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Les conférences : un marché à prix d’or

Le marché de la conférence a explosé : 10.000, 20.000, 50.000, voire 100.000 euros la prestation. De nombreux hommes politiques, intellectuels, philosophes ou anciens sportifs n’hésitent plus à vendre leurs services aux entreprises. Ils sont utilisés pour remotiver des managers déprimés par la crise.
Article rédigé par Jacques Monin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (Les conférences : un marché très rentable pour les politiciens, les philosophes, les sportifs... © Radio France)

Il est bien fini le temps où le métier de conférencier était réservé aux seuls universitaires. Aujourd’hui, les stars, sportives ou issues du showbiz, sont courtisées par des patrons qui cherchent des personnalités incarnant la réussite, pour motiver leurs salariés.

Ce n’est pas un hasard si les conférenciers les plus demandés sont ainsi des sportifs, comme Daniel Costantini, l’ex-brillant patron de l’équipe de France de handball. Des chefs étoilés renommés, comme Thierry Marx. Ou Virginie Guyot : la première femme leader de la patrouille de France.

L’ancien champion du monde et champion olympique de ski de bosses, Edgar Grospiron, raconte comment il a créé sa propre agence de conférences. "J’étais un petit branleur un peu prétentieux, souvent arrogant mais qui a dit qu’il allait gagner, et qui a gagné. Et dans le monde de l’entreprise, être au rendez-vous de la promesse qu’on fait au client, c’est un vrai atout. "

De grosses sociétés comme Orange, des laboratoires pharmaceutiques, des enseignes de la grande distribution, Auchan, Carrefour, Leclerc, ont recours à ses services, avec des tarifs qui vont de 5.500 euros à 9.000 euros. Mais cela peut monter beaucoup plus haut. Arsène Wenger, l’entraineur d’Arsenal, a touché jusqu’à 70.000 euros pour une prestation, vol en jet privé Londres-Paris compris !

Des philosophes au secours des entreprises

Autre tendance lourde de ce nouveau marché : les philosophes. Des personnalités comme Michel Serres, Raphael Enthoven, Luc Ferry, Michel Onfray… ne délivrent plus un message de réussite, mais donnent des clés à des managers souvent déprimés dans un monde en crise et où le travail n’est plus une fin en soi.

"Cela a toujours été un métier difficile que de faire travailler les autres, mais c’est encore plus difficile aujourd’hui, " analyse le philosophe André Comte-Sponville. "Parce que ce qu’on cherche aujourd’hui, ce n’est pas le travail. C’est le bonheur !. "

Avec des prestations comprises entre 5.000 et 10.000 euros, le philosophe est ainsi devenu un rouage indispensable de l’économie capitaliste. C’est lui qui va expliquer aux managers comment valoriser les salariés, les responsabiliser, leur donner l’impression d’être d’utiles, écoutés. Autant d’outils nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise.

Nouvelles agences de mannequins

Comme pour tout marché, il y a des boutiques, et des vitrines ! Pour choisir son conférencier, il suffit de surfer sur Internet. Plusieurs sites proposent des profils de tous ordres. Ce sont les nouvelles agences de mannequins pour entreprises.

On y trouve des politiques, des philosophes, des stars, mais aussi des journalistes comme Jean François Khan, André Julliard, Jean-Marc Sylvestre, Jérôme Bonaldi, Bernard de la Villardière, Natacha Polony, et même Martin Wolf du Financial Times , qui depuis peu monnaye ses prestations.

Ce qu’on ne publie pas revanche, ce sont leurs tarifs. Les barèmes de ces agences vont de 1.000 euros pour un universitaire à 50.000 euros pour un ancien Premier ministre. Mais le conférencier le plus cher en France, c’est incontestablement l’ancien président de la République Nicolas Sarkozy qui perçoit entre 80 et 100.000 euros pour une prestation. Il marche sur les traces de Tony Blair, l’ex Premier ministre britannique qui émarge autour de 230.000 euros.

Conflit d’intérêt

Mais ne nous y trompons pas. On n’assiste pas à une conférence d’un ex-chef d’Etat pour son expertise. Le contenu des exposés de Tony Blair n’a rien d’éblouissant. Et pour ce qui concerne Nicolas Sarkozy, "C’est clairement un investissement, " explique Christopher Dembick , économiste chez Saxo bank . "On cherche à avoir accès à un carnet d’adresses, pour éventuellement s’il revient aux affaires, faire du lobbying et obtenir un retour sur investissement. "

Et c’est là que le bât blesse. Car si Tony Blair a quitté le pouvoir et n’a pas l’intention d’y revenir, ce n’est pas le cas de Nicolas Sarkozy. "S’il redevient président de la République, pendant plusieurs années, sa source principale de revenus aura été la banque Goldman Sachs, le Qatar, etc, " commente le politologue Thomas Guénolé. "Si demain il a des décisions à prendre sur la régulation bancaire, la diplomatie au Moyen-Orient. Cela posera un problème. "

La presse écrite contaminée

Le syndrome des conférences frappe aussi la presse écrite, parce qu’elle aussi est en crise. A la recherche de nouvelles sources de financement, des quotidiens, comme les Echos, la Tribune, Libération ou le Monde , mais aussi des hebdomadaires se sont donc lancés sur ce créneau porteur. "Une ville, en général, on vous donne une salle, des moyens techniques, " explique Bruno Fuchs, le président d’Image et Stratégie. "Et quand c’est un média qui gère l’événement, les intervenants viennent en général gratuitement. Avec trois ou quatre sponsors, cela fait donc des revenus intéressants. "

Sauf que cela aussi pose problème. L’Obs organise à la fin du mois les journées de Moscou sur le thème "Russie-Europe, un destin commun ?" Certes, la question d’un retour de la Russie dans le jeu diplomatique au Proche-Orient se pose. Mais après l’annexion de la Crimée et l’affaire des Mistral, faut-il inviter une pléiade de personnalités à la mairie de Moscou avec l’aval du Kremlin ? Au risque d’entacher l’image du journal ? Cela a provoqué un débat dans la rédaction. Et ce ne devrait pas être le dernier…

Les conférences : un marché à prix d’or. L'enquête de Jacques Monin
 

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