Mal-logement : la faillite des dispositifs destinés aux plus précaires
A l'occasion de la publication, mardi, de son 20e rapport sur le mal-logement, la Fondation Abbé Pierre s'est penchée sur les insuffisances du 115, les ratés de la loi Dalo et les problÚmes liés aux attributions de HLM.
Tous les voyants sont au rouge. Avec la montĂ©e de la prĂ©caritĂ©, le 115 ne parvient Ă fournir que la moitiĂ© des lits nĂ©cessaires pour l'hĂ©bergement d'urgence. Le Droit au logement opposable (Dalo) porte bien mal son nom. Et la file d'attente pour obtenir un HLM s'accroĂźt sans que le parc de logements sociaux n'augmente dans les mĂȘmes proportions.
Une fois de plus, la Fondation Abbé Pierre, qui publie mardi 3 février son 20e rapport annuel sur l'état du mal-logement en France, tire la sonnette d'alarme. Avec un coup de projecteur, cette année, sur les dysfonctionnements des dispositifs d'aide aux plus fragiles. Francetv info revient sur trois d'entre eux.
Les insuffisances du 115
Le constat. Le 115 ne rĂ©pond plus. Ou plus assez. Premier obstacle : "Il y a de moins en moins de cabines tĂ©lĂ©phoniques en villes. Et, quand on est Ă la rue, c'est difficile d'avoir un tĂ©lĂ©phone portable et de trouver oĂč le recharger rĂ©guliĂšrement", confie un sans domicile fixe Ă la Fondation. Et mĂȘme quand la personne dispose d'un tĂ©lĂ©phone, le plus dur reste Ă faire : "Dans certains dĂ©partements, il faut attendre des heures avant d'avoir quelqu'un au bout du fil. (...) Certains ne trouvent une solution qu'Ă 23 heures", poursuit ce SDF.
Car le 115 n'arrive pas à fournir les lits demandés. Selon le baromÚtre de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars), "pour l'hiver 2013-2014, sur plus de 355 000 demandes d'hébergement au 115", seules "138 000 places ont été attribuées dans 37 départements".  Moins d'une personne sur deux, donc, obtient une réponse positive quand elle appelle le numéro d'urgence.
Quelles sont les consĂ©quences d'un tel engorgement ? Chaque centre d'hĂ©bergement se dĂ©brouille. Certains, comme dans le Bas-Rhin, imposent la rĂšgle "trois nuits dehors et quatre dedans", histoire de faire le tri entre des populations toutes prioritaires. Dans le RhĂŽne, la prioritĂ© d'hĂ©bergement en sortie d'hiver est passĂ©e, entre les printemps 2013 et 2014, des familles avec enfants de moins de 10 ans aux familles avec enfant de moins de 1 an. Ailleurs, selon un tĂ©moignage recueilli par la Fondation AbbĂ© Pierre, "la prioritĂ©, est donnĂ©e aux femmes et aux personnes handicapĂ©es. C'est de plus en plus compliquĂ© d'accĂ©der aux centres d'hĂ©bergement quand on est un homme seul, sans handicap". Â
L'amĂ©lioration proposĂ©e. "La situation d'urgence doit ĂȘtre rĂ©servĂ©e aux urgences. Aux victimes d'incendie, aux femmes battues ...", dĂ©taille Manuel Domergue, le directeur des Ă©tudes de la Fondation AbbĂ© Pierre, joint par francetv info. La Fondation prĂŽne un changement radical de politique. Il faut, estime-t-elle, passer au "logement d'abord", en en fournissant un au plus vite plutĂŽt que cantonner les gens dans des hĂ©bergements d'urgence. Or, "le nombre de places d'hĂ©bergement a augmentĂ©, mais pas celui des logements", dĂ©plore la Fondation.
Les limites de la loi Dalo
Le constat. InstaurĂ©e en 2007, la loi Dalo "permet aux personnes mal logĂ©es, ou ayant attendu en vain un logement social pendant un dĂ©lai anormalement long, de faire valoir leur droit Ă un logement dĂ©cent ou Ă un hĂ©bergement (selon les cas) si elles ne peuvent lâobtenir par leurs propres moyens", selon le ministĂšre du Logement.Â
Mais cette rĂšgle reste largement thĂ©orique. "Sur plus de 459 000 recours dĂ©posĂ©s auprĂšs des commissions de mĂ©diation entre 2008 et fin 2014, prĂšs de 147 000 ont Ă©tĂ© reconnus prioritaires et urgents, mais seulement 75 000 ont donnĂ© lieu Ă un relogement dans le cadre de la loi Dalo", note la Fondation AbbĂ© Pierre.Â
Manuel Domergue souligne que "tout une gamme de la population n'y a plus recours. Elle va dans des abris de fortune, des campings, des bidonvilles, ou réussit à se faire héberger par des tiers." Entre 70 000 et 120 000 personnes vivraient ainsi au camping à l'année, selon des estimations citées par la Fondation.
