Les "fansubbers", ces Robins des Bois du sous-titre
Le téléchargement illégal de séries et les lacunes des offres payantes ont fait éclore le "fansubbing", le sous-titrage par des traducteurs amateurs. Lumière sur ces fans, à la fois pirates et militants.
Nous sommes lundi, il est 19h30. Vous rentrez du travail et l'épisode de "Game of Thrones" diffusé la veille aux Etats-Unis vous attend sagement sur votre ordinateur. Vous avez un peu séché l'anglais au lycée, mais il vous faut moins de cinq secondes pour trouver des sous-titres sur le net. Et vous voilà devant une série pas encore diffusée dans l'Hexagone, avec le luxe de pouvoir la suivre en français, moins de 24 heures après son passage outre-Atlantique. Ceux qu'il faut remercier s'appellent les "fansubbers" (contraction de "fan", et de "subtitle", sous-titrer).
• L'origine : une demande insatisfaite
Conséquence du téléchargement illégal, le "fansubbing" (tout aussi illégal, puisqu'il constitue une violation des droits d'auteur) s'est développé au début des années 2000. Une démarche militante, qui vise à combler l'absence d'offre en France, encourager les spectateurs à se tourner vers la version originale, promouvoir des séries inconnues dans l'Hexagone et pousser les chaînes de télé à en acheter les droits.
En France, la communauté se développe dans les forums. Les premiers sites dédiés, comme Forom et Sub-Way (devenu Subfactory), poussent comme des champignons. Les chaînes françaises sont à la traîne et diffusent les séries un an après leur premier passage outre-Atlantique. Pour qui veut suivre le rythme américain mais ne maîtrise pas l'anglais, le "fansubbing" est une aubaine.
• Des amateurs "qualifiés"
Il y a deux types de sous-titres amateurs, explique Maëva, dont c'est le hobby depuis quatre ans. D'abord, "le fastsub", "de qualité très médiocre, sans réelle synchronisation des sous-titres avec la vidéo, mais qui sort très vite après la diffusion de l'épisode". Et puis il y a le "proper" : "cette version est de qualité, soumises à des normes, faite par une équipe qualifiée, elle met plus longtemps à sortir."
Processus : une fois l'épisode de la série téléchargé (disponible vers 4 heures du matin), il faut mettre la main sur le téléscript, les sous-titres en anglais faits pour les sourds et malentendants. Puis le nettoyer des indications comme "une porte grince", "musique d'ascenseur", etc. Ensuite, il faut caler les dialogues avec un logiciel spécialisé. D'abord réservé aux experts, les sites de "fansubbing" proposent même de télécharger des packs qui permettent à n'importe qui de sous-titrer à la maison.
Le plus souvent organisés en équipes ("teams"), les traducteurs amateurs se répartissent la tâche, cinq à dix minutes de dialogues chacun. Après plusieurs relectures, les sous-titres sont mis en ligne. Certains sites soumettent leurs "teams" à des normes copiées sur celles que suivent les professionnels. En outre, "il est nécessaire d'effectuer une formation, encadrée par d'autre 'fansubbers', parfois pendant plusieurs mois" avant d'intégrer des équipes, explique Maëva.
Des lobbyistes du sous-titrage
Ces amateurs ont rarement suivi un cursus spécialisé, mais il n'est pas rare de trouver des étudiants en langue, passionnés de séries, déçus par les sous-titres professionnels, souvent édulcorés pour être plus politiquement corrects.
Souvent mal perçus par les professionnels de la traduction, les "fansubbers" assurent que leur démarche doit faire prendre conscience à l'industrie "qu'il ne faut pas bâcler les sous-titres, et qu'il faut prendre soin des traducteurs professionnels, car la demande est très grande", dit Maëva.
• La réponse des chaînes françaises
Justement, pour répondre à cette demande et contrer la concurrence jugée "déloyale" du téléchargement illégal et du "fansubbing", TF1 lance en 2008 une offre de VOD plutôt alléchante : permettre aux Français de visionner l'épisode de Lost diffusé la veille aux Etats-Unis. Moyennant 1,99 euro, il est disponible, en VO sous-titré français, pendant 24 à 48 heures en streaming ou en téléchargement sur le site de la chaîne. Un système inauguré en 2007 avec une autre série, Heroes.
