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France-Arabie saoudite : les dessous des contrats

La France a-t-elle fait le bon choix en misant l’Arabie saoudite ? Après la polémique suscitée par la Légion d’honneur remise au prince héritier et ministre de l’Intérieur Mohamed ben Nayef, Secrets d’Info examine ce que sont vraiment les relations commerciales entre les deux pays.
Article rédigé par Jacques Monin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
  (Manuel Valls reçu par le prince Mohammed ben Nayef à Riyad, en octobre 2015. © Witt/SIPA)

Jusqu’ici, la plupart des gros contrats saoudiens sont passés sous le nez des Français. Le métro de La Mecque a été confié à un groupe chinois. Celui de Riyad et du TGV Djeddah-Medine à des consortiums américains et espagnols.

Manuel Valls espérait renverser la vapeur, en se rendant à Riyad en octobre 2015 avec une délégation de chefs d’entreprises français. Il annonce alors la signature imminente de dix milliards de dollars de contrats.

Mais l’accueil est plutôt froid. On le fait attendre une heure dans un grand hôtel, pour finalement doucher les espoirs français. Christian Chesnot, spécialiste du monde arabe à France Inter, faisait partie de cette délégation : "L’Arabie saoudite devait acheter des Airbus A380. Le contrat est prêt à 22 heures. Et à 3 heures du matin, les Saoudiens annulent cette grosse commande. Il y en avait quand même pour plusieurs milliards ! "

 

Autres espoirs déçus : le laboratoire français LFB espérait voir avancer son projet de créer une usine de production de médicaments dérivés du plasma. Il repart bredouille. EDF espérait vendre deux EPR à l’Arabie saoudite. Le géant français de l’électricité devrait remiser son projet.

Les raisons de l’échec

A-t-on péché par excès de confiance ? C’est ce que pense Olivier Da Lage, journaliste à RFI : "C’est un grand classique chez les dirigeants français qui voyagent en Arabie saoudite et qui disent aux journalistes dans l’avion qu’on va signer plein de contrats. Les Saoudiens n’aiment pas qu’on les mette devant le fait accompli, et ils donnent une leçon à leurs visiteurs."

 

Autre raison à ce revers : la crise économique que traverse le pays. Pour la deuxième année, les comptes de l’Arabie saoudite sont dans le rouge. Avec la baisse du prix du pétrole, le déficit public atteint 21% du PIB. Le chômage des jeunes est de 30%. Pour la première fois de son histoire, le pays a recommencé à emprunter, comme le constate Slimane Zeghidour, chroniqueur à TV5 Monde : "Beaucoup de projets ont été arrêtés, beaucoup d’expatriés repartent, des entreprises étrangères qui travaillent avec l’Arabie saoudite sont payées avec de plus en plus de retard. Il y a un début de marasme."

Ventes d’armes : un organisme français dans le collimateur des Saoudiens

Autre secteur à la peine : l’armement. Jusqu’à il y a peu, l’Arabie saoudite ne voulait pas traiter avec les entreprises en direct. La France a donc créé en 1974 un organisme rassemblant les fabricants d’armes de l’Hexagone pour négocier,  au nom de l’Etat français, avec les Saoudiens.

Baptisé SOFRESA (Société française d'exportation de systèmes avancés) puis ODAS cet organisme est aujourd’hui dans le collimateur du pouvoir saoudien. Jusqu’en 2015, les commissions versées dans le cadre des contrats d’armement passés avec ODAS, transitaient par des intermédiaires libanais qui travaillaient pour le compte du roi Abdallah. Son successeur est donc convaincu que les contrats passés avec la France, via ODAS, continuent d’alimenter les réseaux du roi défunt. Une situation insupportable à ses yeux. Il veut mettre un terme au système ODAS, ce qui bloque des contrats en cours.

Une rivalité au cœur du pouvoir

Une gouvernance à deux têtes complique encore les choses. A Riyad, gouvernent côte à côte le prince héritier, Mohammed ben Nayef, 56 ans, ministre de l’Intérieur. Mais aussi le fils du roi, Mohammed ben Salmane Al Saoud. Ce dernier n’a que 31 ans, et il a été propulsé par son père au rang de vice-prince héritier. Le bouillant et médiatique fils du roi est un caillou dans la chaussure de son cousin, Ben Nayef. Chacun ayant des réseaux différents, difficile de savoir à quelle porte frapper. Pour le chercheur François Heisbourg, "l’Arabie saoudite est opaque par définition. Mais là, ça l’est encore plus car vous avez deux princes héritiers. Difficile dans ces conditions de négocier de vrais contrats."

 

Certes, le fils du roi réforme : Mohammed ben Salmane s’entoure d’experts de la société civile, consulte des cabinets de conseil, engage les meilleurs communicants et surfe sur une grande popularité. Mais dans le même temps, la crise se fait sentir et le pouvoir religieux se durcit. En misant sur Riyad, la France a fait un pari. Mais un pari risqué.

VIDEO | Le mirage saoudien

 

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