Hermès-LVMH : le "Dallas" du luxe français
Héritiers discrets contre géant du bling-bling. Alors que l'Autorité des marchés financiers s'est penchée aujourd'hui sur les griefs qui pèsent sur LVMH, retour sur trois ans d'affrontements sans merci.
Il ne manque que les histoires de fesses. Sinon, la guerre entre le roi des carrés de soie et le numéro 1 mondial des mallettes siglées a tout de la saga industrialo-familiale sur fond de gros sous. Vendredi 31 mai, la commission des sanctions de l’Autorité des marchés financiers (AMF) s'est réunie pour examiner les soupçons qui pèsent sur LVMH dans son assaut sur Hermès en 2010. Elle a requis 10 millions d'euros d'amende à l'encontre du groupe de Bernard Arnault, accusé de défaut d'information au marché et de dissimulation comptable. Retour sur trois ans de lutte sans merci dans les milieux les plus chics et feutrés de la capitale.
Le géant bling-bling en embuscade
"Bonjour, c'est Bernard Arnault. Nous voulions vous prévenir que nous détenons depuis hier 17,1% du capital de votre maison. Nous allons l’annoncer au marché dans une heure." Voilà, selon un blog de Marianne, comment le patron du numéro 1 mondial du luxe a annoncé aux principaux intéressés, samedi 23 octobre 2010, l’entrée fracassante de son groupe au capital d’Hermès.
A l'autre bout du fil, le PDG du groupe familial est soufflé. Alors que les héritiers Hermès, dont le grand public ne connaît presque rien, pensaient avoir mis la société à l’abri des prédateurs en adoptant un statut particulier avant son entrée en Bourse en 1993, la voilà convoitée par un géant sans pitié, mené par la première fortune de France. Le marketing et le bling-bling international à l’assaut du classique éternel et du temple de l’artisanat ancestral.
Sans se départir de son sourire aimable, Bertrand Puech, le porte-parole de la famille Hermès, 75 ans, attaque, dans L’Express : "M. Arnault est comme ces chasseurs aguerris qui affectionnent l'ombre." "Plus on lui résiste, plus il a envie de gagner", glisse un proche de l'accusé à Capital. Mais celui qui a déjà dépiauté le groupe Boussac pour ne garder que le joyau Dior, convoité Gucci et profité des dissensions entre les coprésidents de LVMH pour prendre le leadership dans le groupe se défend.
Il promet d'être un actionnaire amical et "pour le long terme", et assure même : "Vous savez, nous n'avions pas prévu d'être actionnaires de Hermès (...). Nous avons fait un placement financier et il s'est dénoué d'une façon que nous n'avions pas prévue." Le patron d'Hermès, lui, cite le bras droit d'Arnault, Pierre Godé, qui affirmait que LVMH attendrait "un siècle, voire deux s'il le faut" pour en prendre le contrôle.
Une prise de pouvoir par surprise
Il a beau le nier, Bernard Arnault a préparé son plan de longue date. C’est l’Autorité des marchés financiers qui a remonté le fil de l’entrée du loup dans la bergerie. En 2001 et 2002, LVMH acquiert 4,9% d'Hermès via ses filiales luxembourgeoise, Hannibal, et américaine, Altaïr. Puis plus rien.
A partir du 18 décembre 2006, "Pierre Godé, vice-président du groupe et éminence grise de M. Arnault, et Nicolas Bazire, ex-associé gérant de Rothschild et administrateur de LVMH, travaillent au projet 'Mercure' (pour Hermès)", raconte Le Monde, qui a eu accès au compte rendu de l’enquête de l’AMF. C’est-à-dire dès l’annonce de la maladie incurable de Jean-Louis Dumas, président d'Hermès depuis plus de vingt ans, soulignent les plus persifleurs.
