: Vidéo Au large des côtes françaises, les navires-usines font polémique
A Saint Malo, le chalutier Joseph Roty II vient de rentrer définitivement au port après avoir achevé sa dernière campagne de pêche. S’il est sous bonne escorte ce jour-là, c’est que son armateur lui a trouvé un remplaçant pour le moins encombrant, qui a déclenché la polémique: le plus grand navire du monde, un bateau de 145 mètres capable de pêcher le merlan et de le transformer en pâte de surimi directement à bord. Le gigantisme de ces bateaux-usines agace les pêcheurs bretons comme Gwen Pennarun, président de l'association des ligneurs de la pointe de Bretagne: "On parle de bateaux qui pêchent soit pour faire de la farine pour engraisser du poisson d'élevage, déjà c'est une aberration. Soit, comme celui qui va être lancé ici, pour faire du surimi".
"C'est de la surpêche"
D’autant qu’une fois au large, à l’abri des regards, ces méga chalutiers ont parfois des pratiques controversées. L’association de protection des océans Sea Shepherd a filmé des images: on y voit des poissons morts, rejetés par milliers en pleine mer dans le golfe de Gascogne parce que trop petits ou non conformes à l’espèce visée. Sur les réseaux sociaux, des images postées par des pêcheurs à bord laissent entrevoir l’ampleur des captures.
Par téléphone nous avons joint un ancien marin d’un de ces navires usines… Il confirme avoir pratiqué de la surpêche: "C'est vraiment le métier d'usine comme à terre. C'est de la surpêche quand même. Nous on est allé sur un coup comme ça de maquereaux... On est obligé de rejeter tous les maquereaux morts à l'eau. On est dégoûté, personne n'aime voir ça", confie-t-il.
"On est obligé de rejeter tous les maquereaux morts à l'eau. On est dégoûté, personne n'aime voir ça"
Ancien marin d'un navire-usineà l'Œil du 20 heures
De quoi donner le tournis aux pêcheurs artisans de Port-en-Bessin, en Normandie. De retour au port après trois jours de mer, Jerôme Vicquelin et Loïc Bihel ne rapportent que 7 tonnes de poisson. Ce qui les inquiète, c’est que le poisson pêché par les navires-usines français dans la Manche ne serait en réalité quasiment jamais déchargé en France…
Un poisson pêché en France débarqué à l'étranger
"Le Français il va manger quoi? Que du poisson d'importation! Que du poisson qui vient de la Hollande... pêché dans nos zones, mais transformé dans les pays extérieurs et qui reviennent sur le sol français", s'agace Jérôme Vicquelin, patron de pêche d'un chalutier de 25 mètres.
Cette histoire de poisson voyageur a aiguisé notre curiosité. Grâce au signal GPS émis par les navires, il est désormais possible de retracer leur parcours, déterminer leur zones de pêche et leurs ports préférés pour débarquer.
Prenons l’exemple du Scombrus: chalutier-usine de 81m, sous pavillon français. En janvier dernier, il quitte le port d’Ijmuiden, aux Pays-Bas, prend la direction de la Manche où il va pêcher plusieurs jours durant, dans les eaux britanniques mais surtout françaises… avant de refaire route vers la Hollande avec son chargement.
Pourquoi un navire tricolore irait-il décharger aux Pays- Bas? Une partie de la réponse se trouve sur les vidéo de communication de l’armateur français. Dans l’usine du bateau, le poisson tout juste pêché est congelé en blocs de 20 kg, puis mis en cartons… estampillés d'un logo: celui de Cornelis Vrolijk, multinationale hollandaise de la pêche, propriétaire à 100% du bateau, via une filiale française: France Pélagique.
Un contrôle des pêches défaillant aux Pays-Bas ?
C’est justement à Ijmuiden que se trouve le siège de l’entreprise. Nous nous sommes rendus au port… où nous avons trouvé le Scombrus en plein déchargement. En caméra discrète, nous échangeons avec un des membres de l’équipage. Il nous confirme que les trajets sont toujours les mêmes: France-Pays-Bas et que les contrôles sur place sont stricts.
Les quotas seraient donc respectés et les espèces pêchées contrôlées comme ailleurs. Ce n’est pourtant pas ce que dit l’Union européenne qui a épinglé en 2022 les Pays-Bas pour défaut de “contrôle, d'inspection et d'exécution des aspects essentiels de la pesée, de la traçabilité et de l'enregistrement des captures”.
Après la diffusion du reportage, un porte-parole de Cornelis Vrolijk a souhaité préciser des éléments de réponse. Notamment quant à la réglementation européenne des pêches qui serait stricte avec les chalutiers pélagiques: "Nous ne pêchons pas plus de poissons que les quotas qui nous sont attribués par espèce. Le respect de ces quotas est étroitement surveillé par les gouvernements. Au cours d'une campagne de pêche, les capitaines déclarent toutes les 24 heures les captures au moyen de registres électroniques. En outre, tous nos navires sont équipés de systèmes de surveillance (VMS), permettant aux autorités gouvernementales et aux instances scientifiques de vérifier à tout moment leur position satellite".
Mais cet objectif de contrôle peut-il réellement être mis en oeuvre? Par téléphone, une source à la commission européenne nous explique qu’il n’y aurait que deux inspecteurs maritimes pour tous les Pays-Bas et que que le contrôle des pêches serait délégué à des entreprises privées: "La grande majorité des déchargements n’est pas contrôlée par des inspecteurs officiels. Ils ne sont que 2. Allez, peut-être 2 et demi maintenant! Ce n’est absolument pas suffisant compte tenu des volumes de poisson débarqués. C’est une énorme blague".
Pour Cornelis Vrolijk, l'Autorité néerlandaise de sécurité des aliments et des produits de consommation (NVWA) jouerait pleinement son rôle d'inspection officielle: "Au terme de chaque campagne de pêche, la quantité de poisson débarquée est enregistrée avec précision, nous écrit le porte-parole de la multinationale hollandaise. La NVWA effectue des inspections pour vérifier les captures ainsi déclarées. Le nombre d'inspections aléatoires et inopinées effectuées par la NVWA a augmenté depuis que les inspecteurs de l'Union européenne ont publié leur rapport en octobre 2020".
Vidéosurveillance en mer
Contactée également, la NVWA affirme que lorsqu'un contrôle physique des poissons est décidé, cela concerne au minimum 5% du chargement total du bateau. Ces contrôles physiques seraient basés sur, nous disent-ils, des "critères de risques", sans plus de précisions.
De son côté la filiale française France Pélagique évoque des contrôles à toutes les étapes de la production: “En mer, il y a des contrôles 4 à 6 fois par an. Le Scombrus a aussi mis en place en 2023 des caméras embarquées qui contrôlent H24 le travail effectué à bord, aussi bien sur le pont que dans l’usine. Et puis à terre, il y a les contrôles à la débarque, avec les pesées”, détaille Geoffroy Dhellemes, directeur général de France Pélagique.
La majorité du poisson de ces navires part ensuite en Afrique et en Asie pour être commercialisé. Quelques centaines de tonnes seulement reviennent en France chaque année… en camion cette fois.
Parmi nos sources:
https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/inf_22_601
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.