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L'article à lire pour comprendre la grève à Radio France

Ce conflit social, qui entre mercredi dans son 21e jour, est l'un des plus longs de l'histoire de la Maison ronde. Francetv info vous livre les clés pour comprendre cette grève qui perturbe les programmes de la radio publique.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Des salariés grévistes de Radio France réunis en assemblée générale, le 2 avril 2015, à la Maison de la Radio à Paris. (MAXPPP)

"En raison d'un appel à la grève lancé par plusieurs organisations syndicales portant sur la défense de l'emploi à Radio France, nous ne sommes pas en mesure de diffuser l'intégralité de nos programmes habituels. Nous vous prions de nous en excuser." Ce message tourne en boucle sur les stations de Radio France depuis maintenant 21 jours.

La grève, qui touche les antennes du service public depuis le 19 mars, et qui a encore été reconduite pour 24 heures mardi 7 avril, est l'une des plus longues de l'histoire de la Maison ronde - celle de mai 1968 avait duré plus d'un mois. Francetv info vous explique pourquoi ce conflit social s'est installé dans la durée. 

Déjà, c'est quoi Radio France ?

Radio France est une entreprise publique qui regroupe toutes les radios de service public : France Info, France Inter, France Culture, France Musique, Fip et Mouv', les 44 stations locales du réseau France Bleu, deux orchestres et deux chorales. Elle emploie 4 600 salariés équivalents temps plein. Le groupe, héritier des radios de l’Office de radiodiffusion télévision française (ORTF), a le statut de société anonyme depuis sa création en 1975, mais son capital est détenu à 100% par l'Etat. Son siège est installé dans le 16e arrondissement de Paris, dans un bâtiment baptisé la Maison de la radio, dont la forme lui vaut le surnom de Maison ronde.

La Maison de la radio, le siège de Radio France, dans le 16e arrondissement de Paris, le 4 avril 2015. (MAXPPP)
 

Pourquoi les salariés sont-ils en grève ?

La grève a débuté avant même que le patron de Radio France, Mathieu Gallet, ne présente ses mesures d'économie pour l'entreprise. Cinq syndicats, la CFDT, la CGT, FO, SUD et l'Unsa, sont à l'origine de cet appel à cesser le travail. Leurs revendications sont éclectiques. Cela va du maintien des deux orchestres, des effectifs et des programmes du réseau France Bleu à celui des services d'accueil, de sécurité et de nettoyage, comme l'explique France Culture.

Les grévistes redoutent aussi que la direction ne délaisse la vocation de service public de Radio France, en privilégiant, selon eux, des critères de rentabilité. "On ne nous parle que de formats et non de contenus, de marques et non d'identité d'antennes, d'argent et non de richesses", accusent-ils dans une tribune publiée dans Le Monde samedi.

Du côté des antennes locales de France Bleu, la colère monte aussi pour une autre raison : elles refusent la "syndication", prônée par la direction. C'est-à-dire la mutualisation des programmes dans un souci d'économies. Les grévistes craignent que cette mesure n'entraîne une perte de l'identité locale des stations. 

Qui fait grève exactement ? 

Environ 7% des salariés de Radio France sont en grève, selon la direction. Le mouvement est ainsi reconduit chaque jour à l'unanimité par un vote à main levée lors d'une assemblée générale du personnel, qui réunit entre 300 et 500 grévistes au siège de l'entreprise. La grève est surtout suivie par les techniciens, affirme l'AFP. 

Mais le délégué syndical SUD, Jean-Paul Quennesson, relativise ces calculs. "Les chiffres et la profession des grévistes sont difficiles à estimer en raison de problèmes de pointage. Il y a des personnes qui font des demi-journées de grève, d'autres qui sont en grève illimitée", assure-t-il au Monde.

Des salariés de Radio France votent la poursuite de la grève, le 7 avril 2015, en assemblée générale à la Maison de la radio à Paris. (MAXPPP)

Que veut faire le PDG exactement ?

Le gouvernement souhaite que Radio France, comme les autres entreprises publiques, réalise des économies. Il a donc demandé à son PDG d'économiser 50 millions d'euros d'ici à 2019. Charge à lui de trouver comment et où réaliser les coupes budgétaires nécessaires.