Et quand le logement est enfin proposĂ©, le demandeur doit se dĂ©cider trĂšs vite, alors qu'il se trouve parfois en situation de stress. "Les personnes hĂ©bergĂ©es en structure (urgence, stabilisation ou insertion) peuvent ĂȘtre amenĂ©es Ă se prononcer sur des propositions de logement en moins de 48 heures, et parfois sans l'avoir visitĂ©", remarque la Fondation.Â
Et si le postulant refuse, comme ce salarié sans permis ni véhicule, qui aurait dû trop s'éloigner de son travail, ou ces femmes craignant un quartier jugé trop violent pour leurs enfants ? Gare aux conséquences : "70% des personnes ayant refusé la proposition de relogement qui leur était faite dans le cadre du Dalo, ne savaient pas qu'elles n'auraient droit qu'à une seule proposition, précise l'étude de l'Observatoire social de Lyon. Et 20% déclaraient regretter d'avoir refusé." Manque d'offres au départ, manque d'informations à l'arrivée, tout le parcours Dalo est à revoir.
L'amĂ©lioration proposĂ©e. La Fondation AbbĂ© Pierre souhaite que les candidats Dalo soient mieux accompagnĂ©s. "De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les gens doivent comprendre ce qu'on leur propose. Ils doivent disposer d'un accompagnement social. Et ĂȘtre clairement avertis des consĂ©quences d'un refus", juge Manuel Domergue.
L'accÚs difficile aux HLM
Le constat. En 2006, 1,2 million de mĂ©nages attendaient une rĂ©ponse Ă leur demande de logement social, selon l'Insee. En 2014, on en comptait 1,8 million. Quel espoir ont-ils de voir leur vĆu exaucĂ© ? Entre juillet 2013 et juillet 2014, Ă peine 467 000 logements sociaux ont Ă©tĂ© attribuĂ©s.
Comment gĂ©rer cette pĂ©nurie ? "Les agents sur le terrain choisissent, estime Manuel Domergue. Ils effectuent parfois un tri par le haut des mĂ©nages qui peuvent s'en sortir. Ce qui amĂšne Ă refuser les plus pauvres dans les logements sociaux." Dans l'HĂ©rault, par exemple, les mĂ©nages dont le chef de famille est en CDI, CDD ou interim sont ainsi surreprĂ©sentĂ©s (47%) dans les attributions de HLM, alors qu'ils reprĂ©sentent 37% des demandeurs. A l'inverse, ceux dont le chef de famille est au chĂŽmage ou Ă la retraite sont sous-reprĂ©sentĂ©s (22% d'attributions contre 28% des demandeurs). Les critĂšres de sĂ©lection ne sont pas tous basĂ©s sur le revenu. Il existe aussi, selon la Fondation, "une sorte d'attribution au mĂ©rite des logements sociaux. Le bon candidat, c'est celui qui n'a pas commis d'incivilitĂ©s". Â
L'amĂ©lioration proposĂ©e.  La Fondation relĂšve, ici ou lĂ , des pratiques qu'elle juge plus satisfaisantes. Des endroits oĂč l'on accueille, selon Manuel Domergue, "les gens tels qu'ils sont, avec leurs dĂ©fauts et parfois leurs addictions". Autre mĂ©thode prĂŽnĂ©e, celles oĂč le demandeur est acteur de son parcours. A Paris ou dans l'IsĂšre, il est possible ainsi de postuler Ă Â des logements sociaux prĂ©cis, prĂšs de son travail ou de l'Ă©cole de ses enfants. "En IsĂšre, certains logements sociaux qui ont Ă©tĂ© refusĂ©s par des demandeurs sont ainsi proposĂ©s aux autres demandeurs via des sites grand public comme Leboncoin.fr", prĂ©cise Manuel Domergue.
Le directeur des Ă©tudes de la Fondation AbbĂ© Pierre dĂ©nonce, de façon gĂ©nĂ©rale, les "rĂšgles floues" qui prĂ©sident aux attributions, oĂč l'on cherche davantage le "bon candidat" que celui qui en a le plus besoin. Pour lutter contre ce phĂ©nomĂšne, la Fondation prĂ©conise le "scoring" : le demandeur accumulerait un certain nombre de points de prioritĂ© (nombre d'enfants, handicap...) pour accĂ©der au logement, Ă©liminant les critĂšres informels. Car l'idĂ©e fondamentale de l'association caritative reste que "le logement ne doit pas ĂȘtre un Graal rĂ©servĂ© Ă ceux qui ont fait leurs preuves."
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