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La love story journalistes-politiques "est jugée contre-nature" à l'étranger

Jean-Marie Charon, sociologue et spécialiste des médias, explique à FTVi comment les relations entre journalistes et responsables politiques varient d'une période à l'autre et d'un pays à l'autre.

Article rédigé par Vincent Matalon - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Audrey Pulvar et Arnaud Montebourg, le 9 octobre 2011, au soir du premier tour des primaires socialistes, à Paris. (THOMAS COEX / AFP)

Télé ou ministère, pour l'UMP, il faut choisir ! Lundi 21 mai, un secrétaire national du parti a sommé le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg, et sa compagne, la journaliste Audrey Pulvar, de trancher entre la présence au gouvernement du premier et les interviews politiques télévisées de la seconde. Une allusion à l'émission "On n'est pas couché" diffusée samedi sur France 2, lors de laquelle Audrey Pulvar a interrogé Harlem Désir, numéro deux du PS.

Des cas similaires ont jalonné l'histoire récente. En 1997, lors de l'accession de Dominique Strauss-Kahn au ministère de l'Economie, Anne Sinclair a ainsi arrêté la présentation de "7 sur 7" sur TF1. Il y a cinq ans tout juste, la même raison a poussé Béatrice Schönberg à quitter la présentation du journal de 20 heures de France 2, et Marie Drucker à faire de même sur France 3, rappelle Le Figaro.

De tels retraits ont-ils toujours été la norme ? Comment ces liaisons particulières sont-elles considérées à l'étranger ? Réponses de Jean-Marie Charon, sociologue, chercheur au CNRS et spécialiste des médias.

FTVi : Les relations entre journalistes et politiques ont-elles toujours été un problème ?

Jean-Marie Charon : Non, j'estime que c'est une particularité française. Il ne s'agit pas toujours de relation amoureuse, mais de proximité. La presse d'opinion se développe dès la Révolution de 1789, et à partir de là débute une longue tradition dans laquelle journalistes et politiques s'entrecroisent.

Dans son livre L'invention du journalisme en France, le journaliste Thomas Ferenczi montre bien qu'à une époque, certains journalistes, hommes ou femmes, étaient aussi des politiques de premier plan. C'était le cas de Marat, de Jaurès, de Blum, ou encore de Clemenceau. A l'époque, on ne parlait pas de confusion des genres : cela allait de soi !

La confusion est même complète après la seconde guerre mondiale. Pour être journaliste, il faut alors ne pas avoir collaboré, ni avoir développé de relation suspecte avec l'Allemagne. La création en 1946 du Centre de formation des journalistes (CFJ) dans ce sens : professionnaliser les militants politiques et militaires issus de la Résistance. C'est à partir des années 1960 que les cas de double appartenance se raréfient.

Béatrice Schönberg a abandonné le "20 heures", Audrey Pulvar ne devrait plus interviewer de politiques... Ce type de décision a-t-il toujours existé dans le monde médiatique ?

Non, ces sanctions sont un phénomène assez récent, qui a pris une acuité particulière avec le développement de l'audiovisuel. Les cas litigieux étaient gérés avec davantage de souplesse dans la presse écrite, où il suffisait souvent de déplacer la personne concernée dans une autre rubrique.

Dans l'audiovisuel, les profils professionnels sont beaucoup plus identifiés. Quand on est présentatrice, comme Béatrice Schönberg, ou un interviewer important comme Audrey Pulvar, forcément, la question de la sanction se pose, car le public aura forcément des soupçons de connivence.

Comment ces liaisons entre journalistes et politiques sont-elles perçues à l'étranger ? 

J'ai eu l'occasion d'échanger à ce sujet avec des journalistes nord-américains ou britanniques. Là-bas, ces situations sont exceptionnelles et considérées comme contre-nature. Le concept de "quatrième pouvoir", qui joue un rôle d'équilibre face au politique, y a profondément marqué les relations entre ces deux mondes.

Mais il ne faut pas trop idéaliser le modèle anglo-saxon. Le scandale qui se développe en ce moment autour du groupe Murdoch et les conservateurs britanniques montre qu'une proximité peut exister. 

L'Allemagne s'est aussi imprégnée du modèle anglo-saxon après la guerre. Dans les conseils d'administration de l'audiovisuel public, il n'y a par exemple pas de représentants de l'Etat. A la place, on trouve des représentants associatifs, par exemple. La volonté de ne pas reproduire le schéma qui existait à l'époque nazie a créé une grande rigueur dans la distance au politique. A une certaine époque, on parlait même de "pluralisme interne" dans les médias allemands : les patrons de presse s'assuraient que toutes les sensibilités politiques étaient représentées dans leur rédaction. Cette conception a volé en éclats dans les années 1980, lors de l'introduction de l'audiovisuel privé sur le marché. C'est alors la diversité des médias qui devait illustrer le pluralisme, et plus celle des journalistes.

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