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Sortie en livre de poche du très utile et remarquable livre de Jospeh Stiglitz sur la crise économique et financière

"Dans la Grande Récession qui a commencé en 2008 plusieurs millions de personnes (...) ont perdu maison et emploi". Ainsi commence le livre de Joseph Stiglitz "Le triomphe de la cupidité" qui analyse l'actuelle crise.Une Grande Récession qui renvoie, bien sûr, à la Grande Dépression, nom donné à la période qui a suivi la crise de 29.
Article rédigé par Pierre Magnan
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Joseph Stiglitz au Forum de Davos (2010) (AFP/FABRICE COFFRINI)

"Dans la Grande Récession qui a commencé en 2008 plusieurs millions de personnes (...) ont perdu maison et emploi". Ainsi commence le livre de Joseph Stiglitz "Le triomphe de la cupidité" qui analyse l'actuelle crise.

Une Grande Récession qui renvoie, bien sûr, à la Grande Dépression, nom donné à la période qui a suivi la crise de 29.

Dans ce livre, le Nobel 2001 d'économie ne fait pas seulement œuvre de professeur d"économie. Il se montre aussi un analyste implacable des causes et des conséquences de «la grande récession», nom qu'il donne à l'actuelle crise, doublé d"un cassandre tant les réponses apportées par les autorités publiques –aux USA notamment- lui paraissent insuffisantes.

Universitaire brillant et très vite reconnu par ses pairs, Jospeh Stiglitz s"inscrit dans la lignée des économistes keynésiens (néo-keynésiens pour être précis), une pensée économique mise à mal depuis une quarantaine d"années et qui revient en force avec l"émergence de la crise "la plus grave crise depuis les années 30".

Ce « triomphe de la cupidité » est indispensable à plus d"un titre. C"est d"abord un manuel d"économie grand public (Stiglitz jongle au fil des pages avec les grands noms de la « science » économique comme Schumpeter, Ricardo, Walras, Hayek…et bien sûr Keynes). C"est ensuite un livre historique sur le fonctionnement du capitalisme financier que tout le monde affirme aujourd"hui vouloir combattre mais qui selon l"auteur semble parfaitement survivre à la crise. C"est enfin un manuel politique dans lequel l"économiste développe les solutions à prendre pour limiter les effets de la crise et développer une économie plus stable. Des solutions à connotations sociales-démocrates que ne renierait pas un Pierre Joxe (PS) qui affirmait dimanche dans le JDD : « il faut une grande réforme fiscale et ne pas se laisser intoxiquer par ceux qui répètent que les impôts feraient partir les riches ». On peut voir aussi un exemple de ce que dénonce Stiglitz dans cette analyse de l'exemple du Texas faite par un autre prix Nobel d'Economie, Paul Krugman.

Nous avons sélectionné dans ce livre quelques passages qui résument la pensée de Stiglitz.

Sur la pensée économique dominante
« La Grande Récession (nom qu'il donne à l'actuelle crise) nous contraint à repenser ce que nous avons si longtemps adoré. Cela fait un quart de siècle que règnent certaines idées : les marchés libres et sans entraves sont efficaces ; s'ils font des erreurs, ils les corrigent vite ; le meilleur Etat est le plus discret ; la réglementation n"est qu"un obstacle à l'innovation ; les banques centrales doivent être indépendantes et avoir pour seul souci de contenir l"inflation. Aujourd'hui même Alan Greenspan (ex patron de la FED) reconnaît que quelque chose clochait dans ce raisonnement ». (p.10)

Une crise du capitalisme ?
La crise actuelle a révélé des dysfonctionnements fondamentaux du système capitaliste ou du moins de la variante du capitalisme qui a émergé au États-Unis dans les dernières décennies du XXe siècle (p 25)

La question du déficit public
Certains économistes ont suggéré que, si l'État se met en déficit, les ménages seront incités à épargner par ce qu'ils savent que le jour viendra où il leur faudra rembourser la dette publique par une augmentation d'impôts. Dans cette théorie la hausse des dépenses de l'État est totalement compensée par une baisse de celles des ménages L'équivalence ricardienne, comme l'appellent les économistes, étaient enseignées dans toutes les facultés d'économie du pays et c'est une absurdité pure et simple. (p152)

Défense des politiques de relance
Certains conservateurs ont même tenté de réécrire l'histoire pour suggérer que les dépenses publiques n'avaient pas fonctionné pendant la Grande dépression. Certes ces dépenses n'ont pas tiré le pays de la crise -les États-Unis ne sont réellement sortis de la dépression qu'avec la Seconde Guerre mondiale. Mais c'est parce que la détermination du Congrès et de l'administration Roosevelt à vacillé. La stimulation n'est pas toujours restée assez puissante. Comme dans la crise actuelle, la réduction des dépenses des états a partiellement annulé l"augmentation des dépenses fédérales. (p151)

Les solutions fiscales

Pour rétablir durablement la consommation américaine totale, il faut une vaste redistribution des revenus de ceux (en haut) qui peuvent se permettre d'épargner vers ceux (en bas) qui dépensent jusqu'au dernier centime. Une fiscalité plus progressive (qui augmenterait les impôts des premiers et réduirait ceux des seconds) pourrait réaliser cette redistribution et elle contribuerait aussi à stabiliser l'économie. Si l'Etat impose davantage les Américains aux revenus élevés pour financer une expansion des dépenses publiques, notamment d'investissement, l'économie aussi entrera en expansion -cela s'appellera un « multiplicateur de budget équilibré » (p.157)

Le rôle de l"Etat
Que cela nous plaise ou non, notre société moderne exige que l'État joue un rôle majeur : fixer les règles et les faire respecter, fournir des infrastructures, financer la recherche, assurer l'éducation, la santé et diverses formes de protection sociale (p.510)

Avoir une vision

L"une des des raisons des problèmes récents (…) est une concentration exagérée sur le court terme (elle-même un des aspects du capitalisme managérial). Pour réussir à long terme, il faut une pensée à long terme –une vision- mais aujourd"hui nous avons dissuadé structuré les marchés selon des modalités qui encouragent l"orientation diamétralement opposée, et nous avons dissuadé l"Etat de combler le vide. (p.511)

Optimisme ou pessimiste ?
Dans certains domaines les réglementations seront améliorées mais dans d'autres, à l'heure où ce livre va sous presse, l'absence de progrès est frappante. On laisse les-banques-trop-grandes-pour-faire-faillite poursuive leurs activités à peu près comme avant. L'usage des dérivées continue presque sans fléchir. Les dirigeants des sociétés financières reçoivent toujours des primes démesurées. (p.515)

"Le triomphe de la cupidité"
Joseph E.Stiglitz
Ed. Babel
516 pages - 10,5 Euros

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