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Reportage "Une grève, ça coûte cher" : caisse centrale ou cagnotte, les syndicats se préparent à une longue bataille contre la réforme des retraites

Article rédigé par Valentine Joubin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Pour soutenir financièrement les salariés grévistes certains syndicats disposent de caisse de solidarité centrales, d'autres misent sur des cagnottes notamment sur internet. (STEPHANIE BERLU / FRANCEINFO)
Les salariés opposés au projet du gouvernement sont de nouveau appelés à cesser le travail et à manifester mardi 31 janvier. Pour soutenir financièrement les grévistes, les syndicats comptent notamment sur des systèmes d'indemnisation.

Comment tenir plusieurs jours voire plusieurs semaines sans salaire ? Alors que l'intersyndicale appelle à une deuxième journée de mobilisation contre la réforme des retraites mardi 31 janvier, la grève a déjà repris dans certains secteurs comme l'énergie. Et face à une inflation qui pèse sur le budget des salariés, les syndicats comptent notamment sur les caisses de grèves pour gagner leur bras de fer avec le gouvernement. Mais ces réserves ne sont pas toutes alimentées de la même façon, ni reversées selon les mêmes principes. Nous avons interrogé la CFDT, la CGT et FO.

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150 millions d'euros dans la caisse de la CFDT

À la CFDT, "ça fait 50 ans, en gros, qu'on met de côté", résume Jean-Michel Rousseau, secrétaire confédéral en charge de la caisse nationale d'action syndicale. Cette tirelire mise en place en 1973 "est une caisse centrale permanente". "C'est la seule qui existe dans le paysage syndical français, affirme-t-il. Elle est alimentée par 8,6 % des cotisations. Donc tous les adhérents cotisent, de fait, à la caisse". Son montant avoisine actuellement les 141 millions dont pas même un centime ne provient de dons ou de collectes.

Ce pactole n'est pas destiné uniquement à indemniser les grévistes. "La prise en charge des actions juridiques est devenue majoritaire", précise Jean-Michel Rousseau. "Une réserve grève" reste toutefois destinée à soutenir les membres du syndicat engagés dans un mouvement social.

"L'objectif, c'est d'avoir de quoi payer 35 heures de grève pour tous les adhérents, soit 600 000 personnes"

Jean-Michel Rousseau, en charge de la caisse nationale d'action syndicale de la CFDT

à franceinfo

Chaque union syndicale fournit à la caisse centrale la liste des grévistes et les bulletins de salaire "où apparaît la retenue". Le montant de l'indemnité, revalorisée tous les ans, est de 7,70 euros de l'heure, sans jour de carence. Seules les adhérents CFDT en bénéficient et elle n'est versée que dans le cadre d'un préavis déposé par le syndicat.

Depuis le début du mouvement contre la réforme des retraites, le syndicat est à nouveau "très sollicité" par des adhérents qui veulent "savoir si on va indemniser le conflit", raconte Jean-Michel Rousseau. " Les syndicats nous disent 'on ne peut appeler les gens à faire grève que parce qu'on leur promet aussi qu'il y a une indemnité qui va compenser partiellement la perte de salaire'. Parce que la grève, elle coûte cher."

Chez FO, une indemnité "doublée" pour les grévistes

Chez Force ouvrière, on ne parle pas de caisse, mais de "fonds de solidarité de grève confédéral", indique Patrick Privat, le trésorier du syndicat. Ouvert depuis la création de FO en 1948, il est, comme à la CFDT, abondé par "une quote-part" de la cotisation annuelle de chaque adhérent. Mais "ce n'est un prélèvement direct de la confédération", précise Patrick Privat. La contribution est d'abord prélevée "par le syndicat de base de l'entreprise" puis "remonte" jusqu'à la confédération en passant par l'union départementale et la branche. Seuls les adhérents peuvent en bénéficier.

En termes de chiffres, FO préfère ne pas rentrer dans les détails. Le montant de la quote-part ? "Quelques centimes par adhérent" et par an, répond Patrick Privat. L'indemnité versée ? "C'est variable. On vient de la rénover fortement, on l'a multipliée par deux et demi pour le mouvement sur les retraites, explique-t-il. Je ne veux pas vous parler du montant de l'indemnisation." "Ça ne compense pas l'intégralité du salaire bien entendu", pointe le trésorier qui ne donnera pas non plus la valeur globale du fonds.