Nommé à la tête de Radio France il y a un peu plus d'un an par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), Mathieu Gallet a élaboré un "projet stratégique". Il l'a remis à sa ministre de tutelle, la ministre de la Culture et de la Communication, Fleur Pellerin. Il doit désormais le présenter aux salariés, lors d'un comité central d'entreprise (CCE) extraordinaire, mercredi. Les syndicats, qui en ont déjà pris connaissance samedi, ont dévoilé les principales mesures d'économie.

La masse salariale représentant 60% du budget du groupe public, le PDG envisage de la réduire, via 300 à 380 départs volontaires, en priorité chez les seniors : 18 à 24 millions d'euros d'économies. La suppression d'un des deux orchestres, un temps envisagée, est abandonnée. Mais leur taille sera réduite. Le plan prévoit aussi l'arrêt de la diffusion en ondes courtes et moyennes : 16 millions d'euros d'économies.

France Musique est la radio la plus touchée par ces économies. La chaîne musicale sera réformée, recentrée sur "le grand répertoire", avec moins d'émissions, et les thématiques pointues basculeraient sur le web, avec la création notamment d'une "webradio jazz". Un scénario alternatif de fusion de Fip et France Musique semble, lui, écarté.

La situation financière du groupe est si catastrophique que ça ? 

L'argent qui finance Radio France provient à plus de 90% de la redevance audiovisuelle. Mais cette ressource financière est passée de 610 à 601 millions d'euros entre 2012 et 2015. Or, le budget global de Radio France était d'environ 660 millions d'euros en 2014. En 2015, pour la première fois de son histoire, le conseil d'administration du groupe a adopté un budget déficitaire. A la fin de l'année, il devrait manquer 21,3 millions d'euros dans les caisses, rappelle Le Monde.

S'ajoute à cela la facture du chantier de rénovation de la Maison de la radio, qui ne cesse de grimper. Son coût était estimé à 172 millions d'euros en 2004, lors d'une première évaluation. Dix ans plus tard, il a déjà coûté 584 millions d'euros. Et il n'est toujours par terminé. Débutés en 2009, les travaux doivent s'achever, au plus tôt, en 2018, pointe BFMTV.

Le PDG a demandé une rallonge d'urgence pour payer la fin du chantier, au moment où Radio France négocie avec l'Etat son nouveau contrat d'objectifs et de moyens, le COM, qui fixera les ressources du groupe pour plusieurs années, et qui devrait être bouclé pour la mi-avril. "La trésorerie est à sec, si rien n'est fait, on ne passera pas l'été", a expliqué Mathieu Gallet sur i-Télé. La ministre de la Culture s'est engagée à lui donner les fonds nécessaires. Mais pendant ce temps, la grève coûte un million d'euros par semaine au groupe public, affirme l'AFP.

Des salariés grévistes de Radio France manifestent près de Matignon à Paris, le 2 avril 2015. (CITIZENSIDE / AURÉLIEN MORISSARD / AFP)
 

Il n'y aurait pas aussi un problème avec le PDG ?

Alors que Radio France était déjà enlisée dans ce conflit social, Le Canard enchaîné a fait des révélations sur les dépenses du jeune et nouveau patron de 38 ans. L'hebdomadaire satirique affirme que, depuis son arrivée il y a un peu plus d'un an, Mathieu Gallet a dépensé plus de 100 000 euros pour rénover son bureau et a engagé un spécialiste en communication, Denis Pingaud, pour 90 000 euros par an, le tout sans appel d'offres. 

Et Le Canard a débusqué un précédent. Lorsque Mathieu Gallet en était le patron, de 2011 à 2014, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) aurait déboursé plus d'un million d'euros en frais de conseils et 125 000 euros pour rénover les deux bureaux de son PDG .

Mathieu Gallet a dénoncé des "allégations diffamatoires". Il estime être victime d'une "cabale organisée" et faire les frais d'une "sorte de réseau de l'ombre administratif, politique". Mais une partie des syndicalistes et des salariés de Radio France jugent que leur patron est désormais "discrédité". Vendredi, en assemblée générale, ils ont voté une motion de défiance à son encontre et réclamé sa démission. Le soir même, sur i-Télé, le PDG a exclu de quitter son poste et assuré qu'il irait "jusqu'au bout".

Le PDG de Radio France, Mathieu Gallet, le 2 avril 2015, à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)
  

Si c'est le service public, pourquoi l'Etat ne fait rien ?

