Un prof dénonce "l'islamisme" et "l'antisémitisme" au lycée musulman Averroès de Lille
L'établissement a déposé plainte pour diffamation contre l'enseignant, après sa tribune publiée par "Libération". Le professeur a d'ores et déjà démissionné.
A en croire les différents classements des médias, le lycée Averroès a compté parmi les meilleurs de France. Mais la belle réputation de ce lycée privé musulman, ouvert à Lille (Nord) en 2003, risque d'être entachée par la démission à grand bruit d'un de ses tout nouveaux professeurs, arrivé à la rentrée dernière. Soufiane Zitouni, professeur de philosophie, dénonce, dans une tribune publiée vendredi 6 février dans Libération, un "antisémitisme quasi 'culturel' de nombre d'élèves" et le "double jeu" de l'établissement "avec notre République laïque".
Soufiane Zitouni se présente comme "citoyen français de culture musulmane". Le 14 janvier, une semaine après l'attaque mortelle perpétrée contre Charlie Hebdo, il écrit, déjà dans Libération : "Aujourd'hui, le prophète aussi est Charlie". Dans ce texte, il se "demande si beaucoup de musulmans n'ont pas un énorme problème avec l'humour" et prend la défense des caricaturistes de Charlie Hebdo, en concluant : "Le prophète de l’islam, Mohamed, pleure avec nous toutes les victimes (...) et demande à Allah le pardon pour les nombreuses brebis égarées se réclamant de sa religion alors qu’elles n’ont toujours pas compris l’essentiel de son message".
Un établissement lié aux Frères musulmans ?
Après la publication de ce texte, Soufiane Zitouni affirme avoir vécu des "rebonds, dont certains très négatifs" qui l'ont poussé à démissionner du lycée Averroès. Averti qu'il risquait de se "faire des ennemis", le prof de philo rencontre surtout des contradicteurs. A commencer par le professeur d'éthique musulmane, Sofiane Meziani, qui lui répond dans une tribune publiée par Le Plus de l'Obs. Sofiane Meziani y soupçonne son collègue d'avoir laissé l'émotion l'emporter sur sa raison et d'emprunter des raccourcis intellectuels. Il termine en affirmant que "Charlie Hebdo concourt chaque jour à la banalisation des actes racistes" et que l'hebdomadaire "cultive l'abject".
"Pas étonnant alors que certains de mes élèves m’aient affirmé en cours que les caricaturistes de Charlie Hebdo assassinés l’avaient bien cherché, voire mérité…", réplique Sofiane Zitouni, vendredi. Des élèves qui ont pourtant participé à la minute de silence organisée par le lycée en hommage aux victimes des attaques.
"Je n'ai jamais entendu autant de propos antisémites"
Dans cette seconde tribune, Sofiane Zitouni décrit aussi un lycée "lié à l’Union des organisations islamiques de France (UOIF), réputée proche de l’idéologie des Frères musulmans". Le CDI (centre de documentation) de l'établissement compte des ouvrages des frères Tariq et Hani Ramadan, mais ne proposerait, selon le prof, "ni livres du philosophe andalou [Averroès, qui a donné son nom au lycée], ni livres sur lui". Il considère le lycée comme un "territoire 'musulman' sous contrat avec l'Etat" et raconte que "certains collègues musulmans masculins se sont permis de faire des remarques sur des tenues vestimentaires de collègues féminines non musulmanes".
Mais ce sont ses échanges avec les élèves qui semblent avoir le plus choqué l'enseignant. "En plus de vingt années de carrière en milieu scolaire, je n’ai jamais entendu autant de propos antisémites de la bouche d’élèves dans un lycée", écrit-il. Il égrène ensuite les thèmes et mots tabous ("évolution darwinienne", "sexe"), les étudiants qui défendent Dieudonné, des problèmes de mixité en classe…
Le lycée porte plainte pour diffamation
Sofiane Zitouni entend dénoncer le "double jeu" du lycée Averroès, qui voudrait selon lui "d’un côté montrer patte blanche dans les médias pour bénéficier d’une bonne image dans l’opinion publique (...) et d’un autre côté, diffuser de manière sournoise et pernicieuse une conception de l’islam qui n’est autre que l’islamisme". Pour la direction du lycée, c'est l'accusation de trop. "La direction de l'établissement et la communauté éducative de l'établissement s'inscrivent, avec force, en faux contre les allégations mensongères et calomnieuses rapportées dans cet article", précise le communiqué. L'établissement a décidé de porter plainte pour diffamation contre l'enseignant démissionnaire.
Dans le quotidien local, La Voix du Nord, le directeur du lycée, El Hassane Oufker, assure que "les professeurs sont en larmes" après "les mots très durs" de Sofiane Zitouni. "Personne ne se reconnaît dans ce qu’il écrit… Les enseignants se sentent salis (...) Lui qui parlait de caricature, pour le coup, c’en est une. Il cherchait un prétexte pour partir", déplore l'adjoint Eric Dufour. Les cours ont été suspendus vendredi en fin de matinée, précise le journal.
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