Cet article date de plus de neuf ans.

Enquête sur le lobbying américain en France

La grande star française de l’Internet Frédéric Mazella, créateur et dirigeant de BlaBlaCar, vient de lever 200 millions de dollars auprès d’investisseurs, américains notamment. Il fait partie de ces jeunes dirigeants d’entreprises repérés par les influenceurs américains par l'intermédiaire de la promo 2015 des "Young Leaders."
Article rédigé par Jacques Monin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Franceinfo (Franceinfo)

 Chaque année, les Etats-Unis repèrent et invitent les futures élites françaises à Washington pour une opération de charme. Mais ce n’est qu’une facette d’une stratégie d’influence plus globale. La plupart des grands cabinets d’avocats et les banques d’affaires de Paris sont aujourd’hui américains. Peu à peu, ils imposent leur langue, leurs normes, et leur idéologie.

Le lobbying américain en France, une enquête de Jacques Monin

Le "soft power" ou la diplomatie douce

La formule sonne plutôt bien. Le "soft power", ou diplomatie douce, a été inventé par les Américains pour influencer leurs partenaires en s’appuyant sur la conviction ou la séduction. Concrètement : depuis les années 1940, l’ambassade des Etats-Unis à Paris repère chaque année ceux qui seront les futures élites françaises. Elle mise sur elles et les invite outre-Atlantique à participer à un programme d’échanges avec les futures élites américaines. La French American Foundation  a mis sur pied un programme similaire avec des fonds privés.

 

Ces programmes ciblent les énarques, les jeunes loups de la politique, mais aussi des chefs d’entreprises et des journalistes. Parmi eux : François Hollande, Nicolas Sarkozy, Alain Juppé, Pierre Moscovici, Emmanuel Macron, Najat Vallaud-Belkacem. Cette année, Frédéric Mazzella, le fondateur de Blablacar, ou encore Alexis Morel, directeur de la stratégie de Thalès, font partie de ceux qui ont été invités à Washington pour un voyage d’étude. 

"On va chercher les gens qui peuvent avoir une influence un jour par leur réussite" explique Pierre Servan -Schreiber, un avocat d’affaires qui a travaillé dans un cabinet américain. "C’est une volonté délibéré de connaitre les gens qui seront à même de prendre des décisions, et à qui on pourra rappeler notre passé commun et faire passer des messages".

 

A Washington, ils peuvent rencontrer des responsables politiques, mais "le programme s’appuie aussi sur un réseau de 40 à 50.000 bénévoles américains qui vous accueillent "  précise Pascal Dupeyrat, le président du Cercle Jefferson  qui a créé une amicale des anciens de ces voyages. "Cela crée une rencontre avec la population. Avec cette idée très intelligente qui est de dire : vous avez plus de difficultés à aller en guerre avec des gens avec qui vous avez déjeuné ou dîné". Apprendre à se faire aimer, c’est avant tout cela le "soft power".

 

Plus de cabinets d’avocats d’affaires américains à Paris qu’à Londres

Il existe une autre machine à influencer très puissante. Aujourd’hui, la majorité des cabinets d’avocats et des banques d’affaire sur la place de Paris sont américains. Ils recrutent les meilleurs avocats à prix d’or. Et pour assurer un lobbying efficace, et garantir leurs entrées au sommet de l’Etat, ils puisent dans le vivier politique. "On va se fournir à la sortie des ministères"  observe Etienne Drouard, un avocat qui a travaillé dans plusieurs cabinets américains. Ces cabinets utilisent ainsi à leur profit, les réseaux et les carnets d’adresses de leurs recrues.

Ce travail d’influence fait son chemin. Nicolas Sarkozy lui-même ne prônait-il pas la tolérance zéro, concept développé à New York, après avoir effectué son programme dans cette ville en 1984 ? La langue anglaise et les normes juridiques anglo-saxonnes se sont peu à peu imposées dans le droit des affaires.

 

A en croire Claude Revel, l’auteur de La France, un pays sous influence , les effets du soft power se traduisent dans l’hémicycle. "On a de plus en plus de propositions de législations inspirées des Etats-Unis, comme le plaider coupable. L’idée d’ouvrir toutes les données, aussi, devient un mantra. Les Américains, qui voudraient avoir accès à toutes nos données, ouvrent pourtant les leurs de manière très maitrisée" .  Et pour cause. L’ouverture des données représente un marché énorme convoité par Google notamment…

 

Ce concept de soft power est maintenant repris par la Chine et le Brésil. Etrangement, c’est un des rares domaines où la France n’imite pas les Etats-Unis. Tout se passe comme si l’on pensait encore que notre histoire, notre littérature, nos vins et nos parfums, suffisaient encore à faire rayonner notre culture dans le monde. 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.