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Véhicules électriques : quand la Chine, les Etats-Unis et la France se disputent le marché juteux des batteries

Publié Mis à jour
Article rédigé par Philippe Reltien
Radio France

Le marché des véhicules électriques est en plein essor et suscite la convoitise des Chinois, des Français et des Américains. Ils devront faire face à des enjeux, notamment environnementaux, qui détermineront le partage du marché.

Voitures, vélos, scooters, trottinettes : le marché du véhicule électrique est en plein boom, grâce notamment à l'amélioration des technologies qui lui sont liées. Face aux perspectives du secteur, différents pays veulent se positionner pour remporter la plus grosse part possible de ce gâteau prometteur. En effet, les ventes croissent de manière exponentielle. Les Chinois, les Français et les Américains se livrent une bataille féroce. Ils seront départagés notamment par les enjeux environnementaux. 

Trois fois plus de ventes entre 2016 et 2020

Les batteries ont fait d’énormes progrès et n’ont plus rien à voir avec celles que l'on trouve dans les voitures classiques. Dans ces dernières, on a encore recours à des batteries au plomb et à l’acide sulfurique, toxiques et non recyclables. Pour les voitures électriques, on dispose maintenant de batteries au lithium, comme celles que l'on trouve dans les téléphones portables. Ces batteries sont de plus en plus puissantes, de plus en plus autonomes et de plus en plus légères.

Ce marché fabuleux se chiffre en centaines de milliards de dollars. Les perspectives de croissance sont gigantesques puisque deux millions de batteries ont été vendues en 2016 mais les experts prédisent six millions d'unité vendues dans trois ans. Une guerre économique fait donc rage pour s'emparer de ce marché juteux. Cette guerre, les Français l'ont déjà perdue car ils n'y ont pas cru. Pourtant, c’est bien un Français, Michel Armand, qui a inventé en 1980 la batterie au lithium qui équipe aujourd'hui la plupart des voitures électriques. Au début des années 2000, les constructeurs automobiles haussaient les épaules lorsqu’on leur parlait de voitures électriques. "Ils affirmaient que les moteurs seraient toujours à essence en 2050", se souvient Michel Armand. N'ayant pas de véritable projet industriel à grande échelle autour de la batterie électrique, la France a donc bradé le brevet à d’autres pays qui ont su en profiter.

La Chine et Tesla en position de force 

La Chine, pays très en pointe sur les panneaux solaires, a développé d'immenses usines de production. Selon le conseiller en investissements, Rajesh Varma, "les Chinois détiendront 90% de la production mondiale de batteries en 2020". Cette avance est irrémédiable. Ce quasi-monopole permet à la Chine de faire la pluie et le beau temps auprès des constructeurs de voitures, qui sont obligés de s'y fournir et doivent se plier à ses exigences. Des alliances commerciales sont nécessaires, comme l'a fait durant l'été 2017 le Français Renault avec le chinois Dongfeng

Le marche des véhicules électriques.  (VISACTU)

Un autre leader mondial de l'électrique est la firme américaine Tesla, avec à sa tête un certain Elon Musk. Ce "Steve Jobs de la voiture électrique" a sorti trois modèles de voitures équipées de piles au lithium et au cobalt. Cela lui a permis de s’imposer progressivement comme un acteur incontournable sur le marché mondial, malgré sa capacité de production encore relativement faible. L’entreprise a en effet des délais de fabrication très longs, de près de 18 mois, car Tesla ne possède qu'une seule usine de fabrication. Seules quelques voitures dernier cri ont été livrées pour l’instant. 

La production automobile nécessite des usines d’assemblage et de fabrication de batteries dans le monde entier et pas seulement aux États-Unis car les batteries au lithium sont très dangereuses à transporter. "On ne peut pas les acheminer par avion et par bateau cela reste très long", explique encore l’expert Rajesh Varma.
Est-ce rentable ? Tesla affiche une perte d'un milliard de dollars cette année mais les investisseurs croient tout de même à son succès. "D'ici deux à trois ans, Tesla fera 7 % de marge car l'assemblage des voitures est déjà automatisé", explique Olivier Ken, analyste chez Écofi, une entreprise française d'investissements. 

Un Français dans la course : Vincent Bolloré

Vincent Bolloré, qui a créé son réseau d'auto-partage Autolib, est un autre acteur qui se positionne dans cette course à la batterie. Il possède une usine de batteries à Quimper, en Bretagne, mais il lui faut du lithium pour les fabriquer. Ne disposant pas de sa propre source d'approvisionnement, Bolloré reste dépendant d’autres fournisseurs et doit acheter son lithium en Amérique du sud et en Chine.

Mais le groupe Bolloré ne pèse pas lourd dans la balance, comparé aux Chinois et à Tesla. D’une part, sa capacité de production de batteries se limite à 1 gigawatt/heure (GWh), contre 35 GWh pour Tesla et 100 GWh pour la Chine. Il reste donc un petit acteur au niveau mondial. D'autre part, son modèle n’est pas rentable. Autolib va encore afficher en 2017 des pertes de l’ordre de 100 millions d'euros. On peut douter de la survie de ce système.

