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Les plans de rigueur lancés dans toute l'Europe sont-ils les prémices d'une politique généralisée de déflation ?

Sur cette crainte, la charge la plus violente a été lancée par Nicolas Dupont-Aignan qui a comparé la politique du gouvernement Fillon à celle de Laval dans les années 30.Les plans de rigueur annoncés en Europe font suite aux pressions des marchés inquiets des risques provoqués par l'envolée des dettes publiques.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
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Siège de la Banque Centrale Européenne à Francfort-sur-le-Main en Allemagne. (AFP - J. Macdougall)

Sur cette crainte, la charge la plus violente a été lancée par Nicolas Dupont-Aignan qui a comparé la politique du gouvernement Fillon à celle de Laval dans les années 30.

Les plans de rigueur annoncés en Europe font suite aux pressions des marchés inquiets des risques provoqués par l'envolée des dettes publiques.

La déflation

En économie, une déflation est une baisse de l'indice des prix observée sur une période longue. La déflation est considérée par les économistes keynésiens comme une calamité, car synonyme de ralentissement ou de baisse de la demande réduisant l'activité économique.

Les keynésiens estiment que la déflation incite à différer sa consommation en thésaurisant. En se généralisant, ce phénomène entraîne une baisse de la demande, de la production mais aussi des recettes fiscales…donc de la redistribution…et on rentre dans une spirale déflationniste.

Au cours du XXe siècle, les périodes de déflation ont été exceptionnelles.

La principale période de déflation générale dans l"histoire est celle de la Grande dépression des années 1930 après l'effondrement des actifs boursiers de 1929. Entre décembre 1929 et mars 1933, les prix ont baissé de 27% aux Etats-Unis. Ce net recul accompagnait un effondrement de la demande et de l'activité. L'emploi baissa de 16% en trois ans et l'ensemble des salaires versés subit un recul de plus de 40%, créant dans le pays une situation sociale dramatique. Cette politique de baisse générale des prix (et revenus) fût combattu par les économistes partisans de plans de relance (pronés par Keynes). Le New Deal de Roosevelt fut un moyen de lutter contre cette déflation en défendant une politique de relance, par l'Etat notamment.

En France, c"est Pierre Laval qui défendit une politique de déflation. Politique qui fut rejeté par les électeurs qui choisirent en 36 la politique de relance défendue par le Front Populaire.

L'expérience des politiques économiques montre qu'il est de fait très difficile de sortir d'une période de déflation. Le Japon est englué dans la déflation depuis le krach boursier et immobilier qu'il a connu en 1990. Aujourd'hui encore, le Japon affiche ainsi une baisse des prix continue depuis 14 mois (ce qui ne semble pas empêcher le Japon, dont la structure économique est très différente de la majeure partie des pays européens, de connaître un rebond de croissance grâce notamment au dynamisme de l"économie chinoise).

(Voir aussi l'analyse de Patrick Artus sur la déflation)

La rigueur

Le prix Nobel d"économie Joseph Stiglitz s"est montré dans le Monde très critique sur les plans européens: «L"Europe veut un plan coordonné d'austérité. Si elle continue dans cette voie-là, elle court au désastre. Nous savons, depuis la Grande Dépression des années 1930, que ce n'est pas ce qu'il faut faire. L'Europe a besoin de solidarité, d'empathie. Pas d'une austérité qui va faire bondir le chômage et amener la dépression. Aux Etats-Unis, quand un Etat est en difficulté, tous les autres se sentent concernés. Nous sommes tous dans le même bateau. C'est d'abord et avant tout le manque de solidarité qui menace la viabilité du projet européen. Il faut soutenir l'économie en investissant et non en la bridant par des plans de rigueur ».

Position assez proche pour l'économiste, Eric Heyer (OFCE): "Il est nécessaire de stopper la dégradation des finances publiques, mais sans pour autant stopper la croissance. Il y a apparemment un malentendu sur l'état de la conjoncture. Les gouvernements ont été agréablement surpris par la sortie rapide de récession en 2009. Mais les conditions d'une reprise durable ne sont pas réunies pour se lancer dans des stratégies de sortie de crise", affirmait-il fin mai dans les Echos.

Une position que ne partage pas le responsable de l"exécutif européen, Herman Van Rompuy : « accélérer la consolidation budgétaire n"affectera la croissance que marginalement. Je suis même convaincu que des déficits plus bas vont restaurer la confiance des consommateurs et stimuler la croissance ». Quant à Jean-Claude Trichet il précise le vocabulaire: "J'appelle plans de retour progressif à la sagesse budgétaire, ce que vous appelez plans d'austérité".

Partisan de la réduction des déficits, Jacques Attali se montre très convainquant dans cette lutte contre les déficits: "Jusque maintenant, la baisse des taux d'intérêt mondiaux a permis de le cacher en stabilisant le service de la dette autour de 2,5% du PIB. Mais cela n'est qu'une illusion: quand ces taux remonteront (car, évidemment, ils remonteront un jour, à moins d'enlever aux Banques centrales leur unique moyen d'action sur l'inflation et les taux de change), le piège du service de la dette se refermera sur la France comme la corde autour du cou d'un pendu", écrivait il sur Slate.

L'économiste ne se prononce cependant sur les moyens de réduire les niveaux d'endettement: "Trop de pays vivent au-dessus de leurs moyens parce qu"ils n"osent pas augmenter les impôts. Dans une démocratie, il est plus facile de diminuer les impôts que de les augmenter, tout comme il est plus facile d"augmenter les dépenses que de les réduire. On se retrouve dans une situation où les dépenses augmentent plus vite que les impôts. En quelques années, l"Occident a connu une augmentation spectaculaire de l"endettement. On ne connaît pas de précédent à un mouvement d"une telle ampleur", indiquait-il dans un journal suisse.

On assiste effectivement depuis quelques semaines à une sorte de course entre les divers états européens pour afficher des plans d" »économies » ou de « rigueur » plus ou moins rigoureux. Plans qui n"ont même pas réussi à rassurer les marchés qui après avoir spéculé sur l"ampleur des déficits spéculent aujourd"hui sur les risques liés à la croissance.

Mais la charge la plus critique contre cette politique vient de l"économiste Paul Jordon qui s"étonne du retournement des politiques qui il y a quelques mois encore défendaient les plans de relance (il y a même un ministère en France) et aujourd"hui tiennent un discours inverse en prônant l"austérité : « mettre non pas 2,5% du PIB européen en carafe (la Grèce) mais quelque chose comme un bon tiers, si l"on fait déjà la liste des pays ayant annoncé de grands freinages (Portugal, Espagne, Italie, Irlande, France, bientôt Royaume-Uni), promet des effets de ralentissement d"une tout autre ampleur. On en a longtemps appelé à grands cris à la coordination des politiques européennes : la voilà enfin réalisée – mais pour le pire. Pas besoin d"être prophète pour annoncer que ce ralentissement organisé, d"une extension et d"une intensité inouïes dans l"histoire européenne, va avoir des conséquences récessionnistes comme on n"en a jamais vues ».

En conclusion, Frédéric Lordon se demande ironiquement si les responsables européens ne font pas tout pour accréditer les thèses de Naomie Klein dans « La stratégie du Choc » : « une occasion se présente de pousser plus loin la déréglementation, il faut en profiter », écrit-il. Mais là on quitte le terrain économique pour le débat politique…

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