"Je ne suis pas là pour faire du merchandising et des comparaisons avec les autres". 

Patrick Privat, trésorier confédéral Force ouvrière

à franceinfo

Pour Patrick Privat, la caisse de grève "est un outil" mais, selon lui, pour "la poursuite du mouvement en tant que telle sur les retraites, ce n'est pas ça qui fait la différence. C'est le fait que tout le monde doit prendre deux ans de plus ferme", dit-il en évoquant le recul de l'âge de départ légal de 62 à 64 ans. "Ça vaut le coup de perdre quelques jours pour ne pas prendre deux ans derrière". 

À la CGT, des caisses de solidarité nourries par des donateurs

La CGT ne possède pas de caisse de grève centrale. "Il y a ce qu'on appelle des caisses de solidarité, qui viennent plutôt essayer d'aider des adhérents ou des salariés quand il y a un conflit important", explique Romain Altmann, secrétaire général d'Info-Com CGT . L'argent vient non pas des cotisations, mais de dons divers. L'une des plus connues est d'ailleurs gérée par sa fédération et Sud-poste Hauts-de-Seine. Créée en 2016 lors de la mobilisation contre la loi travail, cette caisse avait alors atteint plus de trois millions d'euros.

Romain Altmann insiste sur "la transparence" de la cagnotte. Sur le site dédié, plusieurs graphiques présentent en effet le profil des donateurs. L'écrasante majorité est des particuliers (98%), le reste des dons provenant de syndicats, partis politiques ou associations. "On donne aux syndiqués, tous syndicats confondus et aux non-syndiqués", indique le responsable CGT. Certaines demandes sont individuelles, mais la plupart émanent de fédérations syndicales. La somme versée "dépend du nombre de grévistes dans l'entreprise" et des aides déjà perçues par le syndicat. C'est ce dernier qui définit les critères de répartition "en assemblée générale".

"On n'achète pas les grévistes"

Parmi les bénéficiaires figure la CGT-Cheminots de Trappes (Yvelines). Le syndicat a touché environ 25  000 euros dans le cadre du mouvement contre la réforme des retraites à l'hiver 2019-2020. En agrégeant d'autres dons (collectés sur les marchés, en manifestation, auprès d'autres syndicats, de partis politiques ou d'élus), les cheminots yvelinois avaient réuni près de 100  000 euros. " On a divisé la somme qu'on avait par le nombre de jours de grève indemnisables parmi les [grévistes] demandeurs", raconte Axel Persson, le secrétaire général. Sachant que tout le monde n'a pas fait la demande."

"Il y a des gens qui ont fait 56 jours de grève sans rien demander".

Axel Persson, secrétaire général de la CGT-Cheminots de Trappes

à franceinfo

Les grévistes ont reçu environ 2  300 euros pour deux mois de mobilisation. "On a fait de beaux chèques", raconte Axel Persson. Un coup de pouce financier qui a "sans doute" permis aux grévistes de tenir et de gagner leur bataille contre le gouvernement. "Mais ce qui a servi en premier lieu, c'est la détermination, estime le responsable syndical. Parce qu'on n'a rien promis à personne." La caisse est alimentée "au fur et à mesure du conflit", ajoute-t-il. "On part avec zéro et on ne sait pas avec quoi on finit." "Les gens y croient, ils sont convaincus. On n'achète pas les grévistes", insiste-t-il.

Engagée dans une nouvelle et probable longue bataille pour les retraites, la CGT-Cheminot de Trappes va quand même bien devoir relancer les appels aux dons. La cagnotte de solidarité interprofessionnelle de la fédération Info-Com, elle, ne repart pas de zéro. Elle affiche près de 170  000 euros ce lundi, dont 30  000 réunis par un collectif de streameurs et streameuses baptisé Piquet de Stream. "On entre dans le dur à partir du 31 janvier et on espère que la solidarité financière va se décupler", conclut avec enthousiasme Romain Altmann.  

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