Les inégalités de revenus se creusent et pèsent sur la croissance
L'OCDE publie un rapport alarmant, mardi 9 décembre, pour souligner l'aggravation de l'écart entre les plus riches et les plus pauvres. A moyen terme, de tels écarts pèsent sur la bonne santé économique des Etats.
"Jamais en 30 ans le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé dans la plupart des pays de l’OCDE." L'organisation dresse un constat alarmant, dans un rapport sur les inégalités de revenus, publié mardi 9 décembre. A terme, de telles inégalités freinent la croissance, estime l'OCDE, qui recommande aux Etats d'investir dans l'éducation et de redistribuer les richesses via l'impôt.
Les inégalités de revenus augmentent durablement
"Aujourd’hui, dans la zone OCDE, le revenu des 10 % de la population les plus riches est 9,5 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres. À titre de comparaison, dans les années 1980, le rapport était de 7 à 1." L'accroissement des inégalités est donc un phénomène ancien et qui accélère dans le temps.
Les experts ont utilisé le coefficient de Gini, coefficient synthétique calculé à partir des revenus annuels disponibles par unité de consommation. La valeur 0 représente une situation où tout le monde a des revenus identiques, la valeur 1 celle où une personne a tous les revenus. "Dans l’histoire, il varie généralement entre 0,2 – comme les pays nordiques des années 80 – et 0,7 pour l’Afrique du Sud de l’appartheid", précise Michael Förster, économiste à la division des politiques sociales de l'OCDE, contacté par francetv info.
Si l'accroissement des inégalités est limité en France, il est en revanche important aux Etats-Unis, en Israël, en Nouvelle-Zélande ou dans les pays nordiques comme la Finlande ou la Suède, souvent montrés en exemple mais dont la situation tend à se dégrader sur ce plan.
Pourquoi cet accroissement des inégalités ? L'OCDE avait mis en avant plusieurs explications, dans une étude précédente. "Le progrès technologique et la révolution d'internet ont joué un rôle important", estime Michael Förster. "Beaucoup de personnes ont été laissées à l’arrière – et pas seulement les plus démunies." Mais les politiques publiques sont également responsables de ces décrochages. "On a aussi regardé l’efficacité du système de redistribution. Or dans une grande partie des pays de l’OCDE, il s'est affaibli dès avant la crise", aggravant le décrochage des populations modestes.
Les inégalités de revenus freinent la croissance
C'est une thèse forte du rapport : le décrochage d'une part importante de la population a des conséquences directes sur la croissance des Etats. "Nous avons comparé les revenus des 20, 30 ou 40% les plus modestes à la moyenne. Nous avons constaté que leurs revenus augmentaient lentement, voire reculaient, comme aux Etats-Unis pendant la crise", explique Michael Förster, ce qui pénalise la croissance.
Cet effet sur la croissance est même précisément chiffré par les chercheurs. "Une aggravation des inégalités de 3 points de Gini [de 0,28 à 0,31, par exemple] — soit la moyenne des pays de l’OCDE pour les vingt dernières années — ferait perdre 0,35 point de croissance par an sur 25 ans, soit une perte cumulée de PIB de 8,5 % à terme."
Selon les calculs de l'OCDE, les inégalités de revenus sont ainsi responsables de la perte de plus de 10 points de croissance au Mexique et en Nouvelle-Zélande, sur la période 1985-2005. Elles ont pénalise le Royaume-Uni, la Finlande et la Norvège de 9 points, et de 6 à 7 points pour l'Italie, les Etats-Unis et la Norvège.
Il existe toutefois deux exceptions notables dans ce tableau : l'Espagne et la France. En effet, "la France est l’un des rares pays où les inégalités de revenus ont légèrement diminué pendant les années 80 et le début des années 90", explique Michael Förster. "Ce recul était alors une exception française. L'écart est resté stable entre 1995 et 2005, puis il a augmenté."
Les inégalités de revenus reflètent les inégalités sociales
Ces inégalités de revenus sont surtout dues aux inégalités sociales, qui pénalisent le parcours de formation des enfants. Pour s'en convaincre, les experts de l'OCDE ont épluché les données d'une enquête sur les compétences des adultes.
"Malheureusement, elle confirme que les enfants issus de milieux défavorisés font des études moins longues et moins qualifiantes. Il est plus difficile pour les personnes défavorisées d’obtenir un prêt et d’investir dans des études", résume Michael Förster. "Mais ce qui est nouveau, c’est que ces enfants ont d’autant moins de chances d'être qualifiés que le le niveau des inégalités est élevé dans le pays." Ces inégalités risquent donc d'être transmises à la génération suivante.
La frange de la population la plus modeste partage d'ailleurs un sentiment de déclassement, même quand les revenus progressent légèrement. "Toutes les études montrent une inquiétude dans la classe moyenne. Auparavant, 60% des gens disaient appartenir à cette catégorie, contre moins de la moitié aujourd’hui. Ce sentiment est lié à l’insécurité du marché du travail, aux carrières chaotiques, à la difficulté de se constituer un patrimoine."
Pour endiguer le phénomène et maintenir la cohésion des sociétés, l'OCDE dégage trois axes de travail. "Le premier, c’est d’investir dans l’éducation", indique Michael Förster. "Le deuxième – à moyen terme – c’est d’adopter des mesures pour faciliter l’intégration au marché du travail, pour un emploi durable. En France, je pense par exemple au RSA, avant la crise. Et le troisième, c’est de garantir le système de redistribution par les impôts. Celui-ci a été musclé pendant la crise, mais il recommence à baisser."
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