LiRE - Numéro Spécial "Les livres de votre été"
Et si l'un des livres les plus lus cet été était signé Stefan
Zweig ?
Depuis
quelques années, l'œuvre du grand écrivain autrichien connaît un étonnant
retour en grâce. En France, ses livres ne cessent d'être republiés avec succès
en édition de poche – depuis le début de l'année 2013, les droits de l'œuvre
sont tombés dans le domaine public. Et Zweig vient de faire son entrée dans la
prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade. Tout y est : son unique roman achevé,
ses nouvelles, ses biographies, ses essais, ses pièces...
Et si les livres de Stefan Zweig séduisent autant, c'est sans
doute parce que l'écrivain a su, mieux que nul autre, mettre en scène la
question de l'identité.
Celle
d'hommes et de femmes – souvent de femmes... – que la passion et ses tourments
détournent brusquement de ce fil trop tendu qui constitue, au berceau, notre identité.
Tout est là. Dans ce rapport au destin que l'on se forge, à l'amour et au temps
qui passe, à l'attente, aux choix, au hasard. Mais là où d'autres avancent des
théories et des idées, Zweig, lui, chuchote à l'oreille du lecteur. Ses
histoires s'adressent à chacun de nous tout en donnant le sentiment d'être
universelles. Là est l'immense force du conteur. Zweig parle aux émotions. Il
va vite, fait court – droit au cœur !
A
travers ses nouvelles, notamment, il gratte cette énigme : qu'estce qu'une vie
réussie, qu'est-ce qu'une vie ratée ? Zweig parvient à nous entraîner par-delà
le désespoir. Il enchante, même s'il n'est jamais optimiste. On a parlé,
souvent, d'un sidérant pouvoir de consolation dans les textes de cet homme qui
refusa jusqu'au bout de céder au défaitisme que l'air du temps imposait.
Peut-être. Son œuvre est un kaléidoscope où se bousculent et s'entrechoquent
les émotions les plus violentes, dans une extraordinaire finesse psychologique.
Le talent de portraitiste de Zweig est sans doute ce qui fait de lui un immense
artiste. Dans ses biographies, évidemment, mais aussi dans ses nouvelles. Une
phrase suffit à décrire un caractère.
Zweig se méfie de la perfection, de l'idéal, des grandes idées.
Il
leur préfère les idées hautes et sait rester, écrivain, à hauteur d'homme. C'est
là que réside son humanisme : du côté de nos vies imparfaites, il ne cède rien
aux dogmes et aux idéologies qui transforment son temps en siècle noir. Avoir
vingt
ans ou presque en 1900, c'est nourrir la nostalgie d'une " Mitteleuropa " que l'on
n'a connue que dans les souvenirs recomposés d'une petite enfance à jamais
perdue. Zweig assiste au lent suicide des nations : pendant la Première Guerre
mondiale, depuis les services de propagande où il a été enrôlé, il observe avec
effroi la boucherie. En 1916, il écrit une pièce de théâtre, Jérémie , qui annonce une
œuvre sur laquelle plane le spectre du déclin. Puis il y aura les autodafés, l'interdiction
de publier dans son propre pays, la persécution qu'il vivra dans l'exil. Et
cette mort, sur laquelle il est si tentant de s'appesantir. Mais à quoi bon ?
Zweig est un homme de contradictions. De ce défaut si commun à ses lecteurs il
a su faire une qualité en métamorphosant la douleur et l'angoisse en œuvre d'art.
Il a l'intime conviction que sa vie se déroule à un moment critique de l'Histoire
: non seulement le moment de la barbarie mais encore celui d'une évolution. Car
Zweig, s'il conserve la nostalgie du " monde d'hier " et se sent inapte à vivre
dans le monde de demain, est un grand défricheur. Il s'intéresse à tout ce qui
est nouveau : la psychanalyse, l'Europe (celle des connexions et des échanges),
les progrès technologiques...
Le
regard qu'il pose sur le monde et les vivants est celui d'un anthropologue :
étonné, curieux. Est-il étonnant qu'à la fin de sa vie il redécouvre Montaigne
? Tous ses écrits interrogent les choix que nous faisons, notre part de
renoncement et notre part d'audace. Crises d'identité successives – les
exemples sont nombreux. Montaigne, comme une réconciliation. "D'avoir cultivé
son moi ne l'a pas rendu solitaire, mais au contraire lui a apporté des milliers
d'amis ", écrit-il. Stefan Zweig, d'Amok à Vingt-quatre heures dans la vie d'une
femme , de la Lettre
d'une inconnue à La
Confusion des sentiments , nous a offert
une galerie d'êtres imparfaits donc magnifiques. Des amis. Là est son succès.
François Busnel , Directeur de la rédaction du magazine LiRE.
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