Cet article date de plus de dix ans.

J'ai visité une studette de 4 m2 louée par un marchand de sommeil

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La studette est située dans le 10e arrondissement de Paris. (GOOGLE MAPS)

Francetv info a répondu à une annonce pour une studette parisienne de 4 m2 loi Carrez. Visite guidée avec, en prime, les commentaires du propriétaire.

Louer un bien de moins de 9 m2 : depuis 2002, c'est illégal. Pourtant, à Paris, où le manque de logements est criant et la demande croissante, la pratique est répandue. Ainsi, le cas de Dominique, qui a vécu quinze ans dans 1,56 m2 et assigné sa propriétaire en justice, n'est pas isolé. Le tribunal d'instance du 11e arrondissement de Paris a ordonné la réouverture des débats, a annoncé mardi 17 décembre son avocate. L'affaire sera donc rejugée en janvier.

Jusqu'à quel point ce type de pratiques est répandu ? Qui sont les propriétaires de ces logements ? Pour avoir des éléments de réponse, j'ai épluché les petites annonces du Bon Coin. Au cours de mes dix jours de recherche, j'ai notamment trouvé une annonce pour la location d'une studette meublée de 6 m2, près du métro Jacques Bonsergent, dans le 10e arrondissement de Paris, pour 380 euros par mois. C'est la plus petite surface en location que j'aie trouvée. J'ai pris rendez-vous par téléphone avec le propriétaire, et je suis allée visiter les lieux.

  (LE BON COIN / FRANCETV INFO)

Je patiente devant une grande porte cochère en bois, qui donne accès à un immeuble haussmannien, typiquement parisien. En retard, le propriétaire, grand, carrure large, cheveux en brosse, finit par arriver. Je vois qu'il sort de sa poche un énorme trousseau de clés. Une pour chaque studette louée ? Il cherche pendant plusieurs minutes celles de l'immeuble et de la studette. Nous entrons et prenons un ascenseur à notre droite. La conversation s'engage.

"Il faut de l'imagination"

Je me présente comme une jeune femme originaire du Gard, qui vient de terminer ses études et cherche un emploi à Paris, ainsi qu'un logement. Une situation pas très éloignée de mon vécu. D'emblée, le propriétaire tient à souligner : "C'est petit, donc c'est un logement en dépannage. On ne peut pas y rester plus d'un an." Un an ? C'est un peu long, pour du provisoire. Mais il est vrai que la durée d'un bail pour un logement meublé est d'une année. L'ascenseur arrive au 6e étage. Il faut encore monter quelques marches pour accéder au 7e. Le propriétaire, qui me précède, tourne à gauche et ouvre une porte au bout du couloir.

"Il faut avoir de l'imagination", me prévient-il. Effectivement. L'annonce promet une studette de 6 m2 meublée, avec un lit pour une personne, une télévision, un espace cuisine composé d'un réfrigérateur, d'une plaque de cuisson et de vaisselle. Mais je constate qu'il n'y a rien de tout cela. La pièce est une mansarde totalement vide, d'une surface de 4 m2 loi Carrez, selon le propriétaire. C'est probablement moins : on ne peut s'y tenir debout que dans le coin droit. Les murs sont propres, fraîchement repeints en blanc, mais, au sol, le carrelage est sale. Comme annoncé, deux fenêtres de toit offrent une vue sur la tour Eiffel. Mais pour en jouir, il faudra se mettre debout sur le lit, une fois que celui-ci sera installé.

"J'ai plusieurs chambres dans Paris, je vis grâce à cela"

L'homme tient à me rassurer : tout le mobilier doit être livré d'ici dix jours et la studette ne sera pas louée avant mi-décembre. "C'est petit, mais quand ce sera aménagé il y aura l'essentiel." Je ne peux que lui donner raison : ici, le superflu n'a pas sa place.

Puis le propriétaire se lance dans une visite imaginaire. "Là il y aura un lit, en face, une kitchenette, là un petit meuble…" J'ai l'esprit imaginatif, mais pas à ce point. Devant mon regard incrédule, il s'empresse d'ajouter : "Ne vous inquiétez pas, j'ai l'habitude de faire ça. Je ne suis pas agent immobilier, mais j'ai plusieurs chambres de bonne un peu partout dans Paris. Comme celle-ci que je viens d'acheter, je les rénove puis je les loue. En fait, je vis grâce à cela", m'explique-t-il. Pour joindre le geste à la parole, il cherche des photos d'autres appartements dans son téléphone portable. Mais il ne les trouve pas.

Le propriétaire me montre ensuite les toilettes, sur le palier. La pièce est poussiéreuse, bien qu'équipée d'une fenêtre. Quelques taches apparaissent sur la lunette. Ce qui ne l'empêche pas d'assurer sans ciller : "C'est très propre, seules deux personnes les utilisent." Et la douche ? "Il n'y en a pas. Mais aujourd'hui, la plupart des entreprises possèdent des douches pour leurs salariés", répond-il du tac au tac. Euh, c'est nouveau, non ? En réalité, les employeurs sont tenus d'installer des douches dans leurs locaux seulement si les salariés effectuent un travail salissant.

"Je loue au premier qui dit oui. Je veux aider les gens"

Les charges sont comprises dans le loyer, précise ensuite le propriétaire. Ouf. "Par rapport à ce qui existe dans Paris, ce n'est pas cher", insiste-t-il. Tout de même, d'après un rapide calcul, il loue le mètre carré 95 euros. "Je demande deux mois de loyer pour la caution, enfin j'ai arrondi à 700 euros", ajoute-t-il. De fait, le montant de la caution n'est pas réglementé par la loi pour les locations meublées.

Je l'interroge ensuite sur les documents à fournir pour louer la studette. "Je ne demande pas de dossier parce que je sais ce que c'est d'être étudiant. Et je veux aider les gens. Je le fais au feeling et je loue la studette au premier qui dit oui", répond-il. Quelle générosité ! Peu après, il avance une autre raison. "J'ai besoin que cela parte vite, c'est aussi pour cela que je ne demande pas de papiers."

Nous redescendons et, dans l'escalier, il m'informe que trois personnes ont déjà visité le logement. "Et encore, je n'ai pas mis de photo. Si tel était le cas, j'aurais eu davantage de demandes. Toutes mes chambres de bonne ont toujours été louées rapidement." En me disant au revoir, il conclut : "Comme je dis, il vaut mieux un petit chez-soi qu'un grand chez les autres."

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