Le groupe Bolloré réfute cette vision des choses et estime qu’il y a de la place pour tout le monde. Didier Marginedes, directeur de Blue Solution pour le groupe Bolloré, confirme cette stratégie d'expansion mondiale du groupe : "Rien ne nous interdira dans le futur d'avoir des usines beaucoup plus grosses." Pour être crédible, Bolloré espère aussi vendre une partie de ses batteries en Afrique, où il est très implanté et dispose d’un solide réseau.

Pas de standard entre les constructeurs

Une concurrence féroce signifie aussi des problèmes de compatibilité. Cordon, tension électrique, prise, courant continu ou alternatif : chaque constructeur y va de son dispositif. Même s'il existe un arbitre, l’Association française de normalisation (Afnor), qui a tenté de mettre un peu d'ordre, il n’y a toujours pas de standard unique mis en place pour les batteries électriques en France.

Une borne de recharge pour voiture électrique.  (Philippe Reltien / RADIOFRANCE)

Autre problème : le manque cruel de bornes de recharges en France. Ségolène Royal, quand elle était ministre de l'Environnement, en espérait un million à l'horizon 2020. Il n’en existe en 2017 que 6 000 pour 33 000 voitures électriques en circulation. Malgré la mise en libre-service payant de l’accès à certaines bornes du réseau d’auto-partage Autolib, il est difficile de trouver un point d'accès. Et c’est d’autant plus un problème que recharger chez soi prend près de huit heures.

Une énergie écologiquement discutable

On présente la voiture électrique comme la solution miracle à la pollution mais ce n'est pas si simple. En effet, pour produire une batterie, les constructeurs ont recours à des matériaux dont l'utilisation (plasturgie, extraction de lithium…) dégage du Co2. Selon Michel Armand, "il faut qu'une voiture électrique au cobalt roule au minimum 40 000 kilomètres pour compenser le Co2 émis lors sa fabrication".

L'intérieur d'une borne de recharge pour voiture électrique.  (Philippe Reltien / RADIOFRANCE)

Pour pallier ce problème, un système de recyclage de ces composants se met en place. Il fonctionne déjà pour les batteries usées. "Cette filière permet de récupérer 99% de la matière. On peut compter sur du lithium recyclé pour fabriquer les futures batteries", explique Philippe Dupuy, de l’Afnor. Ce recyclage est d'autant plus nécessaire que la denrée est rare. L’idée est aussi de donner une deuxième vie à ces batteries. Au bout de trois ou quatre ans, la batterie d'une voiture électrique perd 30% de sa puissance mais elle n’est pas morte pour autant. Elle peut encore servir à stocker de l’énergie, solaire par exemple, et permettre à une habitation de devenir plus autonome en électricité. C'est ce que propose notamment Tesla.  

Le moteur à hydrogène, solution d'avenir ?

Parallèlement à l'essor des batteries au lithium, d'autres technologies sont expérimentées pour moins polluer. C'est notamment le cas du moteur à hydrogène. Le principe est de mettre de l’oxygène au contact de l’hydrogène, ce qui permet de produire de l’électricité et de l’eau. L’hydrogène est beaucoup plus facile à transporter, ce qui permettrait de stocker de l’électricité en la faisant venir de n’importe quel coin de la planète. Pour Pascal Mauberger, de la société McPhy, société française spécialisée dans le stockage d'hydrogène, "le but est de remettre cette énergie abondante et peu onéreuse en face de ses consommateurs".

Mais tout reste à faire. Nicolas Hulot a rencontré cet été les acteurs de l'hydrogène français, dont Pascal Mauberger, qui est par ailleurs président de l'Association française pour l'hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC). Ils réclament un plan de soutien pour créer une filière française, avec un objectif de production de 800 000 voitures en 2030. 

Le sel ou les fruits, autres alternatives

Et si Jules Verne avait vu juste ? Le sel comme moyen de propulsion électrique, tel que l'imaginait l'auteur pour le sous-marin du capitaine Nemo, c'est peut-être ce qui nous attend. La filière sodium est aujourd’hui explorée dans nos laboratoires "car le lithium manquera d'ici 50 à 100 ans", d'après Jean-Marie Tarascon, professeur au Collège de France, qui souhaite devenir leader et commercialiser ces recherches.

D'autres recherches tout aussi surprenantes sont encouragées par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Des sels minéraux issus de la nature, comme les quinones, obtenus à partir de résidus de fruits comme la rhubarbe, pourraient ainsi servir à obtenir une matière première moins polluante.

Une production nucléaire à l'équilibre

Si demain tout le monde roule en voiture électrique, faudra-t-il plus de centrales nucléaires pour les alimenter ? À priori, non. Certes, la consommation d’électricité augmenterait mais, selon l’ancien patron de l’Ademe Bernard Laponche, le réseau actuel pourrait y faire face. Avec la disparition des grandes industries et la conception d'appareils de moins en moins énergivores, la consommation a même tendance à baisser en France. Ainsi, les parcs de TGV, de métros et de bus électriques cumulés ne consomment aujourd’hui que 3 % de l’électricité disponible en France. C’est dire s’il y a encore de la marge et cela laisse augurer de gros profits pour les constructeurs de batteries et de véhicules électriques. 

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