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Pollution automobile : la grande supercherie

Et si le scandale Volkswagen en cachait un autre ? Depuis au moins cinq ans, la Commission européenne est en effet informée que les tests qui mesurent la pollution automobile (le taux d’oxyde d’azote, le NOx) sont artificiels. Ils ne rendent nullement compte de la réalité. Les vrais chiffres sont quatre à cinq fois supérieurs.
Article rédigé par Matthieu Aron
Radio France
Publié Mis à jour
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C’est une véritable supercherie qui est en train d’éclater au grand jour. Pour bien la comprendre,  il faut savoir que les véhicules européens, avant d’être homologués, passent des tests en laboratoire. Sauf que les constructeurs se débrouillent pour fausser délibérément les résultats en utilisant toutes sortes d’artifices, que François Cuénot, ingénieur et membre de l’association Transport et Environnement , a appris à déjouer : "Le test en lui-même date des années 70 et n’est pas du tout représentatif en laboratoire : on accélère de 0 à 50 kilomètres/heure en 30 secondes environ. Ce sont des accélérations qui sont très faibles et pas représentatives de la conduite normale. […] Ils sur-gonflent les pneus pour avoir moins de résistance au roulement, ils choisissent des pneus spécifiques, il y a tout un tas d’astuces comme ça qui font que le résultat du test n’est pas du tout représentatif. "

Pollution automobile : la grande supercherie - un reportage de Matthieu Aron

Les études menées par tous les organismes indépendants sont sans appel : les tests en laboratoire minorent considérablement les effets de la pollution. Ainsi, en matière d’oxyde d’azote (NOx), un gaz toxique émis par les voitures, les vrais résultats sont quatre à  cinq fois plus élevés que les normes autorisées (80 milligrammes par kilomètre).

"C’est comme le bac, on prend du café avec du speed"

Face à ces accusations, les constructeurs automobiles reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes qu’ils "s’arrangen t" avec ces tests. François Roudier est  le représentant du Comité des Constructeurs Français d’Automobiles (CCFA) : "Oui c’est vrai vous avez des tests, c’est comme le bac, on prend du café avec du speed et on essaie d’être le meilleur possible, on aura 18 en physique alors que pendant l’année, on a plutôt 13 de moyenne. Alors voilà c’est vrai que tout le monde fait ça. C’est lié à l’ancien cycle d’essais (Nouveau Cycle Européen de Conduite), un cycle tellement ridicule qu’il pousse au n’importe quoi et à la recherche de la limite maximum autorisée par la loi".

"La Commission était bien consciente" du problème

Les constructeurs ne violent pas la loi, mais ils contournent délibérément la législation. Conséquence : les normes établies par la Commission européenne n’ont plus de légitimité. Confrontée à ces révélations, la Commission est demeurée longtemps hésitante. Elle a pourtant été informée dès la fin de l’année 2010 du caractère artificiel des tests réalisés en laboratoire. Joanna Szychowska, la représentante de la Commission européenne, a été auditionnée par les sénateurs au Palais Bourbon, le 13 octobre 2015 : "Ce n’est pas un problème qui est apparu avec l’affaire Volkswagen, la Commission était bien consciente de son existence depuis au moins 2010. En effet on avait fait une recherche avec le Centre de recherche de la Commission qui a démontré d’abord en 2011 puis 2013 qu’effectivement le niveau de NOX dépassait le niveau prévu par la législation."

 

" On est quand même en train de marcher sur la tête !"

Il a fallu attendre, cinq ans, le 27 octobre 2015, sous la pression de l’affaire Volkswagen, pour que des experts, représentants les pays européens, décident de la mise en place de nouveaux dispositifs, plus performants et surtout effectués en condition réelle de conduite. En contrepartie, ces experts ont également  autorisé les constructeurs à dépasser durant plusieurs années les normes de pollution, pour leur laisser le temps de s’adapter. Ils ont voté pour un seuil de tolérance de 110 % jusqu’en 2020. Une résolution qualifiée de scandaleuse par la députée écologiste européenne Karima Delli : "On a vu [le 27 octobre 2015] cette réunion de "comitologie" où des représentants des Etats se sont accordés avec la Commission non pas à respecter les normes automobiles, mais à donner aux constructeurs automobiles des permis de polluer. Aujourd’hui c’est la prime aux tricheurs. On pourrait poser la question aux constructeurs automobiles : comment faire pour respecter les normes anti pollutions ? Et bien la réponse de la classe politiques, des Etats et de la Commission, est très simple : en effaçant les normes. On est quand même en train de marcher sur la tête !"

La ministre de l’écologie, Ségolène Royal, a pris conscience que ce dossier, à quelques semaines de la Cop 21, était devenu éminemment politique, et potentiellement explosif. Elle souhaite que les ministres européens de l’environnement se revoient pour rediscuter de ces normes.

 

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