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Aurillac et Jeuxvideo.com, la fin d'une histoire

Installé depuis 1997 dans la préfecture du Cantal, le site leader de l'information en ligne sur les jeux vidéo doit déménager d'ici quelques mois.

Article rédigé par Thomas Baïetto
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Capture d'écran du site Jeuxvideo.com. (JEUXVIDEO.COM)

C'est l'histoire d'un pari : développer une entreprise spécialisée dans les nouvelles technologies sur un territoire rural, le Cantal. En 1997, l'Aurillacois Sébastien Pissavy convainc ses camarades d'implanter le tout jeune site Jeuxvideo.com dans sa ville natale. "La qualité de vie se prêtait bien à une activité éditoriale et nous étions dans un secteur en voie de dématérialisation. Que l'on soit à Paris ou à Aurillac, on peut parler de jeux vidéo", explique l'entrepreneur à francetv info. La suite lui a donné raison : Jeuxvideo.com est aujourd'hui le leader européen de son secteur et un site incontournable du web français (notamment via ses turbulents forums). En décembre 2014, il a enregistré, selon l'OJD, 50 millions de visites, soit presque le double d'un site d'information comme francetv info.

Mais le pari a peut-être un peu trop bien fonctionné pour que L'Odyssée interactive, l'éditeur du site, reste la petite structure familiale de ses débuts. Rachetée à plusieurs reprises (Gameloft, HiMedia), l'entreprise est tombée dans l'escarcelle de Webedia (Puremédias, Allociné, Purepeople), en juin 2014, pour 90 millions d'euros. "La logique d'entreprise a changé. On a affaire à des gens qui n'ont pas envie de s'emmerder à prendre l'avion pour venir à Aurillac quelques fois par an", regrette Sébastien Pissavy, qui a quitté l'entreprise en 2012.

Un déménagement à Paris et Toulouse

Le nouveau propriétaire veut en effet tout changer. Début décembre, Webedia a annoncé aux salariés aurillacois le déménagement du site pour Paris (la rédaction) et Toulouse (quelques membres de l'équipe technique). Une décision qui devrait être officialisée dans les prochains jours. "Aujourd'hui, la moitié de l'équipe, dont la rédaction, est à Aurillac, l'autre, comme l'équipe commerciale et la web TV Gaming Live, est à Paris, justifie auprès de francetv info Guillaume Multrier, directeur général et fondateur de Webedia. L’offre éditoriale, c’est aussi bien de la vidéo que du texte, cela a beaucoup de sens de rapprocher la web TV de la rédaction."

Propriétaire de Millenium (une structure spécialisée dans l'e-sport) et de la licence IGN (l'équivalent américain de Jeuxvideo.com) pour la France, il ambitionne de créer un "Webedia gaming". "Ce n'est pas la question d'Aurillac. Millenium était à Marseille, ils viennent à Paris", assure Guillaume Multrier, qui tient à préciser que "l'idée n'est pas de réduire les effectifs". L'ensemble des équipes déménageront entre le 1er mars et le 31 juillet.

"A Aurillac, on est loin de l'industrie"

Dans le village d'entreprises de Tronquières, les salariés sont partagés. Dans un courrier daté du 23 décembre, Webedia leur a proposé une mobilité à Paris ou à Toulouse. Une majorité, dont Yohan Bensemhoun (alias Panthaa), a accepté. "A Aurillac, on est loin de l'industrie. En tant que rédacteur spécialisé, on est souvent au même niveau de connaissance du produit que le consommateur. C'est également compliqué de faire des interviews de développeurs ou de visiter des studios", explique à francetv info ce journaliste arrivé en décembre 2012.

Jeuxvideo.com est installé à Aurillac (Cantal) depuis 1997. (GÉRARD LABRIET / PHOTONONSTOP / AFP)
 

Cyril Soulliage part lui aussi, mais à contrecœur. "Ma priorité était de rester à Aurillac. Je suis originaire de la région Auvergne et déménager est un changement radical pour mes deux enfants", justifie le développeur auprès de francetv info. Mais il a fini par accepter l'offre qui lui a été faite de rejoindre Toulouse, "un moindre mal en termes de distance par rapport à l'Auvergne". "Ma compagne ne travaille pas, je me retrouvais donc sans emploi avec quatre personnes à charge", souligne-t-il.

"Le site va perdre une partie de son indépendance"

Les salariés qui refusent de partir (17 selon Webedia, 20 selon un délégué du personnel, sur 42 salariés basés à Aurillac) risquent en effet le licenciement économique. Benjamin Roux, développeur et délégué du personnel, est de ceux-là. "A Aurillac, on a une qualité de vie très bonne. Cela fait sept ans que je suis ici et je me suis attaché à la ville", argumente-t-il. S'il dit entendre "les choix politiques, financiers et managériaux" de Webedia, il regrette le démantèlement de l'équipe, alors que les salariés avaient proposé une solution intermédiaire, avec un pôle technique à Aurillac. Il voit partir ses collègues à regret. "Une partie de la famille s'en va", résume-t-il.

Les raisons sentimentales et familiales n'expliquent pas tous ces refus. L'un des rédacteurs, qui redoute que Webedia ne change à terme la ligne éditoriale du site, préfère partir maintenant. "Je n'ai pas envie de démissionner dans cinq mois pour des questions d'intégrité. (...) Ils ont une vision de notre travail qui ne me convient pas, basée sur la suppression de toute critique et sur les contenus sponsorisés", confie ce journaliste, qui préfère garder l'anonymat.

Il craint que les articles ou vidéos payés par les éditeurs ne prennent de plus en plus de place sur le site. Ce fut le cas dernièrement lorsque deux contenus sponsorisés se sont retrouvés dans le flux d'actualité classique. De manière générale, ce journaliste estime que quitter le Cantal va faire perdre à Jeuxvideo.com "une partie de l'indépendance qu'on pouvait avoir par rapport à l'industrie". "C'est toujours compliqué d'être ami avec un attaché de presse et d'avoir à traiter ses produits, remarque-t-il. A Aurillac, c'était quelque chose dont nous étions protégés."

"Une grande perte pour l'Auvergne et le Cantal"

Attachés au coin, certains salariés regrettent enfin les conséquences pour la région. "C'est une grande perte pour l'Auvergne et le Cantal. Jeuxvideo.com est un nom connu en France et en Europe", observe Cyril Soulliage. "Aurillac, c’est le festival de théâtre de rue, le parapluie et Jeuxvideo.com. Ce ne sera plus le cas", regrette notre confrère anonyme. "Jeuxvideo.com était le modèle de l'entreprise numérique à la campagne. Cela prouvait la validité du projet", rappelle Sébastien Pissavy.

Le maire de la ville, qui "regrette profondément" ce départ, ne dit pas autre chose. "Nous avons d'autres entreprises leaders dans leur domaine, comme Qualiac, mais L'Odyssée interactive était connue nationalement et avait une visibilité chez les jeunes", explique Pierre Mathonier (PS). Il refuse cependant de céder au fatalisme et lance un appel à candidatures : "Les causes du départ ne sont pas liées à Aurillac. Nous avons des locaux bientôt disponibles, adaptés et qui donnaient entière satisfaction à Jeuxvideo.com." 

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