Pour contourner la loi, qui veut que tout actionnaire déclare lorsqu’il franchit la barre de 5% (puis 10 puis 15%) d’une société cotée – et dans le cas des statuts d'Hermès, dès 0,5% du capital –, le numéro 1 du luxe place ses titres dans trois banques distinctes. Concrètement, LVMH a utilisé les equity swaps à dénouement monétaire, des produits bancaires dérivés opaques. "En juin 2010, un mois seulement après le décès de Jean-Louis Dumas, LVMH demande aux trois banques de changer le mode de dénouement initialement prévu des swaps. Le groupe veut être payé en actions Hermès et non plus en cash", rapporte Le Monde. C’est comme cela que le groupe se retrouve en octobre 2010, ni vu ni connu, avec 17,1% des actions Hermès. Aujourd’hui, sa participation atteint même 22,6%.
Ce n'est pas une prise de contrôle rampante, se défend LVMH, qui évoque "des rumeurs assez précises selon lesquelles un puissant groupe étranger du secteur et des fonds d'investissement chinois étaient intéressés par l'acquisition de titres Hermès". En attendant, les stratèges de Rothschild, qui ont pensé le montage, résument ainsi la suite des opérations : "Il suffit que la famille se délite."
Des héritiers qui se déchirent
C'est la grande faiblesse du fabricant des très prisés sacs Kelly et Birkin, note La Tribune, qui publie l'arbre généalogique du fondateur Thierry Hermès. Aujourd’hui, la soixantaine de descendants du célèbre sellier, dont nombre d’exilés fiscaux, est divisée en trois branches : les Puech, les Dumas et les Guerrand. Toutes ont caché "leurs participations via cinq pactes d’actionnaires et des sociétés opaques aux noms mystérieux (Pollux et Consorts, Falaises, Flèches…)", raconte Le JDD.
"Certains, comme les Guerrand, dont la plupart vivent à l'étranger, notamment au Maroc, semblent éloignés du cœur de la bataille", note L’Express. Et l'un d'eux fait ouvertement sécession : Nicolas Puech. Le sexagénaire vit, comme ses deux sœurs, à Genève. Il rapporte au JDD des conseils familiaux houleux et des cousins aux abois. Détenteur à lui seul d’"un peu moins de 6% du capital" d’Hermès, il a refusé de participer à la parade anti-LVMH imaginée par sa famille : la création d’une holding, non cotée, gelant 50,2% des actions des Hermès sur les 73% qu’ils détiennent ensemble, et ce durant vingt ans. Il aime beaucoup son frère, ce n’est pas la question, mais "à [son] âge, la raison l’emporte sur l’émotion".
Après un an de tractations, y compris avec l’AMF, qui leur accorde une dérogation, 52 héritiers participent à la holding créée en décembre 2011. Grâce à son statut de société en commandite par actions, Hermès s’était assuré le contrôle du management de l’entreprise, jusqu’à 33% du capital. Elle sécurise maintenant le contrôle capitalistique, la brèche dans laquelle s’était engouffrée Bernard Arnault. Mais pour combien de temps ?
Le clan Dumas, 28% du capital, consolide encore un peu plus sa position au sein du groupe. Et aux bisbilles entre branches familiales s’ajoutent "quelques jalousies entre ceux qui siègent aux différents conseils, et sont donc exonérés d'impôt sur la fortune (ISF), et les autres", souligne La Tribune. "Plus l'action grimpe en Bourse et plus l'ISF à payer est lourd, alors que les dividendes versés par Hermès ne sont pas très élevés", confie d’ailleurs au quotidien économique un bon connaisseur du groupe. A 270 euros l’action, certains membres de la famille sont tentés de vendre leur pactole. "Tous n’ont pas les mêmes besoins et intérêts", expliquait au JDD un proche de la famille après une énième réunion pour finaliser la holding.
"C'est comme l'attaque d'un moustique insupportable qui vous pique sans cesse alors que vous êtes au volant et devez continuer à conduire", résume auprès de L’Usine nouvelle le porte-parole de la famille, Bertrand Puech.
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