Conséquence : la majorité des "fansubbers" ont cessé de traduire ces séries, puisque leur objectif de "lobbyistes" était atteint. Idem lorsqu'une série sort en DVD en France. Néanmoins d'autres sites, jugeant le rapport qualité-prix de l'offre TF1 Vision peu satisfaisant, ont poursuivi leur activité.
• Le coup de semonce des studios américains
Coup dur en 2009. Une douzaine de sites de "fansubbing" français reçoit une mise en demeure du département antipiraterie de Warner, qui leur demande de retirer les sous-titres de "Gossip Girl", "House" ou "The Big Bang Theory"... des cartons outre-Atlantique, ne bénéficiant d'aucune diffusion française. A l'époque, Alconis, un pionner du "fansubbing", rappelle sur son blog qu'"en France, c'est une première. Mais en Israël, tous les sites ont été fermés il y a deux ans, au Brésil, aux Pays-Bas et en Espagne, les intimidations et fermetures ont commencé depuis belle lurette."
De nombreux sites prennent peur et cessent d'héberger les "fansubs". D'autres rusent et créent, quelques mois plus tard, "sous-titres.eu". Cette plateforme hébergée à l'étranger est "hors de portée de la loi française puisque la justice française peut poursuivre les administrateurs de sites s'il est prouvé que ceux-ci résident en France et y exercent cette activité", explique Alconis. Une astuce qui lui permet d'être encore en service trois ans après.
• L'exception de la japanimation
Restent les irréductibles. Ces premiers qui seront sans doute les derniers, puisque leur activité est encore tolérée par les ayants droit. Eux, ce sont les passionnés de films d'animation japonais, les animes. On ne peut pas vraiment parler de "fansubbing", puisqu'ils modifient ces films en y incrustant leurs sous-titres, puis mettent les vidéos modifiées à disposition des internautes. Leurs sous-titres ne respectent pas forcément les normes des "propers" : ils peuvent changer de couleur ou de police selon le personnage, contenir des astérisques ou des parenthèses explicatives en cas de jeu de mots intraduisible ou de référence culturelle.
Pompokko, 32 ans, dirige la team Sky-fansub, qu'elle a créée en 2009. La démarche de son équipe est la même que les "fansubbers" classiques : "Partager des séries qui ne pourraient pas être à notre portée sans le fansub". Elle ajoute : "Nous souhaitons encourager les éditeurs français. Dans chacune de nos releases [publications] nous mettons un message encourageant à l'achat des DVD si la série sort en France. Et lorsqu'un de nos projets est [officiellement traduit], nous retirons les vidéos en question."
Si leur activité, pourtant bien plus illégale qu'un simple sous-titrage, est tolérée par les éditeurs japonais, c'est parce que les alternatives marchandes sont quasi-inexistantes. Des œuvres comme Naruto, diffusée avec quatre ans de retard en France et de manière anarchique, n'auraient pas connu tant de succès sans les fansubs. Et les passionnés de japanimation génèrent par ailleurs des profits juteux. "Bon nombre de personnes regardant des animes non diffusés en France achètent des produits dérivés, comme des figurines directement importées du Japon", raconte Pompokko.
Au point que l'offre évolue. Des offres de "simulcast" sont alors apparues, c'est-à-dire la diffusion simultanée d'un épisode au Japon et en France. Kaze propose ainsi un catalogue touffu d'animes sous-titrés en français, pour 7 à 10 euros par mois. "Les éditeurs diffusent de plus en plus rapidement les séries récentes et je pense que le 'fansub' y est pour quelque chose", estime Pompokko.
Mais la japanimation reste une niche. Et les ayants droit de Mad Men, Game of Thrones et autre Breaking Bad, qui n'ont aucune difficulté à vendre leurs productions à l'étranger, n'ont pas grand intérêt à copier le modèle du simulcast. Les "fansubs" français ont donc de beaux jours devant eux.
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