Cet article date de plus de deux ans.

Présidentielle 2022 : comment expliquer une telle abstention au second tour ?

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 3 min
L'abstention à l'élection présidentielle a atteint, le 24 avril 2022, son deuxième score le plus élevé pour un second tour de l'histoire de la Ve République. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

C'est seulement la troisième fois, après 1969 et 2017, que l'abstention augmente entre les deux tours lors d'une élection présidentielle.

L'abstention atteint son deuxième score le plus élevé de l'histoire de la Ve République pour un second tour d'élection présidentielle : 28,01% des inscrits ne se sont pas rendus aux urnes, dimanche 24 avril, selon les résultats définitifs communiqués dans la nuit par le ministère de l'Intérieur.

>> CARTE. Découvrez tous les résultats du second tour, commune par commune

Il n'y a guère qu'en 1969 que davantage d'électeurs (31,1%) avaient refusé d'arbitrer le duel entre Georges Pompidou, finalement élu, et Alain Poher. A l'époque, à l'appel du candidat communiste éliminé au premier tour, les électeurs de gauche avaient massivement refusé de choisir entre "bonnet blanc et blanc bonnet". C'est seulement la troisième fois, après 1969 et 2017, que l'abstention augmente entre les deux tours de la présidentielle. Elle a ainsi bondi de 2,7 points par rapport à son niveau du 10 avril. En 2017, alors que le duel opposait déjà Emmanuel Macron et Marine Le Pen, l'abstention s'était établie à 25,4%, soit une hausse de 3,2 points entre le premier et le second tour.

>> Présidentielle 2022 : suivez les réactions au lendemain de la réélection d'Emmanuel Macron

Des électeurs de gauche orphelins de leur offre politique

Cette année, c'est aussi à gauche qu'il faut regarder pour comprendre pourquoi tant de citoyens ne se sont pas déplacés pour départager Emmanuel Macron et Marine Le Pen. "Un certain nombre d'électeurs ne se sont pas déplacés parce qu'ils considèrent que l'enjeu est moindre et que l'offre politique ne les satisfait pas", résume Tristan Haute, maître de conférences en science politique à l'Université de Lille. Selon l'enquête "Comprendre le vote des Français" d'Ipsos-Sopra Steria diffusée dimanche soir, 35% des abstentionnistes déclarent en effet qu'aucun candidat ne correspond à leurs idées. 

Le politiste note surtout que l'abstention est plus forte dans "les villes populaires qui avaient massivement soutenu Jean-Luc Mélenchon au premier tour". Depuis Roubaix (Nord), où il a suivi la sortie des bureaux de vote avec ses étudiants, il relève ainsi une abstention qui, vers 18 heures, augmentait de six points par rapport au premier tour. Deux semaines plus tôt, la commune avait largement placé en tête le candidat de La France insoumise.

Les départements qui ont placé Jean-Luc Mélenchon en tête, comme la Seine-Saint-Denis ou le Val-d'Oise, affichent eux aussi des taux d'abstention bien plus élevés qu'au premier tour. La réserve de voix que constituait cet électorat (7,7 millions de voix au premier tour) est effectivement celle parmi laquelle on retrouve le plus d'abstentionnistes : 24%, selon un sondage Ipsos-Sopra Steria sur la sociologie des électorats et le profil des abstentionnistes datant de dimanche soir. 

"[En ce second tour] le choix de l'abstention s'explique davantage par des logiques politiques que par les variables sociales qui jouent traditionnellement dans l'abstention."

Tristan Haute, docteur en science politique

à franceinfo

"Bien sûr, ces variables jouent encore un rôle – on trouve toujours plutôt des jeunes et plutôt des personnes des milieux populaires parmi les abstentionnistes –, mais dans une moindre ampleur qu'au premier tour", poursuit le politiste, qui rappelle que, dès lors que la mobilisation répond plutôt à une logique politique, "voter est une pratique intermittente". Elle est alors motivée par la présence ou non de son candidat et de ses idées. 

L'antimacronisme face au front républicain

En 2002, la présence au second tour de l'extrême droite, avec Jean-Marie Le Pen, avait mobilisé un front républicain, et réduit significativement l'abstention entre le premier et le second tour. En 2017, la présence de Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national, n'avait pas suscité une telle logique de barrage. En 2022, le constat est similaire : selon Ipsos-Sopra Steria, 25% des abstentionnistes assurent en avoir "assez de devoir aller voter uniquement pour faire barrage à un candidat". Pour Tristan Haute, deux dynamiques s'entrecroisent : l'une hostile au Rassemblement national, l'autre opposée au président sortant. Toutes deux susceptibles de nourrir l'abstention. 

"On a d'une part une forme de dédiabolisation, qui est un processus long, engagé depuis longtemps, avec une banalisation du Rassemblement national et de ses idées. D'autre part, on observe un antimacronisme assez fort, qui se retrouve dans les mots d'ordre mis en avant par le RN, mais aussi sur les groupes anti-vaccins ou 'gilets jaunes'", relève-t-il. Dans ce contexte, 24% des abstentionnistes ont déclaré refuser "de choisir entre deux candidats [qu'ils rejettent] totalement".

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.