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Pour louer une chambre d'hôtes, mieux vaut avoir 40 ans et un nom français

Les résultats d'un testing de grande ampleur présentés jeudi par SOS Racisme et le CNRS révèlent les pratiques de l'hébergement de loisirs. Et mettent en lumière des discriminations liées à l'origine, à l'âge, au sexe et au lieu de résidence, en particulier dans les chambres d'hôtes. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une chambre d'hôte en Lozère, le 24 mars 2013. (MAXPPP)

"Sur l'hébergement de loisirs, on est assez impressionnés parce que les quatre critères de discrimination qu'on a testés se sont avérés significatifs." Chercheur au CNRS, Yannick L'Horty a mené avec quatre autres collègues une étude d'envergure sur les discriminations en France, portant sur sept secteurs jamais testés auparavant. Rendue publique jeudi 23 novembre par SOS Racisme, cette étude inédite s'est notamment intéressée à l'hébergement de loisirs. 

Résultat : "Il y a à la fois de la discrimination selon l'âge, avec une préférence pour le candidat de 42 ans, selon l'origine, avec une pénalité donnée au candidat qui signale par son patronyme une origine africaine, selon le sexe parce que la candidate féminine a moins de chances d'être retenue, et enfin selon le lieu de résidence, puisque le candidat localisé en quartier prioritaire [défavorisé] a moins de chances de recevoir une réponse positive", explique à franceinfo Yannick L'Horty. Et ce sont les chambres d'hôtes qui présentent les résultats les plus différents selon les profils. 

Le quadra au nom français nettement favorisé

Pour mener leur étude, les chercheurs du CNRS ont testé 1 433 établissements de trois régions touristiques : la Bretagne, les Pays de la Loire et Provence-Alpes-Côte d'Azur. Ils ont à chaque fois envoyé un message électronique à ces hôtels, chambres d'hôtes et campings. Ces établissements ont reçu des demandes de six profils différents : une jeune femme "d'origine française", une jeune femme "d'origine africaine", un homme quadragénaire d'origine française, un jeune homme d'origine française, un jeune homme résidant en quartier prioritaire de la politique de la ville et un jeune homme d'origine africaine. 

Réponse des 1 433 hébergements testés par les chercheurs du CNRS en fonction des six individus.  (TEPP -CNRS)

Ce sont les chambres d'hôtes qui se distinguent. Ainsi, la jeune femme d'origine africaine a reçu 37,3% de réponses positives contre 44,5% pour son homologue d'origine française. Le jeune homme résidant en quartier prioritaire de la ville a, lui, obtenu 34,8% de réponses positives, et celui d'origine africaine 37,4%. C'est beaucoup moins que l'homme quadragénaire d'origine française, qui a reçu 57,3% de réponses positives. 

"Les écarts sont très importants, d'autant que l'on a testé 647 chambres d'hôtes, ce qui est conséquent, commente Yannick L'Horty. La prime donnée à l'homme quadragénaire d'origine française est très nette."

"C'est au bon vouloir de chacun" 

Comment expliquer une telle différence entre les chambres d'hôtes d'une part et les campings et hôtels d'autre part ? "Les campings et les hôtels se voient attribuer des labels, des étoiles, et subissent des contrôles réguliers, contrairement aux chambres d'hôtes, avance Yannick L'Horty. Cela peut expliquer le fait que les préférences du loueur s'expriment davantage et semblent moins cadrées dans ce dernier type d'hébergement."

Il faut néanmoins distinguer les chambres d'hôtes labellisées et celles qui ne le sont pas. "Ces résultats me surprennent car cela ne correspond pas aux valeurs des Gîtes de France, qui est un mouvement associatif", explique à franceinfo Jacques Masson, directeur général de la Fédération nationale des Gîtes de France, qui gère 60 000 hébergements. "L'étude met en avant des différences inacceptables. En revanche, là où je suis plutôt satisfait, c'est que notre marque n'est pas citée", ajoute-t-il. Pourtant, Yannick L'Horty assure avoir testé tous types de chambres d'hôtes, labellisées ou non. Mais les Gîtes de France l'affirment : ils n'ont pas reçu de plaintes à ce sujet. 

Cette problématique des discriminations semble surtout ne pas être un sujet pour de nombreux labels. Tout simplement parce qu'ils n'ont pas la main sur les réservations et que la question n'a jamais été posée. 

On ne gère pas leurs réservations, on n'a aucun droit de regard dessus, personne ne va vérifier.

Fleurs de soleil, une association de propriétaires de chambres d'hôtes

à franceinfo

"On n'impose rien. En plus, la législation est minimaliste : on peut louer cinq chambres maximum pour 15 personnes maximum dans son hébergement", explique à franceinfo Antoine Lebreton, de la marque Bed&Breakfast, dont la clientèle est essentiellement européenne. "Chacun est libre de recevoir qui il veut. La seule obligation, c'est de se déclarer en mairie. C'est vraiment au bon vouloir de chacun", ajoute-t-il. 

Sensibiliser les propriétaires aux préjugés

Alors, que faire ? "La question des chambres d'hôtes montre la puissance des préjugés quand rien ne vient les bloquer comme la réglementation ou la sensibilisation", fait remarquer Dominique Sopo, le président de SOS Racisme. Ce dernier préconise de "mettre en place des obligations de formation à partir d'un certain volume d'activité" et souhaite que "les plateformes qui mettent en relation [propriétaires et clients] informent à ce sujet"

C'est précisément ce qu'entend faire Christian Biancaniello, le vice-président de Clévacances, un autre grand label de réseaux de particuliers. Arrivé en juin, il a fait passer une communication sur le sujet lors d'un conseil d'administration avec ses 23 administrateurs régionaux. A l'origine de cette initiative, des remontées de terrain sur cette question. Lors de réunions d'adhérents, un ou deux propriétaires auraient ainsi demandé s'ils avaient la liberté de refuser un type de public. "On a de nouveau précisé les choses très clairement lors du conseil d'administration, mais on va envoyer une newsletter à ce sujet dans le mois qui vient", annonce Christian Biancaniello. 

Nous sommes un réseau de particuliers. Il est bon de les informer sur la législation.

Christian Biancaniello, vice-président de Clévacances

à franceinfo

Une réflexion est aussi entamée sur la charte d'engagement que doivent signer les propriétaires de chambres d'hôtes désireux de rejoindre le label Clévacances. Un rappel sur ce que dit la loi en matière de discrimination pourrait ainsi y figurer. 

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