: Témoignage Réforme des retraites : "Je serai à l'aise avec ma conscience", confie une prof gréviste qui a perdu près de 1 000 euros de salaire
République-Nation, Montparnasse-Place d'Italie ou encore Opéra-Bastille... Les parcours et les chants de manifestations contre la réforme des retraites à Paris, Charlotte, enseignante dans la capitale, syndiquée au SNES-FSU, commence à les connaître par cœur. "Je les ai toutes faites : onze manifestations, quelque chose comme ça. Plus des rassemblements ponctuels avec mes collègues devant le collège-lycée", compte-elle alors qu'une 12e journée de mobilisation est organisée jeudi 13 avril.
Hormis les deux samedis de mobilisation intersyndicale, où cette professeure de mathématiques ne travaille pas, cela fait donc neuf demi-journées de grève depuis la mi-janvier, le temps des manifestations. La perte est nette : "Je ne dois pas être loin de 1 000 euros, lâche Charlotte. Jusqu'à présent, ça n'a pas été retiré sur mes salaires en fin de mois. Mais quand ça va tomber, ça va faire mal. Cela pourrait arriver cet été, en pleines vacances. Alors, on commence à restreindre un peu les sorties, les restaurants".
"Tout ce qui n'est pas nécessaire, on fait plus attention. Et oui, parfois certains jours de grève, on se demande : est-ce que là, je la fais ? Pour l'instant, je tiens !"
Charlotte, enseignante grévisteà franceinfo
Et ce qui fait tenir l'enseignante, ce n'est pas tant l'espoir que le Conseil constitutionnel censure tout ou partie de la réforme vendredi : "J’attends un sursaut, qu’ils prennent conscience de ce qu’ils représentent, la dernière étape avant l’entrée en vigueur de la loi. Mais ils prendront peut-être une décision qui ne sera pas de bon sens, mais purement politique. Donc dans le sens du gouvernement".
Charlotte ne s’attend pas non plus à ce que ce même gouvernement fasse machine arrière face à la protestation. L'enseignante de 49 ans a en tête ses premières manifs, contre le CPE, le contrat première embauche. Voté, jamais appliqué par le gouvernement Villepin. Mais ses espoirs de voir Elisabeth Borne et Emmanuel Macron imiter leurs prédécesseurs sont très réduits. "Je trouve ça lamentable que les personnes qui décident soient aussi têtues. Sous prétexte de 'On a été élus, c’était dans son programme'. Mais le président n’a pas gagné pour cela. Le soir de sa réélection, il a déclaré que ce vote l’obligeait. On ne lui a pas donné les pleins pouvoirs pendant cinq ans. Et aujourd’hui, il n’entend pas ce que majoritairement la population pense".
"Je ferai partie des millions de personnes qui auront dit non"
Si Charlotte, qui se sent en colère et dépitée plutôt que lassée, descend toujours dans la rue, et prévoit encore de le faire ces prochaines semaines, même si le texte entre en vigueur, c'est surtout une question de principe, "[son] devoir de [se] battre". "Dans ma tête, je ne me dirais pas que je n'ai rien fait. Cette réforme des retraites, on la subira. Et à 64 ans, ce ne sera pas plus facile de savoir que j'ai manifesté, explique-t-elle. Je ne me vois pas avoir la pêche, être dynamique à 100% devant 35, 36 élèves, à cet âge-là. Mais au moins, je ferais partie de ces millions de personnes qui auront dit Non. Et qui auront dit Non jusqu'au bout. Je serai à l’aise avec ma conscience."
Un état d'esprit partagé dans sa salle des profs, dans son établissement parisien. Jusqu'à 60% de ses collègues se sont mis en grève au pic de la mobilisation, notamment des enseignants "qui ne se mobilisent pas d’habitude". Des professeurs en colère mais assez dépités. En revanche, Charlotte en est convaincue : le combat des retraites aura eu le mérite, et c'est rare, de les réunir. Une caisse de grève a été créée, et ce sera plus simple selon elle de mobiliser ses collègues lors de prochaines luttes, notamment pour la future loi sur le travail évoquée par l’exécutif.
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