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Pourquoi la crise de l'écotaxe devient le scandale Ecomouv'

Au centre de la polémique qui entoure l'écotaxe, le contrat signé entre l'Etat et la société privée Ecomouv'. 

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Un portique écotaxe incendié, à Saint-Allouestre (Morbihan), le 2 novembre 2013. (MAXPPP)

L'écotaxe n'a pas fini de fâcher. Sa suspension n'a pas suffi à calmer la colère bretonne et les soupçons se multiplient autour de la société chargée de la collecter : Ecomouv'. Eva Joly et Corinne Lepage (entre autres), réclament, lundi 4 novembre, des enquêtes sur cette entreprise privée, chargée de percevoir la redevance sur la pollution des poids-lourds. D'autres élus dénoncent un "scandale d'Etat". Francetv info vous explique ce qui est reproché à Ecomouv'.

Une structure privée complexe

Lorsque l'idée de l'écotaxe a été mise sur les rails par Jean-Louis Borloo, en 2009, pendant le Grenelle de l'environnement, l'Etat n'envisageait pas d'assurer les énormes investissements nécessaires. Un appel d'offres a donc été lancé, en 2011, et remporté dans des conditions troubles, décrites sur Mediapart (article payant), par Ecomouv', consortium créé pour l'occasion. La société est chargé du financement, de la conception, de la réalisation, de l'entretien, de l'exploitation et de la maintenance du dispositif.

Ecomouv' appartient à 70% à Autostrade per l'Italia, premier gestionnaire d'autoroutes en Italie. Les Français Thales, SFR, Steria et la SNCF se partagent les 30% restants. Ce consortium est présidé par Daniele Meini, de l'Autostrade per Italia, et Sergio Battiboia, concepteur du système. Le Français Michel Cornil, ancien de la SNCF, est vice-président.

Un contrat inédit

L'accord que cette société a signé avec l'Etat, le 20 octobre 2011, est un contrat de partenariat public-privé (PPP) d'une durée de 13 ans et 3 mois, dont 21 mois pour l'installation (délai écoulé) et 11 ans et demi pour l'exploitation, dont le début a été plusieurs fois repoussé avant d'être suspendu sine die. Ce type de contrat, dit "d'affermage", permet à l'entreprise privée Ecomouv' de percevoir un impôt au nom de l'Etat, et de gagner de l'argent au passage. Un recours inédit depuis la Révolution française de 1789, quand il a été décidé que seul l'Etat pouvait lever l'impôt.

Officiellement, l'accord a été signé le 20 octobre 2011 par le directeur des infrastructures, Daniel Bursaux. Mais la "signature a été précédée d’un accord écrit de Nathalie Kosciusko-Morizet, alors ministre de l’Environnement, Valérie Pécresse, ministre du Budget, et François Baroin, ministre de l’Economie et des Finances", précise Mediapart.

Un rendement exceptionnel pour Ecomouv'

Sur le bénéfice estimé à 1,15 milliard d'euros par an, 150 millions doivent revenir aux collectivités locales et 250 millions à Ecomouv', pendant 11 ans.  Le dispositif sera ensuite remis à l'Etat. "Le coût de la collecte lissé sur les onze ans prévus dans le contrat d'exploitation [soit la somme que verse l'Etat à Ecomouv'], s'élève donc à 27%" des recettes attendues, calcule La Tribune. Ecomouv' enregistrerait ainsi un rendement dix fois plus élevé que dans la plupart des partenariats public-privé (2 à 3% en moyenne).

Des soupçons sur l'attribution du contrat

Au-delà du coût de ce partenariat pour l'Etat et les contribuables, l'accord signé sous l'ancienne majorité fait l'objet de soupçons sur sa transparence :

Un marché public aurait coûté moins cher. En 2009, la mission d'appui aux partenariats public-privé explique dans un rapport, consulté par Le Parisien, que la mise en œuvre de cette écotaxe dans le cadre d'un marché public aurait été plus économique pour l'Etat. Mais cette même mission valide le PPP, plus rapide à mettre en place et donc à rapporter de l'argent.

Des doutes sur l'attribution de l'appel d'offres. D'après les informations du Parisien toujours, Autostrade per l'Italia a modifié son offre sur le tard pour décrocher le contrat. Elle a réduit les délais de réalisation des travaux (élément déterminant dans l'attribution du contrat) pour passer devant l'offre concurrente d'Alvia et s'est associée, après le début de l'appel d'offres, aux Français SNCF et Thales, pour "franciser son offre", analyse un expert pour Le Parisien. Des méthodes peu orthodoxes qui ne l'ont pas empêchée de décrocher le contrat bien avant la fin des deux mois de réflexion accordés au ministère, raconte Mediapart.

Des soupçons de conflit d'intérêt. Le Parisien revient aussi sur les liens commerciaux entre Autostrade et le Suisse Rapp Trans AG, qui conseillait l'Etat français sur le dossier de l'écotaxe. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi par Alvia, précise à l'époque que "l'impartialité des conseils de l'Etat n'est pas suffisamment établie", mais le Conseil d'Etat juge que "le préjudice n'est pas de nature à justifier l'annulation de l'appel d'offres".

Une clause "léonine"

C'est une clause importante de l'accord qui lie l'Etat à Ecomouv'. En cas d'abandon de l'écotaxe, l'Etat s'engage à verser un milliard d'euros sur un an, dont 800 millions sans délai à Ecomouv', selon les termes du contrat cité par l'AFP. Un argument brandi par le gouvernement pour expliquer sa suspension et non sa suppression pure et simple, et pour accuser l'ancienne majorité. Les détracteurs du contrat dénoncent d'ailleurs une clause "léonine", qui attribue à Ecomouv' des droits démesurés par rapport à ses obligations.

Toutefois, "les tribunaux ont le pouvoir de contrôler la juste mesure de ce type d’indemnité", explique Mathias Audit, professeur de droit, dans Les Echos. "Ils vérifient qu’elle n’est pas manifestement excessive, au regard des pertes effectivement subies par le cocontractant de l'Etat", ajoute-t-il. Tout dépend donc des sommes déjà dépensées par Ecomouv' pour implanter 173 portiques sur le territoire français. La société n'a pas répondu aux sollicitations de francetv info sur ce point.

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