Internet a-t-il tué le sous-titrage pro des séries ?
FTVi a rencontré des sous-titreurs professionnels. Ils souffrent d'une dégradation de leurs conditions de travail, accélérée par le phénomène des 'fansubbers', les traducteurs amateurs.
Les 'fansubbers', ces passionnés qui traduisent des séries pour que les nuls en anglais puissent en profiter, n'ont pas la cote auprès des professionnels, qui voient leurs conditions de travail se dégrader depuis une dizaine d'années. Même si ces derniers s'accordent à dire que leurs activités ne sont pas comparables.
Les 'fansubbers' sont venus "compliquer une situation très délicate"
Là où de nombreux amateurs travaillent en "teams" (équipes) qui se partagent le travail pour sortir les sous-titres le plus rapidement possible, les professionnels sont seuls pour assumer jusqu'à 45 minutes de dialogues, soit quatre à cinq jours de travail. Or, "le fait que les séries et les 'fansubs' soient disponibles si vite après la diffusion américaine pousse les chaînes françaises à raccourcir sans cesse les délais pour les sous-titrages officiels", regrette Mona, qui travaille sur l'adaptation de "MAD", une série d'animation diffusée sur France 4. Des délais de plus en plus serrés et des conditions de travail qui se sont dégradées depuis une dizaine d'années. "Nous sommes souvent rémunérés à la minute, alors que le tarif était autrefois au nombre de sous-titres traduits…", regrette Lina, qui a effectué le sous-titrage DVD de la série "The Walking Dead". "Le tarif syndical pour les programmes télé est de 2,80 euros le sous-titre. Malheureusement, il est de moins en moins respecté", lâche Mona.
A qui la faute ? Aucun ne jette directement la pierre aux "fansubbers", même s'ils sont venus "compliquer une situation très délicate" déjà fragilisée par le téléchargement illégal, juge Mona. Pour Juliette, qui a travaillé sur "The Chicago Code", "l'apparition des chaînes du câble, des logiciels de sous-titrage, de l'ambiance morose généralisée des ventes de DVD" sont les coupables. En outre, la profusion de contenus gratuits sur le web et l'ignorance de certains clients font qu'ils "croient aujourd'hui pouvoir trouver des sous-titrages sur internet et ne pas avoir besoin de payer pour cela, raconte Lina. Ce qui tue la profession, ce sont les tarifs de plus en plus bas qui font que les meilleurs se détournent de certains travaux, qui se retrouvent confiés à des labos sans scrupules qui payent au lance-pierre des personnes sans qualifications. Sans se rendre compte que moins cher signifie de moins bonne qualité, dans le cas d'une traduction", souligne-t-elle.
"Cela reste du travail d'amateur"
Car l'obligation de rapidité des "fansubbers" se fait souvent au détriment de la qualité. Si certains sites soumettent leurs "teams" à des normes strictes et quasi-professionnelles, des "erreurs parfois grossières qui rendent la traduction risible" se glissent dans leurs sous-titres, fréquemment illisibles, relève Valentine, qui adapte telenovelas et webséries depuis cinq ans, et qui pense par ailleurs que "leur activité ne porte pas préjudice" à la sienne. "Moi-même, je profite parfois des 'fansubs'. Mais n'importe quel utilisateur sait que ceux que l'on trouvera sur les DVD des séries n'ont rien à voir, ajoute-t-elle. Cela reste du travail d'amateur, il y a souvent des imprécisions, des fautes qui dénotent d'un manque de culture générale, de culture de la langue et des pays, relève Lina.
Il faut néanmoins rappeler que les motivations des deux parties sont différentes. Quand un 'fansubber' traduit des dialogues parce qu'une série ne sera jamais diffusée en France ou pour permettre au spectateur nul en anglais de comprendre ce qui se passe, le professionnel doit, lui, à adapter une œuvre. "C'est d'ailleurs pour cela qu'un traducteur littéraire ou audiovisuel a le statut d'auteur et touche à ce titre des droits sur son travail", rappelle Valentine. Mais avec la généralisation du téléchargement illégal, la demande a explosé et il a fallu la satisfaire, vite. Et ne comptez pas sur les offres VOD des chaînes, qui se sont mises à proposer des épisodes dès le lendemain de leur diffusion aux Etats-Unis : les sous-titres sont rarement de bonne facture. "Demander à des traducteurs de travailler aussi vite ne peut que se ressentir dans la traduction finale", explique Juliette.
"Le 'fansubbing', c'est le symptôme d'une boulimie d'images"
Mais même les sous-titres professionnels, notamment sur DVD, sont parfois critiqués. Avec l'arrivée massive des 'fansubs', les labos spécialisés ont pris conscience de la demande… au détriment du spectateur. "Le seul effet du 'fansubbing' sur le marché, c'est l'accélération. Or accélération et qualité ne font pas bon ménage. Parce qu'ils pensent que ça va plus vite et par souci d'économie, certains diffuseurs font appel à des multinationales de la traduction qui massacrent les séries", regrette Sylvestre, traducteur pro qui a adapté "Battlestar Galactica". Ainsi, la présidente de l'Ataa (Association des traducteurs/adaptateurs de l'audiovisuel), Estelle Renard, "encourage vivement les personnes qui achètent des DVD dont le sous-titrage est mauvais à se plaindre auprès des distributeurs et à en demander le remboursement".
Pour Sylvestre, le "fansubbing", qui répond aux exigences des téléspectateurs pressés, est le "symptôme d'une boulimie d'images, ce mode de consommation régressif qui pousse à satisfaire un désir immédiatement, car toute attente est vécue comme insupportable". Mais si on n'a pas vu le dernier épisode de "Mad Men" pour cause d'anglais médiocre, impossible d'en parler le lendemain à la machine à café. En France, la saison 4 est sortie en DVD en décembre 2011, plus d'un an après la fin de sa diffusion aux Etats-Unis. Largement le temps de voir l'intrigue éventée, entre Twitter, Facebook, les sites spécialisés ou un ami trop bavard. Mais pour Sylvestre, le "fansub" "ça n'est pas offrir aux spectateurs une œuvre, c'est les priver de sa richesse, les empêcher de l'apprécier à sa juste valeur".
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