Pour sortir de l'impasse, les syndicats en appellent depuis plusieurs jours au gouvernement et réclament un médiateur. Sans succès, pour l'instant. La ministre de tutelle, Fleur Pellerin, refuse de jouer les arbitres. "Je n'ai pas à intervenir dans la gestion du dialogue social", martèle-t-elle.  Elle se contente donc d'exposer sa "vision du service public radiophonique" et ses "lignes rouges". Elle somme également Mathieu Gallet de renouer le dialogue social. Il a "toutes les cartes en main" pour sortir du conflit, assure-t-elle.

Son prédécesseur, Frédéric Mitterrand, qui a apporté son soutien à Mathieu Gallet, ancien membre de son cabinet, décrypte la situation. L'issue du conflit "se joue dans le bureau de Fleur Pellerin et au CSA. L'Etat est le principal actionnaire mais les nominations, c'est le CSA, explique-t-il sur i-Télé. Le CSA l'a nommé à l'unanimité, lui a fait confiance et ne l'a pas lâché. C'est eux qui suivent ce dossier." La ministre peut faire pression sur le patron de Radio France pour orienter ses décisions. Mais il ne peut être démis que par le CSA qui l'a nommé. 

Pourquoi cette grève dure si longtemps ?

L'appel à la grève a, dès le début, été lancé par l'intersyndicale pour une durée illimitée. Et les syndicats se sont organisés pour résister à un long bras de fer avec la direction. Au début du mouvement, ils ont déposé quatre préavis différents. Chacun sur un point spécifique. Un salarié peut ainsi cesser le travail un jour sur une revendication, puis reprendre le travail avant de se remettre en grève, afin de ne pas perdre trop de journées de salaire.

Un petit nombre de grévistes qui se relaient suffit ainsi à paralyser les antennes durablement, explique Télérama. La solidarité entre les salariés permet aussi de tenir : une caisse de grève a déjà recueilli plus de 61 000 euros en seize jours.

Un salarié gréviste de Radio France collecte de l'argent dans la caisse de grève, le 3 avril 2015 à la Maison de la radio à Paris, lors d'une assemblée générale. (JACQUES DEMARTHON / AFP)
 

Ce conflit social ne finira donc jamais ?

"La perspective, douloureuse, d'une nouvelle semaine de 'silence radio' se profile", prévient la Société des journalistes (SDJ) de Radio France, dans une tribune publiée sur le site de L'Obs, qui réclame toujours "un projet, pas une thérapie de choc", "de nature à déstabiliser l'entreprise".

"Nous sommes arrivés à un tournant à cause du plan de suppressions d'emplois", a renchéri Lionel Thompson pour la CGT, lors d'une nouvelle assemblée générale, mardi. "Nous ne pouvons accepter ce plan", a insisté Philippe Ballet, de l'Unsa. "Pour sortir de la grève, la médiation est un préalable, a déclaré Jean-Paul Quennesson, de SUD. Il faut aussi de réelles avancées et connaître le montant de la dotation supplémentaire." Statu quo donc.

Pour le représentant de la CFDT, Renaud Dalmar, "le blocage semble définitif à la direction" et "nous ne pourrons aboutir qu'avec la nomination d'un médiateur". La réunion de samedi s'est d'ailleurs déroulée sans le PDG Mathieu Gallet, même s'il a été tenu étroitement informé des négociations, selon la direction. "Il n'y a pas d'espoir de sortir de la grève tout de suite, le malaise est profond", a commenté un représentant syndical.

J'ai eu la flemme de lire tout l'article, vous pouvez me faire un résumé ;) ?

Depuis 21 jours, les salariés de Radio France font grève contre les mesures d'économie que doit annoncer leur patron, mercredi, pour redresser les finances de l'entreprise publique. Ils redoutent notamment un important plan de réduction des effectifs. Le PDG du groupe, Mathieu Gallet, est pris en étau entre les exigences de son unique actionnaire, l'Etat, et les syndicats qui refusent son "plan stratégique". Une position d'autant plus intenable qu'il est affaibli par les révélations embarrassantes sur des dépenses liées à la rénovation de son bureau. Entre la direction et les salariés, les positions semblent irréconciliables. La grève pourrait encore durer jusqu'à la fin de la semaine.

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