquet. Avant, il n'était pas capable de produire des candidats. Cela a longtemps été un frein à son implantation. Or, aux départementales, c'est lui qui a réussi à présenter le plus de binômes. Il fait élire de plus en plus de candidats. Il a conquis des villes, il est capable de prendre des départements, peut-être des régions… Il n'y a pas de raison que cela s'arrête. 

L'année 2015 est-elle importante pour une éventuelle recomposition ?

Oui, car il faut tenir compte du contexte particulier de ces élections départementales et régionales au milieu du quinquennat : elles coïncident avec la pré-préparation des différentes primaires pour la présidentielle. Nicolas Sarkozy a parlé aux militants de l'UMP dans le cadre des départementales, mais aussi dans la perspective des primaires. Mais une fois qu'il sera le candidat acquis, s'il remporte les primaires, il faudra qu'il change de registre et de niveau pour dépasser le simple parti et s'adresser aussi au centre-droit. Une stratégie qu'Alain Juppé emploie dès à présent.

La droite a du mal à savoir quel est son logiciel. Tout va se recomposer sur le scénario des urnes. Il faut rester prudent. On risque d'assister à des retournements de situation. Bien malin qui pourra dire dès aujourd'hui qui sera le candidat de l'UMP en 2017 !

A quel type de recomposition les électeurs pourraient-ils adhérer ?

Si les partis doivent se recomposer, il faut que ce soit sur leur capacité à élaborer un vrai projet de société répondant aux réelles préoccupations des gens : sur l'emploi, le chômage, en particulier le chômage des jeunes, l'éducation, la fiscalité. Car notre dernier baromètre Cevipof montre que la défiance des électeurs envers les élus n'a jamais été aussi grande. Ce que montrent aussi les 50% d'abstention qui renvoient tout le personnel politique dos à dos.

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